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pays de Fittes et Refittes, et l'Eauzan. Très volontairement j'écarte la vicomté de Fezensaguet, pour des raisons à dire quand je m'expliquerai sur ce fief, que je laisse à la Gascogne toulousaine. L'ensemble de ces districts équivaut aux comtés primitifs de la Grande Gascogne et de Fezensac, autrement dit aux évêchés d'Aire, de Bazas, et à presque tout celui de Dax (après la création du diocèse de Bayonne), et à une très grande partie de l'archevêché d'Auch. Si on y ajoute le comté de Bordeaux, on restitue ainsi le duché primitif et féodal de Gascogne tel qu'il exista jusqu'à la mort du duc Garsie-Sanche, dit le Courbé, mort que la doctrine courante place vers 926. Mais après la mort de Bérenger, dernier duc de Gascogne (vers 1036), et après la réunion de son duché à celui de Guienne, le comté de Bordeaux commence déjà à être considéré comme une dépendance de ce dernier, en attendant l'époque peu éloignée du rattachement complet. Je parle, bien entendu, de ce rattachement au point de vue féodal, et non pas au point de vue monarchique et administratif, dont je n'ai pas à m'inquiéter. Ainsi, le comté de Bordeaux, quoique compris dans le duché de Gascogne, demeure en dehors de mes recherches.

Dans ledit duché, je ne fais entrer aucune portion de l'Agenais primitif et politique qui s'étendait sur l'une et l'autre rive de la Garonne. Il est vrai qu'une prétendue inscription funéraire de l'église de Sainte-Quitterie, au diocèse d'Aire, fait mention de Guillaume, comte et marquis des Gascons, et de son frère Garsie, comte des Agenais (GARSIE FRATR | IS EIVS COMITIS | AGENSIUM). Cette inscription, publiée pour la première fois par Oïhénart1, tendrait à présenter l'Agenais comme ayant été tout entier dans le domaine de la maison ducale de Gascogne. Mais feu Labeyrie tient pour certain que cette inscription (1) OIHENART, Not. utr. Vascon.. 428.

n'a jamais existé en nature, que le texte en a été fourni à Othénart par un correspondant faussaire, et il en fournit des raisons' qui donnent à réfléchir très sérieusement. Notez que nous n'avons pas d'autre preuve de l'existence des deux seigneurs susnommés que la prétendue inscription funéraire. Chose bien autrement grave, des documents datés du temps des derniers comtes de Toulouse de la maison de Saint-Gilles, de celui de leurs ayantsdroit, Alfonse, comte de Poitiers, et les rois de France, montrent abondamment que leur autorité sur l'Agenais politique est attestée, non seulement par l'exercice des droits de suzeraineté, mais souvent aussi par celui des seigneurs directs d'un grand nombre de terres comprises dans l'Agenais. En vérité, je me demande comment j'ai pu, dans mes travaux antérieurs, me conformer pour partie à la doctrine fausse et courante et ne pas voir tant de faits qui crèvent les yeux.

L'Agenais politique ne fit donc jamais partie du duché de Gascogne. Sans doute, je devrais étudier ici la portion dudit Agenais située sur la rive gauche de la Garonne. Mais il faut la donner à la Gascogne toulousaine.

Le lecteur est maintenant fixé sur l'étendue du duché de Gascogne, avant le démembrement qui suivit la mort du duc Garcie-Sanche, dit le Courbé.

Mais quelles sont les origines de ce duché?

Ici, j'ai le rigoureux devoir d'avertir le lecteur, une fois pour toutes, que là-dessus, comme sur les origines de plusieurs autres grands fiefs, je me sépare absolument de la doctrine officielle et courante. Mais, dans tous les cas où il en est ainsi, je ne manquerai jamais d'exposer d'abord cette doctrine, avant d'exposer ma façon propre de voir les choses. J'ai hâte d'ajouter que ces dissidences n'in

(1) Revue de Gascogne, xvin (1877), p. 218.

fluent en rien sur le résultat de mes recherches en matière de véritable géographie féodale.

Tous les annalistes français, contredits par les espagnols et par moi, présentent comme premier duc de Gascogne Sanche Ier, dit Mitarra, qui aurait vécu vers 872, et qui aurait eu pour successeur son fils MitarraSanche, père du duc Garsie-Sanche, dit le Courbé, aussi duc de Gascogne, et mort vers 926, suivant la doctrine courante. La succession de ce dernier se partagea entre ses trois fils. L'aîné, Sanche-Garsie, eut le duché de Gascogne, moins le comté primitif de Fezensac. Le second, Guillaume-Garsie, obtint ce dernier comté. Le troisième, Arnaud-Garsie, reçut le comté primitif d'Astarac. Moi je tiens Sanche Ier, dit Mitarra, et son fils Mitarra-Sanche, pour des personnages apocryphes. Je n'en dis certes pas autant du duc Garsie-Sanche, dit le Courbé. Mais celui-ci n'avait pas pour père l'apocryphe Mitarra-Sanche. Il était fils de Sanche-Garsie, premier duc connu de Gascogne, qui exerçait déjà son autorité en 904, et qui était frère de Fortun-Garsie, roi de Navarre, auquel il succéda, quand celui-ci abdiqua pour se faire moine au monastère de San-Salvador de Leyre (905). Le second duc de Gascogne fut Garsie-Sanche, dit le Courbé, l'un des fils du nouveau souverain navarrais. Sur le partage de la succession de celui-ci, je suis d'accord avec mes devanciers, mais sous le bénéfice d'une observation importante. Garsie-Sanche, dit le Courbé, tenait en fief du roi de Navarre le duché de Gascogne, qui n'était pas encore diminué du comté primitif de Fezensac. Il tenait en fief des comtes de Toulouse le comté primitif d'Astarac, comme je le prouverai au bon moment. Ce comté ainsi que la vicomté de Magac et le comté de Pardiac, formés à ses dépens, ne sont donc pas à comprendre dans la Gascogne ducale, mais bien dans la Gascogne toulou

saine. Par contre, il faut attribuer à la première le comté de Fezensac, qui fut deux fois réduit, le comté d'Armagnac créé aux dépens du précédent, et l'Eauzan. Ajoutons la vicomté primitive de Fezensaguet, démembrée du comté de Fezensac, et qui ne dépassait pas, du côté de l'Est, le cours de l'Arrats, affluent de la Garonne (rive gauche). La partie sise de l'autre côté de ce cours d'eau appartenait au Toulousain, et elle ne fut ajoutée que plus tard à ladite vicomté. Voilà pourquoi, dans un intérêt purement pratique, je préfère n'en parler que dans mes recherches concernant la Gascogne toulousaine.

Tels sont les points importants où je suis tantôt en discordance, tantôt en concordance, avec mes devanciers. Je n'adopte pas non plus leur façon de voir sur d'autres questions, et il y paraît assez par les mémoires que j'ai déjà publiés. Ces travaux améliorés et remaniés passeront dans mon Histoire générale de la Gascogne jusqu'à la fin de l'époque ducale.

Depuis l'époque où le duché de Gascogne perdit le comté primitif de Fezensac, jusqu'à celle où il fut annexé à celui de la Guienne, ce grand fief ne subit aucun retranchement, pour apportionner même un seul membre de la famille ducale. Les ducs y conservèrent en propre, comme il est légitime de l'induire des actes de leurs ayantsdroit, non seulement l'autorité suzeraine, mais la seigneurie directe de quantité de terres. Sans doute, nous trouvons dans le comté de Grande Gascogne les vicomtés anciennes et plus ou moins importantes de Tartas, de Marsan, de Tursan, de Gabardan, de Juliac, de Marensin, de Dax, de Maremne, sans compter d'autres seigneuries, qui devaient et faisaient hommage aux rois d'Angleterre et de France, comme ayants-droit des ducs de Gascogne, par l'intermédiaire de ceux de Guienne. Mais aucun document ne permet de croire, ni même de supposer que les

familles qui possédèrent d'abord ces vicomtés, fussent issues des ducs de Gascogne.

Il est certain qu'au temps de ces ducs, et avant comme après la mort de Garsie-Sanche, dit le Courbé, jusqu'au décès de Bérenger, leur fief soit intégral, soit réduit du comté primitif de Fezensac, releva du royaume de Navarre. Néanmoins aucun des actes dont nous disposons, actes d'ailleurs bien peu nombreux, et rédigés dans ledit duché, n'est daté du règne d'aucun souverain navarrais. Dans le comté de Fezensac, plusieurs de ces actes sont datés du règne d'un roi de France, et d'aucun pour tout le surplus.

II

Voilà pour la Gascogne ducale. Passons à la Gascogne pyrénéenne, dont le nom ne se trouve pas plus que celui de la précédente dans les livres de mes devanciers. Ce nom, je le forge à mon usage, parce qu'il m'est fort commode, pour désigner une région à la fois historique et naturelle, la région constituée par le versant nord des Pyrénées centrales et occidentales avec les pays immédiatement sous-jacents. Ce vaste territoire englobe, en marchant de l'est à l'ouest, la vicomté de Couserans, le comté de Comminges, la vicomté de Nébouzan, le comté d'Aure, le comté de Bigorre, le pays de Rivière-Basse, la vicomté de Béarn, la vicomté de Soule, la Basse-Navarre et la vicomté de Labourd. C'est donc une région naturelle. Il s'agit maintenant de prouver que ce fut aussi une région historique.

Tenant pour certain que le duché de Gascogne était un fief relevant du royaume de Navarre, une longue bande de terre s'étendait de les à l'ouest, bornée au nord par ledit duché et au midi par la ligne de faite des Pyrénées, qui la séparait de la Navarre espagnole. Or, cette terre

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