offraient, ce qui est assez remarquable, beaucoup de ressemblance avec des documents dont la publication avait été annoncée en 1834 à Londres, par une aventurière surnommée la Contemporaine, et qui avaient paru depuis à Paris en 1841, dans la Gazette de France, puis dans la France. Ce dernier journal, poursuivi par le gouvernement de Guizot pour usage de faux, avait été acquitté, bien qu'une grande partie des pièces fussent évidemment fabriquées (1). Mais les documents du Foreign Office, tous autographes, datés et signés, avaient un autre caractère. Il en résultait que Louis-Philippe, en 1808, avait, une première fois, demandé à venir d'Angleterre en Espagne pour y chercher sa mère, alors réfugiée à Figueras. Il y avait été autorisé, et avait cherché ensuite à rester dans la Péninsule, à la tête d'un corps de troupes napolitain. Une seconde fois, en 1810, il avait été appelé par le Conseil de régence d'Espagne à prendre le commandement des troupes nationales en Catalogne. Le ministre d'Angleterre à Palerme avait autorisé son départ. Mais l'accueil qu'il avait reçu en Espagne et sa propre attitude avaient inquiété le ministère britannique et on l'avait obligé à se rembarquer. Dans les deux circonstances, Louis-Philippe avait protesté par écrit, auprès des cours de Naples et de Londres, de la pureté de ses intentions, mais en quels termes! « Mon objet est pur, écrivait le prince, mes expressions sont simples. Jamais je ne porterai de couronne tant que le droit de ma naissance et l'ordre de succession ne m'y appelleront pas. Jamais je ne me souillerai en m'appropriant ce qui appartient légitimement à un autre prince. Je me croirais avili, dégradé, en m'abaissant à devenir le successeur de Buonaparte... J'aspire à être un des instruments dont la Providence se servira pour en délivrer l'espèce humaine, pour rétablir sur le trône de mes ancêtres le roi mon aîné et mon maître... » Et encore: « Je suis lié au roi par tous les (1) Sur cette affaire, v. Revue rétrospective, 11-15, et Thureau-Dangin, IV, 435 et suiv. serments qui peuvent lier un homme et je serais le plus vil des parjures si je pouvais seulement songer à les violer... Il n'y a que des parvenus sans naissance et sans âme qui s'emparent de ce que l'honneur leur défend de s'approprier. » Et le prince ajoutait, avec toute l'imprévoyance de la jeunesse : << J'écris cela parceque verba volant et scripta manent (1). » D'autres lettres, de 1809, rappelaient combien il était « peu Français », protestaient de sa fidélité à la Grande-Bretagne : << Mon attachement pour elle restera le même en quelque lieu que la fortune puisse me conduire, et tant que j'existerai je ne cesserai de faire des vœux pour la prospérité de l'Angleterre, pour le succès de ses armes, et pour que les circonstances me mettent enfin à portée de déployer mon zèle pour la cause glorieuse qu'elle soutient avec tant de persévérance (2). » On conçoit aisément ce qui aurait pu se passer si Louis-Philippe et Guizot avaient connu la démarche secrète de lord Palmerston. Le ministre anglais avait-il l'intention que les pièces compromettantes pour Louis-Philippe fussent, à Paris, communiquées à la presse? Rien ne permet de le croire (3). Il est probable qu'il voulait surtout s'en servir pour convaincre les puissances européennes de la duplicité du roi des Français, et les amener à blâmer l'attitude de son gouvernement dans l'affaire des mariages espagnols. Si telle était son intention, il y échoua complètement. Ni à Berlin, ni à Vienne, ni même à Saint-Pétersbourg, il ne parvint à obtenir une déclaration qu'il pût utiliser contre la France. Guizot put tirer avantage de cet échec: « C'est, dit-il, le fruit de six ans de bonne politique: elle nous fait pardonner notre succès, même par les cours qui ne nous aiment pas (4). » (1) A Canning, 7 septembre; à la Reine de Naples, 8 juillet 1808. F. O., ibid. Au duc de Portland, 12 décembre 1809. F. O., ibid. Les mêmes formules sont répétées dans une lettre du même jour à Georges III. (3) Il avait fait écarter du mémoire les nombreuses demandes d'argent adressées, à l'époque, par le duc d'Orléans aux ministres anglais. (4) Thureau-Dangin, VI, 260. Il ne restait plus à Palmerston que d'essayer une vengeance personnelle contre Guizot. Il le tenta à la fin de 1846, quand il crut pouvoir préparer, pour la rentrée des Chambres, d'accord avec l'opposition politique française, le renversement des ministres de Louis-Philippe. C'est à ce moment qu'il entra en rapports avec Thiers, par le canal de l'un des bibliothécaires en chef du British Museum, sir Anthony Panizzi, qui était l'ami intime de l'ancien ministre. Bien qu'une partie seulement des pièces de la correspondance engagée à ce sujet soit connue (1), il semble que l'initiative des pourparlers soit venue de Thiers. Il demanda et obtint des documents pour combattre la politique de Guizot et critiquer son exposé de la négociation. Lord Normanby, qui avait remplacé lord Cowley à l'ambassade de Paris, et qui était un homme politique plus qu'un diplomate, eut aussi de fréquents rapports avec le chef de l'opposition. Guizot, mis au courant des menées de son adversaire, entra de son côté, par l'intermédiaire de Mme de Liéven, en correspondance avec quelques-uns des ministres anglais, entre autres lord Clarendon. Un médiateur officieux, Charles Greville, vint à Paris au début de janvier 1847, et une sorte de négociation s'ébaucha qui tendait à renouer, si possible, par dessus la tête de Palmerston, les liens brisés de l'entente cordiale. Mais Thiers vint au travers de cette combinaison; il essaya d'intimider Greville en lui répétant que Guizot avait perdu la confiance du roi, et que Louis-Philippe, trop « poltron » pour braver l'Angleterre, le renverserait bientôt. Puis il avertit Palmerston. Le Times révéla l'espèce de mission confiée à Greville, et Palmerston publia sur les mariages espagnols un Blue book qui rendit toute conciliation désormais impossible. Dans les der (1) Les lettres de Thiers et une partie de celles de Panizzi ont été publiées par Fagan (The life of sir Anthony Panizzi) et utilisées par ThureauDangin (VI, 180 et suiv.). Les minutes de Thiers, ainsi que les réponses de Panizzi devraient se trouver dans les Papiers Thiers à la Bibliothèque Nationale. Nous les y avons cherchées en vain. niers jours de janvier, Greville rentra à Londres sans avoir réussi (1). A la rentrée des Chambres, les explications de Guizot avaient été fort bien accueillies par la majorité. Le discours du trône était muet sur les relations avec l'Angleterre. Le duc de Broglie, à la Chambre des pairs, railla justement l'opposition qui, naguère furieuse contre un ministère « esclave de l'Angleterre », lui reprochait maintenant d'avoir « sacrifié l'alliance anglaise ». Guizot fit le récit des négociations à son point de vue, ne parla plus que d'une « amitié générale » avec l'Angleterre et recueillit des applaudissements presque unanimes. A la Chambre des députés, Thiers, après quelque hésitation, prit la parole, et s'appuyant sur deux dépêches de lord Normanby, publiées dans le Blue book, il accusa Guizot d'avoir varié dans son attitude, au sujet du mariage Cobourg, et d'avoir provoqué, sans un motif valable, la rupture de l'alliance anglaise. Guizot se défendit hautement, reconnut << la gravité de la situation »>, mais ne craignit pas de prendre la responsabilité des conséquences. Quand la discussion de l'adresse fut terminée, il recueillit 248 voix contre 84. La rupture devenait, de ce fait, en quelque sorte officielle. Elle dégénéra bientôt en querelle personnelle entre Guizot et Normanby. Le ministre avait dit à la tribune que dans une dépêche du 25 septembre, à laquelle Thiers avait fait allusion, l'ambassadeur avait mal reproduit ses paroles. Normanby persista dans ses dires, et les journaux de gauche soutinrent que Guizot avait menti. Un peu plus tard, Guizot ayant reçu une invitation à l'ambassade d'Angleterre, Normanby lui écrivit que c'était par une méprise due à l'erreur d'un secrétaire. Guizot raconta l'histoire, et le jour du bal, donna lui-même une réception; l'affluence fut très grande, tandis que les salons (1) Toute cette négociation est racontée dans les Mémoires de Greville, 2 partie, II, 426 et suiv., III, 19 et suiv. Elle est longuement étudiée dans Thureau-Dangin, VI, 284 et suiv. de Normanby demeurèrent presque vides. Il fallut que l'ambassadeur d'Autriche, Apponyi, s'entremit pour arranger cette ridicule affaire. IV Jusqu'à la fin de la monarchie de juillet, les relations francoanglaises devaient rester désormais non seulement froides, mais proprement hostiles. Du moment de sa rupture avec la France, Palmerston commença de soutenir, en Europe, les mouvements nationaux qui se préparaient. Il expédia en Italie lord Minto, pour encourager le pape et le grand-duc de Toscane dans leur politique libérale et nationale. Il protesta contre l'annexion de Cracovie par l'Autriche, que Guizot laissa passer sans même un blâme. Et il chercha partout en Europe à susciter des adversaires à la France. A la fin de janvier 1847, il écrivait à Bloomfield, ministre à Pétersbourg, une lettre confidentielle qui, en même temps qu'elle marque un effort pour se rapprocher de la Russie, représente, de sa part, une sorte d'oraison funèbre de l'entente cordiale avec la France (1): « Nous sentons qu'une cordiale et intime entente entre l'Angleterre et la Russie est essentielle pour les intérêts des deux pays, et qu'il n'y a rien, dans une politique bien comprise de leur part, qui puisse prévenir ou empêcher une pareille intimité et cordialité. Nous sentons vivement, et nous sommes parfaitement convaincus que si nous sommes dans des termes d'intimité et de cordialité avec la Russie, nous pouvons nous reposer sur sa bonne foi et sa sincérité, et compter sur sa fermeté; car en ce qui concerne nos bons amis et voisins les Français, on ne peut se fier à eux d'une semaine à l'autre ou du soir au lendemain. Même quand ils n'ont pas l'intention arrêtée de (1) F. O., private collections, Bloomfield papers, 29. |