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sait souhaitable et possible, pourvu que l'Angleterre demeurât gouvernée par des grands seigneurs, assez intelligents, assez sceptiques, assez riches pour se placer, en politique, en religion ou en affaires, au-dessus de ce qu'il appelait les préjugés, c'est-à-dire des principes et aussi des sentiments. L'Angleterre d'avant 1834 lui paraissait telle: gouvernée par les tories, ou même par des whigs de l'ancien type, tels que lord Grey, avec un Parlement et une presse où les gens du commun, avocats, clergymen et boutiquiers, ne pénètrent pas, où leurs intérêts sont sans influence et leurs passions sans écho.

Il n'allait jamais à Westminster, lisait peu les journaux, ne fréquentait que la haute société anglicane et conservatrice: aussi s'est-il longtemps mépris sur la valeur et les conséquences du bill de réforme de 1832. Sans doute y a-t-il vu d'abord une espèce de charte de 1830, une petite concession qui ne changerait presque rien au fond des choses. Il jugeait, au début, les hommes d'Etat whigs en tout semblables à nos doctrinaires de juillet, vite convertis à la résistance par l'exercice du pouvoir et la crainte du danger révolutionnaire.

Avec eux, et sur des doctrines communes, on pouvait conclure enfin une alliance permanente, qui sauverait la paix et les restes de l'ancienne société. Tout au plus, s'il fallait à l'Angleterre gagner les hommes nouveaux, manufacturiers et marchands, soucieux avant tout des profits immédiats, on y pourvoirait par un rapprochement commercial, comme en 1786, par le traité Eden où il avait lui-même eu quelque part, on avait complété le traité de Versailles.

Trois ans d'efforts avaient montré à Talleyrand son erreur. En écrivant sa lettre de démission, au mois de novembre 1834, il se félicitait d'avoir obtenu pour la Révolution de Juillet droit de cité en Europe, et de l'Angleterre une coopération qui n'avait rien coûté à notre indépendance ni à nos susceptibilités nationales. Mais il devait se reconnaître incapable de faire davantage. « Homme d'un autre temps, je me sens devenir étranger à celui-ci... Nous avons, depuis quatre années,

tiré de l'Angleterre tout ce qu'elle pouvait nous donner d'utile. Puisse-t-elle ne nous rien transmettre de nuisible! L'Angleterre s'est étrangement modifiée et je ne pense pas qu'elle puisse s'arrêter dans la nouvelle route qu'elle parcourt. Je ne me sens pas appelé, je l'avoue, à la suivre (1). »

C'était l'oraison funèbre de l'alliance anglaise, prononcée en secret, à l'heure où les harangues officielles en proclamaient l'heureuse et durable existence.

Pendant les six années qui vont suivre, des efforts seront encore faits pour la ressusciter, au moins en apparence. Ils n'aboutiront qu'à produire, en 1840, une rupture éclatante, due moins peut-être à des querelles d'influence politique et à des intrigues de diplomatie, qu'à l'absence de lien moral et surtout d'intérêts communs entre les deux nations voisines.

(1) Mémoires de Talleyrand, V, 474 et suiv. Cette idée de la décadence anglaise était très répandue en France à cette époque. LedruRollin en fera le sujet de ses deux volumes sur la décadence de l'Angleterre, parus en 1850.

CHAPITRE IV

LE CONFLIT ÉCONOMIQUE

(1835-1839)

I. Le conflit des traités de commerce en Espagne et en Portugal. Le conflit en Grèce. Le conflit colonial au Sénégal (Portendick) et en Algérie. — II. Le conflit des capitaux : emprunts publics, banques, chemins de fer. Le conflit douanier : tarif des textiles et négociations commerciales de 1839.

I

La retraite de Talleyrand se trouva coïncider, en France et en Angleterre, avec une période de troubles politiques et d'intrigues parlementaires qui éloignèrent, pour un assez long temps, l'attention publique des affaires extérieures. A Londres, le roi congédia le ministère Melbourne à la faveur d'un incident minime, appela Robert Peel et les conservateurs, qui firent de nouvelles élections. Mais les whigs revinrent en grande majorité aux Communes et au mois d'avril 1835, Melbourne reprit le pouvoir, avec Palmerston au Foreign Office. A Paris, pendant près d'une année, Louis-Philippe chercha les moyens d'éviter le retour au ministère du duc de Broglie, qu'il ne pouvait souffrir, et d'y faire entrer des personnages à la fois dociles et décoratifs, formés jadis par Napoléon à l'obéissance: Soult,

Gérard, Maret ou Mortier. Broglie devait enfin, le 12 mars 1835, prendre la présidence du Conseil et le ministère des Affaires étrangères. Mais quand Palmerston et lui se trouvèrent à nouveau en rapports, l'heure d'une alliance, ou même d'une collaboration cordiale entre les deux nations, semblait passée à l'un comme à l'autre.

Palmerston n'avait consenti à entrer dans le ministère Melbourne qu'à la condition d'y avoir le portefeuille des Affaires étrangères. Le premier ministre hésita longtemps à le lui donner, et ne s'y décida que par crainte de mécontenter à la fois le roi Guillaume IV et la majorité parlementaire (1). Palmerston savait que sa chute avait été saluée à Paris comme un bienfait, que son retour aux affaires serait accueilli sans joie, mais il n'était pas, quand il le voulait, dépourvu de moyens pour plaire. Au mois de février 1835, le maréchal Sébastiani avait remplacé Talleyrand comme ambassadeur à Londres, et ses rapports avec Wellington, chargé des Affaires étrangères dans le cabinet Peel, avaient été assez froids, bien que corrects. Palmerston combla le vieux maréchal de complaisances et de flatteries. Au bout de quinze jours, il l'avait conquis. << Mes rapports avec le gouvernement nouveau deviennent chaque jour plus intimes, écrivait l'ambassadeur, je le trouve tel que je l'attendais et que nous avons jamais pu le souhaiter. La bonne grâce de lord Palmerston et de ses collègues ajoute encore à la satisfaction que j'éprouve. » Lord Cowley, que Wellington avait nommé ambassadeur en France, fut rappelé et l'ancien titulaire du poste, lord Granville, y revint aussitôt. Il avait la confiance personnelle de Louis-Philippe et fut très bien accueilli quand il reparut aux Tuileries à la fin de mai. Mais ces bons rapports apparents ne firent que masquer le désaccord réel des deux politiques, elles-mêmes expression d'intérêts opposés.

(1) Melbourne à Grey, 14 avril 1835. Melbourne papers, 268 et 278. On crut d'abord à Paris que le Foreign Office serait confié à lord Dutham ou à lord Russell (Sébastiani à Broglie, 14 avril),

Les premières difficultés vinrent de l'Espagne et de la façon différente dont la France et l'Angleterre entendaient appliquer la quadruple alliance. Peu de temps avant de quitter le pouvoir, Wellington, à la demande du ministre espagnol Martinez de la Rosa, avait envoyé un agent spécial, lord Eliot, au quartier général de don Carlos. Sa mission ostensible était de négocier un échange de prisonniers carlistes contre les volontaires anglais de l'armée d'Isabelle, capturés par les troupes du prétendant. En réalité Eliot devait persuader Carlos que sa position était désespérée et qu'il ferait mieux d'abandonner la lutte. Broglie fut sollicité d'adjoindre à Eliot un agent français, mais ni lui ni le roi n'y consentirent. (1)

Un peu plus tard, la mission d'Eliot ayant complètement échoué, la régente d'Espagne demanda l'intervention directe de l'armée française. Louis-Philippe s'y était toujours opposé, et son refus était certain, mais il crut habile de poser aussi la question à l'Angleterre, en application de la quadruple alliance, afin de se prévaloir au besoin à Madrid de l'opposition britannique. Et de fait, Palmerston désapprouva tout projet d'intervention. Au fond, chacun des deux gouvernements soupçonnait l'autre de vouloir exercer en Espagne une influence politique exclusive et plus encore une sorte de monopole commercial. Martinez de la Rosa, jadis réfugié en France, lié avec Guizot et qui, dans la constitution espagnole de 1834, prétendit appliquer les principes des doctrinaires, passait pour l'homme de la France. L'ambassadeur d'Angleterre était, au contraire, soupçonné de pousser au pouvoir le financier Mendizabal, chef éventuel des progresisstas ou exaltados, dont les liens anciens et étroits avec le Foreign Office étaient peu connus mais réels (2). En juin 1835, Martinez de la Rosa fut renversé

(1) Détails dans Hall, 185-187.

(2) De 1836 à 1843 il correspondra régulièrement avec le Foreign Office par l'intermédiaire de la banque Fould et Oppenheim. Ces lettres sont au Record Office F. O. 148, volume 19. V. dans Ashley, 1, 34, des traces de l'enthousiasme des whigs pour ce personnage.

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