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COINS DE BRETAGNE

MARIE-ROSE

Caché dans un pan de la robe verte de Brocéliande, Quintin de quistain, châtaigne doit évidemment son nom à sa parure

naturelle.

Vu du haut du clocher, l'horizon forme un cercle où l'œil charmé caresse la mouvante chevelure des bois: Robien, Crenan, la NoëSèche', Beaumanoir, la Perche, la Harmoy, l'Hermitage, superbes morceaux de cette mystérieuse forêt de Lorges où passe l'ombre de Merlin.

Dans Quintin même, des plantations vigoureuses ombragent places et promenades.

Plusieurs routes partent de la ville; l'une des plus belles longe le château et borde l'étang.

Pittoresque ce vieux château, que la nature pare à chaque printemps! Fougères, valérianes, ravenelles ou labiées poussent à l'aise, fleurissant de bouquets champêtres le lierre sombre qui envahit les créneaux et jette sur les terrasses ou le Pavillon carré son exubérante verdure, linceul des ruines!

Il croit son mur gâté quand une fleur y pousse du seigneur de Quintin, Musset n'eût point dit cela !

Démantelée en 1294, Quintin possédait en 1363 un château qu'on appelait alors le Château Neuf.

Pierre de Rohan s'étant déclaré le partisan du roi de France

'Propriété de l'amiral Cuverville.

(en 1487), les troupes du duc de Bretagne s'emparèrent du château et pillèrent deux fois Quintin'.

En 1592, c'est Mercœur qui prend la ville au comte de Laval et détruit le château.

Amaury III, marquis de la Moussaye, avait épousé Henriette de la Tour d'Auvergne, sœur de Turenne. En 1638, il acheta des La Trimouille la terre princière de Quintin.

Le marquis et la marquise de la Moussaye firent construire trois pavillons sur l'emplacement du vieux château. Zélés calvinistes, ils propageaieut le culte dissident, et Denis de la Barde, évêque de Saint-Brieuc, dut combattre leur influence. Il empêcha l'achèvement du château de Quintin.

Au cours d'un long procès, ayant rencontré l'éminent prélat sur le perron du palais, à Rennes, Henriette de la Moussaye osa lever la main.

Denis de la Barde, par son admirable patience, triompha enfin de la vivacité de la marquise et de la réforme.

Pas un Quintinais qui ne soit connu de tous ses concitoyens ! Artisans, nobles et bourgeois, confondus le matin à la Collégiale, échangent un fraternel salut en se rencontrant ailleurs.

Aujourd'hui, par ce doux soleil d'été, les vêpres dites, nombre de promeneurs s'égaillent sous le château, sur la chaussée. On se groupe pour causer un p'tit ou flåner ensemble.

La famille Le Turdu est l'une des plus estimées dans le pays. A l'époque où la baronne de Quintin tentait, d'une main trop prompte, de se venger elle-même, le nom des Le Turdu figurait déjà de père en fils sur les registres de la congrégation de SaintYves. Titres de ferme catholicité, ils ont leur valeur dans une ville, jadis rempart du calvinisme.

Vincente Le Turdu est la veuve d'un riche marchand de toile. Frappée de paralysie, elle végète dans un repos forcé, qui devient, pour cette ménagère si active autrefois, un supplice rageusement enduré. Excellente femme, malgré son humeur revêche! Vincente,

' Annuaire des Côtes-du-Nord, 1841. Portraits bretons, S. Ropartz. Histoire de la ville de Saint-Brieuc, Lamarre (Bibliothèque de M. Félix du Bois et Sévrin).

parmi ses huit enfants, compte un fils au séminaire et deux grandes filles, Marie-Rose et Louisane, qui, tour à tour, soignent leur mère le dimanche, ou promènent les garçailles.

C'est Marie-Rose. cette fois, qui surveille la jeunesse. A pas lents elle suit la chaussée sans perdre de vue ses frères et ses sœurs. L'étang de Quintin disparaît à demi sous les ombrages dont le reflet sombre encadre la glace unie des eaux.

Des nénuphars ouvrent leurs corolles satinées dans l'humide fouillis des feuilles rondes.

Les riverains empiétant sans cesse, encore un peu l'étang aura disparu, au détriment du site. Quelle impression de paix et de poésie se dégage de ce tableau !... Même paix, plus de poésie peut-être, dans l'àme sérieuse de Marie-Rose; poésie vivante, mais intime, que nul regard curieusement banal ne déflore...

Marie-Rose ! C'est une beauté dans la pleine floraison de ses vingt-cinq ans, aussi que de saluts! La fille aînée de Vincente répond d'un mot avec cette dignité instinctive qui impose. Le long châle souple des Quintinaises cache sa taille. Ses lèvres pourpres, ses yeux noirs et profonds, ses traits corrects sont un ensemble captivant sous l'ombre très légère de la coiffe de dentelle dont les deux larges pans, retournés en cornet, se rattachent au sommet de la tête: coiffure antique et sévère où la simplicité n'exclut point la grâce.

De l'autre côté de la route, les enfants suivent d'un air amusé les cascades neigeuses qui, sortant du bel étang paisible, endormi, rebondissent avec fracas sur les roues luisantes et noires d'un moulin.

En face, le calvaire. La haute croix, que supporte un artistique piédestal de granit, ne semble-t-elle pas bénir le voyageur qui la salue avant d'entrer dans l'ancienne chapellenie de Saint-Jean, actuellement Quintin ?

Marie-Rose, à droite du calvaire, gravit un ravin plein d'ombre et de fraîcheur sous les vieux ormes de ses talus.

- On va à la Roche-Longue! clama Antoine Le Turdu, un espiègle qui grimpe aux arbres comme un écureuil (quand MarieRose n'est pas là) et connait mieux que personne les fourrés où la rulace (rouge-gorge) a caché son nid.

TOME VIII. NOVEMBRE 1892.

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Toujours devant, il enfile en éclaireur le sentier et chante à tuetête un refrain de chanson de chouans que Vincente Le Turdu se plaît à fredonner encore à huis-clos :

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A bas les daous ourrès,

Vive le bian (bis)!

A bas les daous ourrès,

Vive le bian qu'est dans l'mitan!

(A bas les deux ourlets, vive le blanc qui est dans le milieu).

Un homme arpentait le chemin devant le garçonnet. Aux étourdissantes clameurs d'Antoine il se retourne et redescend.

- Tiens! voilà Thurian Leuduger qui s'attire!

Ne hûche (crie) pas de même, jeune insurgé !.......

Thurian voulait tirer l'oreille au coupable, mais Antoine était déjà loin !...

Les autres enfants assaillent le nouveau venu.

Cousin, tu dénicheras des merles, dis?

- Il faut happer des papillons !:..

Ce sont les filles qui, pour leur malheur, disent étourdiment: " faut!

Thurian ne promit rien.

C'est un homme d'une trentaine d'années, ni beau, ni laid, la voix très douce et cette physionomie placidement honnête qu'on trouve à chaque pas dans Quintin. Ses allures timides contrastent avec sa forte carrure.

Il rejoint Marie-Rose.
-Bonjour, ma cousine.
-Bonjour, Thurian

Tous les deux remontent le ravin et Thurian s'efface pour laisser passer Marie-Rose quand l'étroitesse du sentier ne leur permet plus de marcher de front.

Les enfants se sont dispersés.

Marie-Rose est silencieuse; son compagnon semble distrait.

A la barrière d'un clos, une génisse tend son muffle luisant et souffle.

Pour atteindre la roche lorsqu'on y veut aller par ces jolies côtes de haut et de bas il faut traverser une ferme. Un dogue en défendait l'approche, mais, à la vue des promeneurs, une Brette fit taire ce trop vigilant Cerbère.

Cependant la jeune famille de Marie-Rose, fort impressionnée par les crocs du dogue et par ses aboiements expressifs, s'était mise sous la haute protection du cousin Thurian.

- Il est méchant le chien! balbutia le petit Antoine, qui ne songeait plus à chanter.

Il est méchant. . tant mieux sourit Thurian.

Antoine regarda son grand cousin.

La fille de ferme, elle, se mit à rire :

Eh oui, tant mieux, parc' que oui...

Pour interdire l'entrée de l'aire de la ferme, une bourrée d'épines bouchait le passage laissé pour les charrettes; Thurian l'enleva. Les enfants avaient escaladé le muretain et couraient comme des fous dans l'admirable prairie vallonnée, au sommet de laquelle se dresse la Roche-Longue.

La Brette regardait curieusement Marie-Rose qui, de son pas toujours tranquille, franchissait le passage déblayé.

Nous deshayons, lui dit la fille de Vincente, mais n'ayez crainte, tout sera mis en place.

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