Page images
PDF
EPUB

des fêtes en l'honneur de Le Sage, et M. Ballu, directeur de l'enregistrement, de leurs bons procédés. Au dessert M. Riou, le très distingué maire de Vannes, a pris la parole, et dans un toast charmant, associé à la gloire de son mari Mme de la Rochette qui a été vraiment, dit-il, sa Muse inspiratrice. M. Ballu félicite ensuite M. de la Rochette sur la composition de son monument qui n'a rien de banal ni de commun, mais où tout est d'un sentiment original et élevé.

Le lendemain, la Société polymathique du Morbihan a organisé une promenade à Suscinio, Sarzeau, Saint-Gildas de Rhuys, sous la conduite de M. le comte Régis de l'Estourbeillon qui s'est acquitté de sa tâche avec une amabilité et une habileté auxquelles nous nous plaisons à rendre hommage. On nous montra le vieux château de Suscinio où notre sainte Françoise d'Amboise fit sa première communion, et dont le propriétaire M. Dumoulin, maire de Sarzeau, s'empressa de nous faire les honneurs avec la plus grande affabilité; puis le bourg de Sarzeau où naquit Le Sage, dont la maison porte la date de 1653, ce qui prouve qu'elle était nouvellement construite lorsque Le Sage y naquit en 1668; enfin la vieille église de ce village, si habilement restaurée par son recteur et décorée de plusieurs tableaux superbes des élèves du Poussin, auxquels le maître a dû mettre la main sans doute. Le déjeuner qui nous fut servi dans cette localité était exquis. Au dessert M. l'abbé Max. Nicol se leva et, à titre de président de la Société polymathique, après avoir rappelé qu'il était né dans la maison même où avait lieu le banquet, à Sarzeau, sur cette vieille terre de Rhuys, « terre trois fois sacrée, suivant l'expression de Brizeux, s'empressa de souhaiter la bienvenue dans son pays natal aux personnes présentes à cette excursion et en particulier aux représentants de la Société des Bibliophiles bretons, en cette occasion représentée par MM. Olivier de Gourcuff et Dominique Caillé. M. Olivier de Gourcuff, ému de cet aimable. accueil, témoigna chaleureusement toute sa reconnaissance à M. l'abbé Nicol, et M. Dominique Caillé se joignit à son collègue pour féliciter l'aimable président de la Société polymathique et le poète charmant d'Une voix de Bretagne auquel M. Audren de Kerdrel, lors de la clôture du Congrès breton, se plaisait à rendre hommage.

[ocr errors]

On descendit ensuite le bourg pour visiter la maison de Le Sage, à la grande stupéfaction de la propriétaire qui répondit qu'il n'y avait rien d'extraordinaire à montrer dans sa maison et qui en refusa obstinément l'entrée; puis on remonta en voiture pour se rendre à Saint-Gildas de Rhuys visiter la vieille église romane qui contient les restes vénérés de six saints bretons. M. le recteur nous montra avec beaucoup de complaisance le trésor de son église, le buste en argent de saint Gildas, la superbe mitre d'Abélard, etc.,etc. On se rendit ensuite à Port-Navalo, où l'on embarqua pour retourner à Vannes par une soirée délicieuse sur ce golfe du Morbihan qui compte autant d'îles que de jours l'an, suivant un proverbe, et dont notre collègue, M. Robuchon, ne manquera pas de nous donner prochainement l'aspect dans ses Monuments et Paysages de Bretagne, après les avoir admirés avec nous dans cette délicieuse excursion.

M. JULES ROBUCHON

Paysages et Monuments de la Bretagne

(Suite).

La notice de M. Georges de Cadoudal sur Carnac est particulièrement intéressante. Il a étudié avec le plus grand soin les monuments mégalithiques qui donnent à cette région du Morbihan un caractère si particulier.

Les alignements mégalithiques de la côte morbihannaise, entre la rivière de la Trinité et celle d'Etel, se fractionnent en six groupes désignés par le nom des hameaux ou villages près desquels on les rencontre ce sont, dans la commune de Carnac, ceux de Kerlescan, de Kermario et du Menec; dans celle de Plouharnel, celui de Sainte Barbe; dans Quiberon, celui de Saint-Pierre ; enfin, en dehors du canton de Quiberon, celui d'Erdeven. La direction de tous ces groupes n'est pas uniforme ; mais, en général, ils vont sensiblement de l'est à l'ouest. A l'est, dans chaque groupe, on rencontre tout d'abord des menhirs1 de petite taille; les allées qui les séparent sont resserrées, puis elles s'élargissent à mesure que l'on s'avance vers l'ouest, et les pierres qui les bordent grandissent progressivement.

De ces six groupes, le plus important est celui d'Erdeven, appelé aussi groupe de Kerzérho. Ses neuf lignes se développent sur une étendue de plus de 2,000 mètres, leur largeur mesure 55 mètres en commençant

On appelle menhir (pierre longue) les pierres brutes et volumineuses, dressées comme des obélisques. Les pierres en forme d'autel supportées par d'autres fichées en terre ont reçu le nom de dolmen (ou mieux daul-men, table en pierre).

et 255 mètres lorsqu'elles se terminent. La route de Plouharnel à Erdeven traverse les lignes à cette extrémité, et de nombreux menhirs ont été détruits au moment de sa construction. Il reste encore cependant 1,030 pierres, dont quelques-unes de dimensions imposantes; il en est de près de 7 mètres de hauteur, et cubant près de 8,000 kilogrammes. Sur l'âge des alignements mégalithiques, ainsi que sur leur destination, les opinions les plus diverses ont été émises.

Si nous interrogeons la légende, elle nous répondra qu'un jour le saint pontife Corneille (en breton san Cornely), poursuivi par des bandes armées, acculé à la mer, se serait retourné et aurait changé en pierres les barbares qui voulaient le massacrer. De là ce nom de soudardet san Cornely (soldats de saint Corneille) donné aux alignements.

Les soldats de deux rois idolâtres

Poursuivaient notre saint, déjà l'ami des pâtres,
Et sur un chariot trainé par de grands bœufs
Le bon vieux Cornéli se sauvait devant eux.
Or, voici que la nier, terrible aussi, l'arrête.

Alors le saint prélat, du haut de sa charrette,
Tend la main les soldats, tels qu'ils étaient rangés,
En autant de menhirs, voyez ! furent changés'.

La tradition, si vivace dans nos populations bretonnes, dont certaines ornent encore leurs vêtements de broderies dessinées comme les hiéroglyphes sculptés sur les dolmens, a donné le nom de « Camp de César > à quelques parties des groupes mégalithiques. C'est sans doute cette tradition qui, au siècle dernier, fit supposer à un ingénieur militaire, M. de la Sauvagère, que l'on se trouvait en présence d'un ouvrage romain, et que les conquérants avaient dressé ces obstacles pour mettre leurs tentes à l'abri du vent. M. de Pommereul, capitaine d'artillerie, et M. de Caylus, l'auteur des Antiquités, combattirent cette doctrine; le second, en particulier, émit l'opinion, aujourd'hui justifiée par les découvertes de M. Miln, que les Romains n'avaient pas élevé ces pierres, mais avaient utilisé ce terrain pour y camper. Toutefois, il ne fit aucune allusion à la destination du monument, se contentant de fixer son érection à une époque antérieure aux Gaulois. M. de Pommereul n'hésita pas à les attribuer aux Celtes. M. de Cambry, qui vint ensuite, y vit un temple celtique; il voulut en faire un thème céleste, une sorte de zodiaque consacré au culte du soleil.

Brizeux, les Bretons, chant III.

Plus récemment, le chevalier de Fréminville, étayant son opinion sur les écrits du président de Robien, d'Eloi Johanneau et de Borlase, a soutenu que ces groupes de menhirs et de dolmens étaient une vaste nécropole. Il cite les voyages de Pallas, qui décrit dans le nord de la Russie et en Sibérie des sépultures guerrières ayant absolument la même forme; il s'appuie également sur les œuvres d'Olaus Magnus, le savant archevêque d'Upsal, qui écrivait aux environs de 1555. A cette époque, les Suédois élevaient encore des monuments composés de menhirs pour indiquer les emplacements des sépultures ou l'endroit d'une importante victoire.

L'opinion de M. de Fréminville a été adoptée par M. Miln, que j'ai déjà nommé, et dont il est impossible de ne pas dire un mot lorsqu'on parle de Carnac et des monuments mégalithiques.

Après s'être livré pendant de longues années à l'étude des monuments de l'Ecosse, son pays natal, M. James Miln était arrivé, dans le courant de 1873, en Bretagne. Il rencontra à Carnac, dont il désirait visiter les alignements, M. H. du Cleuziou, en mission scientifique dans cette localité, qui lui signala, dans un groupe de champs nommés les Bosséno, un certain nombre de buttes sous lesquelles il croyait à l'existence d'une cité gauloise. M. Miln résolut aussitôt d'en faire l'exploration. Ce n'était point chose facile. Il fallait d'abord venir à bout des résistances administratives, ce qui, en France, n'est pas une petite affaire. Il fallait ensuite dépenser beaucoup d'argent. Heureusement l'honorable M. Miln était largement pourvu de deux choses: une ténacité.. bretonne, et une fortune... anglaise. Il s'établit à Carnac et se livra sans repos à des fouilles qui durèrent plusieurs années et ne furent interrompues que par sa mort.

Les résultats de ses premières fouilles, celles de 1874, dépassèrent l'attente générale : on mit au jour, à Bosséno, les ruines d'un établissement gallo-romain important, les constructions en petit appareil entremêlé de chaînes de briques ne laissant aucun doute à cet égard.

Sous la première butte fouillée, on trouva une petite maison divisée en quatre pièces. Sa voisine renfermait les restes d'une construction de onze pièces soigneusement bâtie, avec une grande richesse d'enduits et des traces de fresques coloriées. La troisième butte renfermait un balneum, dont les murs et les plafonds étaient ornés de fresques et incrustés de coquillages.

A l'ouest de ce balneum, le 14 juillet 1875, M. Miln commença les travaux de déblaiement d'une quatrième butte, il découvrit les restes d'un

« PreviousContinue »