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La paysanne qui nous guidait se signa avant de faire crier le verrou rouillé de la porte d'entrée. La foule ne vient pas là; les fêtes l'attirent et non les tombeaux.

Au moment où nous quittions la petite chapelle, deux chouettes sont parties sur nos têtes dans les sapins; un peu plus loin, des rouges-gorges se répondaient.

L'heure était bien choisie pour visiter ces lieux pleins de souvenirs tragiques!

Dans cette solitude, nous fùmes saisis par la grandeur du tableau. Sur le marais qui borde le Champ des Martyrs, la lune venait à son tour jeter ses lueurs pâlies.

Quel silence!

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Un moment je me crus transportée à cent ans en arrière, un soir de 93.

Une fusillade pouvait partir de ces bois sombres; le cri de la chouette, comme tout à l'heure, allait troubler le silence, se répéter au loin, signal promptement compris...

Rien ! c'est partout ici, maintenant, le silence et le deuil.

Une large route monte entre les taillis; on est en quelques minutes à la Chartreuse.

Un étang dort paisiblement devant son moulin, et l'on voit, par des échappées à travers les bois, d'immenses nappes de blé ou des prairies en fleurs rouler sous la brise.

Sur les talus, des chênes dont toutes les branches sont coupées dressent leurs troncs de formes bizarres, enguirlandés de lierre et de ronces.

La campagne est fort belle autour de la Chartreuse.

Un bois environne l'antique demeure des fils de saint Bruno. Les sapins dominent, jetant sur le gai feuillage des hêtres et des chênes leur tristesse de mort. Saturés de résine ils répandent une forte odeur de fraises qui persiste sous bois longtemps avec la chaleur du jour et se mêle aux vagues parfums des genêts.

Une avenue de cyprès mène à la Chartreuse.

A cette heure tardive, nous trouvàmes la grille fermée et nous ne vîmes que l'extérieur du monument où reposent les ossements des martyrs.

TOME VIII. SEPTEMBRE 1892.

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Gallia mærens posuit, lut à mi-voix, au fronton de l'édifice, la jeune femme de mon ami. Cela, fit-elle, c'est l'acte de contrition de la France !

Une route plantée et droite conduit à Auray, que nous voulions voir le lendemain.

Auray, charmante petite ville coupée en deux par une rivière couverte de bateaux marchands!

Un pont, si vieux, qu'il fait penser au pont d'Avignon, relie les deux rives.

Combien de fois les solides gars alréens, jusqu'à ce pont monumental, n'ont-ils pas fait rouler la soule?

Un petit banc de pierre court le long des parapets, offrant charitablement un siège aux vieux pour qui le trajet serait long.

A droite du pont une magnifique promenade couvre de grands arbres toute la colline. La croix du Loch s'élève au sommet. On gravit quatre-vingts marches; c'est une splendide vue de pays.

D'abord, sur la rive gauche, la chapelle de Saint-Goustan, ou Dunstan, fort en vénération, apparaît au-dessus de nombreuses maisons de pêcheurs.

Crac'h se montre au loin. On voit serpenter à travers les champs et les landes cette jolie rivière qui fait tout verdoyer sur son passage. A l'horizon, la statue de sainte Anne : Voilà notre dernière duchesse! dit avec élan notre enthousiaste compagne. Elle règne là-haut, dans la vraie patrie. Que son image, ici, nous parle toujours de bonheur dans la paix, le travail et la loyauté !

LÉO MORO.

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Sous le malheur qui les terrasse,
Ils vont, mornes, déguenillés,
Ces derniers débris de ma race
Que des félons ont dépouillés.

S'ils n'ont plus leurs signes de force,
Si l'on a rasé leurs cheveux,
Ils ont toujours leur rude écorce
Et l'immensité dans les yeux.

Les foules passent, ironiques,
Poursuivant d'un regard moqueur
Ces grands enfants mélancoliques
Que les Regrets mordent au cœur.

Pendant qu'ici, sur la bruyère,
S'abattent les usurpateurs,
Profanant les lieux de prière

Qu'habitaient nos Saints protecteurs,

Là-bas, les Bretons, dans l'angoisse,
Se contemplent, désespérés,
Loin du clocher de la paroisse
Et des Saints que vous vénérez

O puissants de la terre infâmes,
Qui vous riez de notre sort,
Vous montrez à ces pauvres âmes
L'inutilité de la mort.

Et désormais rien ne leur reste,
Ni l'Espérance, ni la Foi...
Bretagne ! ô Bretagne céleste !
Faudra-t-il renoncer à toi ?...

YVES BERTHOU.

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