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O débris! ruines de France,

Que notre amour en vain défend,

Séjours de joie ou de souffrance,

Vieux monuments d'un peuple enfant !
Restes, sur qui le temps s'avance!

De l'Armorique à la Provence,

Vous que l'honneur eut pour abri !
Arceaux tombés, voûtes brisées,

Vestiges des races passées !

Lit sacré d'un fleuve tari!

O Français ! respectons ces restes!

Le ciel bénit les fils pieux

Qui gardent, dans les jours funestes,
L'héritage de leurs aïeux.

Comme une gloire dérobée,
Comptons chaque pierre tombée ;
Que le temps suspende sa loi;
Rendons les Gaules à la France,

Les souvenirs à l'espérance,

Les vieux palais au jeune roi !...

Et après vingt strophes, pleines de souffle et d'élan, le jeune poète terminait ainsi :

Quand de ses souvenirs la France dépouillée,

Hélas! aura perdu sa vieille majesté,

Lui disputant encore quelque pourpre souilléc,
Ils riront de sa nudité,

Nous, ne profanons point cette mère sacrée,

Consolons sa gloire éplorée,

Chantons ses astres éclipsés,

Car notre jeune muse, affrontant l'anarchie,
Ne veut pas secouer sa bannière, blanchie

De la poudre des temps passés1.

Cet amour de la vieille France, cette piété pour les vieux monuments inspirait, trois ans plus tard, au jeune poète, un nouvel écrit. Il consacrait aux Voyages dans l'ancienne France par le baron Taylor un éloquent article, dont voici le début :

< Si les choses vont encore quelque temps de ce train, il ne restera bientôt plus à la France d'autre monument national que celui des

'Odes et Ballades, Livre II, ode Ill.

Voyages pittoresques et romantiques où rivalisent de grâce, d'imagination et de poésie le crayon de Taylor et la plume de Charles Nodier, dont il nous est bien permis de prononcer le nom avec admiration quoiqu'il ait quelquefois prononcé le nôtre avec amitié'. »

Dans cet article, Victor Hugo appelait la France nouvelle au secours de l'ancienne. En 1832, revenant à la charge, l'auteur de Notre-Dame de Paris jetait de nouveau le cri de guerre aux démolisseurs! Dénonçant de nouveaux actes de vandalisme, il écrivait :

« Nous avançons ceci avec la profonde conviction de ne pas nous tromper, et nous en appelons à la conscience de quiconque a fait, sur un point quelconque de la France, la moindre excursion d'artiste et d'antiquaire. Chaque jour, quelque vieux souvenir de la France s'en va avec la pierre sur laquelle il était écrit. Chaque jour nous brisons quelque lettre du vénérable livre de la tradition. Et bientôt, quand la ruine de toutes ces ruines sera achevée, il ne nous restera plus qu'à nous écrier avec ce Troyen, qui du moins emportait ses dieux :

Gloria !

Fuit Ilium et ingens

En terminant, l'écrivain réclamait une loi pour la protection du passé de la patrie, une loi « pour les monuments, pour l'art, pour la nationalité de la France, pour les souvenirs, pour les cathédrales, pour l'œuvre collective de nos pères, pour l'histoire, pour l'irréparable qu'on détruit, pour ce qu'une nation a de plus sacré après l'avenir, pour le passé ».

Cependant M. Taylor et son ami M. de Cailleux poursuivaient la publication de leurs Voyages pilloresques et romantiques dans l'ancienne France. Commencée en 1820, cette publication n'a pris fin qu'en 1854, et encore est-elle inachevée. M. Taylor et M. de Cailleux étaient deux lieutenants d'état-major, aides de camp, Taylor, du général d'Orsay, Cailleux, du général de Lauriston. Très épris l'un et l'autre d'art et de poésie, romantiques de la première heure, mème avant Victor Hugo, indignés des dévastations de la Bande noire, ils formèrent le projet de réunir, dans une vaste publication, les souvenirs artistiques de nos anciennes provinces, de sauver au moins l'image de nos vieux monuments. Ils entendaient d'ailleurs que le livre fût édité avec un luxe

↑ Victor Hugo, Littérature et Philosophie mélées, p. 279.

Op. cit. p. 286 et 305.

royal, que tout: dessins, texte, papier, caractères, fùt non seulement irréprochable, mais magnifique. Il y faudrait sans doute des centaines de mille francs, mais cela n'était pas pour arrêter nos lieutenants: ils étaient jeunes, ils étaient audacieux, et puis, en combinant leurs économies, ils étaient parvenus à réunir une somme de cinq cents francs'. Avec cela, on pouvait toujours commencer. Il leur arriva dès le premier iour une singulière bonne fortune: Charles Nodier leur offrit sa colla

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Croix du tumulus du Mont-Saint-Michel.

boration. Il fit la préface, qui parut dans les premiers mois de 1820 et qui est un pur chef-d'œuvre. Ces pages, des plus belles qui soient sorties de la plume du maître-écrivain, se terminaient par une explosion de vraie douleur au souvenir de la mort toute récente de M. le duc de Berry. En même temps que Nodier collaborait, pour le texte, avec M. de Cailleux, d'éminents artistes prètaient à M. Taylor leur précieux concours. Ce n'était rien moins, pour citer les principaux, qu'Isabey,

Charles Nodier, par Mme Marie Mennessier.

Nodier, 243.

Géricault, Ingres, Viollet-Leduc, Dauzats, etc. Cette publication est la première qui ait adopté la gravure lithographique. Quoiqu'incomplète, elle forme aujourd'hui un recueil incomparable et justifie pleinement le titre, que lui donnait Victor Hugo en 1825, de « monument national ».

II

Ce titre est aussi celui qui convient à l'œuvre de M. Jules Robuchon. En dépit des chemins de fer et de la centralisation politique, artistique et littéraire, Paris n'a pas encore si bien absorbé toutes les forces vives de la France, qu'il ne reste encore quelques coins de province où la poésie, l'art et les lettres ont trouvé d'aimables abris et de douces retraites. La petite ville de Fontenay-le-Comte, en Vendée, mérite à cet égard une mention particulière. C'est là que, hier encore, vivait M. Benjamin Fillon, collectionneur émérite, un' des premiers numismates du XIX siècle. C'est là que M. Octave de Rochebrune, dans son merveilleux logis de Terre-Neuve, compose ses admirables eaux-fortes. C'est là également que demeure M. Jules Robuchon, qui, après nous avoir donné les Paysages et Monuments du Poitou, commence aujourd'hui la publication des Paysages et Monuments de la Bretagne.

Dans une lettre-préface, adressée à ses collaborateurs et souscripteurs, au moment où paraissait la centième livraison des Paysages et Monuments du Poitou, l'éminent artiste vendéen raconte en ces termes comment il a été conduit à entreprendre une œuvre, dont la seule pensée était faite pour effrayer le plus ferme courage :

« Voici déjà longtemps (ceci était écrit en 1888) que cette idée me hantait, et elle m'avait été suggérée, dès mon enfance, par l'attrait qu'avaient pour moi les ouvrages illustrés dont j'étais entouré chez mon père, alors imprimeur et libraire. Plus tard, en 1856, j'entrai comme apprenti, chez un lithographe à Paris. Mais ne trouvant pas dans la lithographie commerciale satisfaction à mon goût ou plutôt à ma passion pour les images, j'abandonnai, en 1861, la lithographie pour me livrer exclusivement à l'étude et à la pratique des procédés photographiques.

« C'est alors que je fus frappé de l'avenir scientifique de ce mode de reproduction, qui, par son exactitude, pouvait fournir aux travailleurs, et particulièrement aux archéologues, un instrument d'étude d'une incomparable précision. Si, en effet, le dessin a sur la photographie l'a

vantage d'être une interprétation plus artistique du sujet, il a 1 inconvénient de lui être inférieur en exactitude autant qu'il lui est supérieur en personnalité. Au contraire, les images obtenues par la photographie, et imprimées par les procédés inaltérables que l'on possède aujourd'hui, reproduisent les monuments eux-mêmes avec la fidélité du miroir.

« Je pensai donc que ce serait rendre un véritable service à la science, et en même temps satisfaire au plaisir des yeux des amants de la nature, que de fouiller tous les coins et recoins de notre province du Poitou,

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d'y saisir par la photographie tous les paysages et monuments dignes d'intérêt, afin d'en former un immense recueil à l'usage du public. L'archéologue, jusqu'alors obligé de voir par lui-même les monuments, pour vérifier les descriptions, par trop fantaisistes, des voyageurs plus ou moins érudits, pourrait alors, à l'aide de ce recueil et sans quitter sa bibliothèque, se livrer à des études mathématiquement exactes. Je me disais aussi que ce n'était pas seulement au présent que s'appliquerait l'utilité de ce recueil; il s'adressait aussi et surtout aux savants de l'avenir pour lesquels la photographie conserverait la fidèle image des monuments qui viendraient à disparaître.

TOME VIII. Août 1892.

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II

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