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LES MUANCES, poésies par J. Guy Ropartz. Paris, Alphonse Lemerre, éditeur, 1892.

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Bien des gens n'ont pas lu Baruch, et ne savent pas ce que c'est qu'une muance. Les dictionnaires consultés répondent ou à peu près. Une muance, c'est un changement de note ». Cette définition ne satisfera pas complètement les lecteurs du dernier volume de M. Ropartz ; ils serreront de plus près le mot insolite et diront que le poète, pareil à l'oiseau, a changé de plumage en changeant de ramage, a mué. Cette mue se fait sous nos yeux, avec une discrétion qui n'exclut pas la sincérité, en sorte que vous trouveriez difficilement, depuis Alfred de Musset, un poète ayant mis autant de lui-même dans un livre. J'ajoute que M. Ropartz. trouve le chemin de Damas autour duquel, malgré l'Espoir en Dieu, le pauvre Musset erra toute sa vie.

Les Bretons qui s'occupent de littérature n'ont pas besoin que je leur présente M. Ropartz; ils savent que le digne fils du regretté historien s'est fait un nom dans la musique, et en est à son quatrième volume de vers, Adagiettos, Modes mineurs et l'Intermezzo, d'après Henri Heine, ayant marqué les premières étapes d'une carrière où poésie et musique semblent inséparables. L'auteur est musicien aussi, comme le duc d'Illyrie, de Shakespeare, qui voulait que la musique fût l'aliment de l'amour.

Les vers d'amour dominent dans les Muances comme dans Adagiettos et dans Modes mineurs. Les rébellions et les apaisements, les angoisses de la passion à son déclin et les douces effusions de la tendresse à son aurore sont traduits avec l'éloquence qui vient du cœur. Je craindrais, en y insistant, de profaner ces délicats mystères, mais je veux saluer dans la finale du livre le réveil du sentiment qui rapproche le poète de Dieu. J'en appelle à la ballade de sainte Cécile, patronne des musiciens, et à cette Prière où M. Ropartz retrouve si harmonieusement la foi de son enfance:

Seigneur, l'enfant prodigue est revenu vers toi!...
Pardonne-moi, car mon repentir est sincère,

Je pleure mon passé mauvais, mon cœur se serre
Quand je songe aux erreurs où chancela ma foi.

Je fuyais tes autels, épris d'un vain mirage,
Et j'avais mis mon rève en un monde qui ment.
Dieu de justice et de bonté, Dieu très clément,
Oh! rends-moi la ferveur sainte du premier âge.
Comme autrefois, j'irai dans tes temples, cherchant
L'apaisement divin où l'âme se recrée,

Et sous les hauts arceaux de leur voûte sacrée
Pieusement ému s'élèvera mon chant.

Ces vers si purs d'idée et d'expression m'ont rappelé les admirables cantiques de Racine, séparés par deux siècles d'évolution littéraire ; les deux poètes se rencontrent dans l'élan de leur foi et parlent presque la même langue, immuable comme cette foi.

Il faut savoir gré à M. Ropartz, qui connaît et pratique en musique et en poésie les raffinements de l'art le plus moderne,de cette simplicité toute française. Les pièces religieuses si vraiment émues et le beau poème patriotique Au Soir de Patay sont encore ce que je préfère dans son livre, plein de charme et de distinction.

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M. Jos Parker, qui donnait récemment de beaux vers à la Revue de Bretagne, vient de publier trois poèmes, en une élégante plaquette portant le titre du premier et du plus long d'entre eux: Lénor.

Lénor, « conte héroïque », est l'histoire des amours d'une princesse bretonne et d'un centurion romain. Azénor, « légende dorée », est la tragique aventure, empruntée à Albert Legrand, de la comtesse de Tréguier, notre Geneviève de Brabant. Rozenn, histoire triste », un conte d'amour, navrant comme le son d'un glas.

est encore

M. Jos Parker a mis dans ces trois récits un mélange de mysticisme, de naïveté et de fine bonhomie qui rappelle à la fois la Vie des Saints (celle d'Albert Legrand) et les fabliaux. Il conte avec beaucoup d'aisance, et

dans ses digressions, je reconnais çà et là un lecteur de Mardoche et de Namouna.

Mais le trait distinctif de la poésie de M. Parker est sa couleur locale ; cette poésie est tout imprégnée de Bretagne :

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L'auteur du beau livre : Sous les Chênes, que les lettrés et les artistes bretons ont accueilli avec tant de faveur, se retrouve ici.

O. DE G.

POÈMES HÉROIQUES, œuvres posthumes de Francis Melvil (Léonce Gibert) avec une préface de A. Mézières de l'Académie française. Paris, Alphonse Lemerre, éditeur, MDCCCXCII.

« Les Morts vont vite », dit la ballade allemande. Ce dicton est malheureusement trop vrai pour les poètes du Parnasse breton, qui ne date pourtant que d'hier; combien sont déjà disparus : c'est Mme de Beru (Vte Henri du Mesnil), c'est Mme Penker, c'est Hippolyte Violeau, c'est Francis Melvil.

La veuve de ce dernier a par un sentiment pieux confié les œuvres posthumes de son mari à deux littérateurs éclairés, MM. F.-E. Adam et Auguste Générès, qui viennent de les publier sous le titre Poèmes héroïques, avec une préface de Mézières de l'Académie française.

Je n'ai pas eu le bonheur de connaître personnellement Francis Melvil, mais j'ai pu longtemps le juger par sa correspondance, toujours si affable, toujours si courtoise. Par la noblesse et la délicatesse de ses procédés avec ses confrères en littérature, il était vraiment digne de servir d'exemple à ceux qui ont l'honneur de tenir la plume. Il aurait pu dire comme Lamartine : « Je ne voudrais pas qu'un mot hostile à quelqu'un restât après moi... La postérité n'est pas l'égout de nos passions, elle est l'urne de nos souvenirs, elle ne doit conserver que des parfums. Son talent égalait son urbanité. « Il y a dans son volume, comme l'a si bien dit A. Mézières, des pièces d'une allure superbe et

d'un grand souffle. » Hélène vieillie nous fait penser à la simplicité élégante de la Grèce et à la pureté des vers antiques :

Ses grands yeux sont plus doux que l'éther azuré,
Son front ne s'offre plus qu'aux baisers de sa fille,
Et jusqu'à l'heure fraîche et rose où l'aube brille,
Elle dort d'un sommeil profond et vénéré.

Bien loin de regretter la jeunesse éphémère,

Et les espoirs furtifs et le rève divin,

Elle rend grâce aux dieux qui l'ont guérie enfin
De l'amour, douloureuse et coupable chimère.

Puis M. Mézières, après avoir célébré le Sommeil de Merlin, où « le moyen âge revit avec sa foi robuste et ses illusions toujours renaissantes » après nous avoir montré, dans Le saint Graal, le poète confiant ses incertitudes et ses angoisses d'homme moderne en des vers dignes de Mme Ackermann au chevalier de cette confrérie, qu'une « espérance mystérieuse conduit à travers toutes les souffrances jusqu'à la purification suprême », après avoir fait ressortir l'habileté de Francis Melvil dans ses imitations de Macbeth et de Roméo et Juliette, ajoute : « Mais les plus beaux vers du recueil posthume que publient les amis de Francis Melvil sont ceux où le poète exprime ses sentiments personnels, où il ouvre le fond de son cœur. Souvent sa pensée se reporte avec une mélancolie profonde vers l'année fatale, vers cette campagne de 1870-71 dont il a supporté les épreuves avec les mobilisés de Bretagne. Il y songe douloureusement, mais il ne désespère jamais de la patrie. »

Cette critique d'un éminent académicien vaut tous les éloges que nous pourrions faire. M. Francis Melvil restera dans la mémoire des hommes comme un poète plein de hautes pensées exprimées dans une langue sobre et coloriée, comme un vaillant patriote et comme un ami sûr et toujours prêt à rendre service.

DOMINIQUE CAILLÉ.

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En 1822, les libéraux (républicains honteux et bonapartistes déguisés) applaudissaient de toutes leurs forces aux exploits de la Bande noire. A leurs yeux, détruire les vieux châteaux, démolir les vieux cloîtres, abattre les vieilles chapelles pour en vendre les pierres, c'était faire œuvre pie. Leur rêve, leur idéal, c'était de ne plus voir que des pierres neuves et d'avoir enfin une France à leur image, où ne resterait plus un seul vestige du passé. Paul-Louis Courrier était leur homme, qui voulait qu'on jetât bas le château de Chambord. Paul-Louis trouva d'ailleurs à qui parler. Un jeune homme de vingt ans répondit à son pamphlet par une ode sur la Bande noire, et cette ode, signée Victor-Marie Hugo, était un chef-d'œuvre :

Paysages et monuments de la Bretagne (en cours de publication). - A Paris, Société des librairies et imprimeries réunies, 2, rue Mignon. A Fontenay-le-Comte (Vendée), chez M. Jules Robuchon.

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