informations, en littérature et en histoire, ne dépassaient pas celles d'un simple dilettante. J'étais alors juge-suppléant au tribunal de Lectoure. Pendant quatorze ans, je demeurai tel, pour devenir titulaire, selon le vœu de ma famille. Impossible. Je n'avais pas de protecteurs. Au cours de mon long et infructueux postulat, je dépensai tous mes loisirs à m'informer de la littérature populaire, de l'histoire politique de notre sud-ouest. Mon grand ami, mon cadet et mon maître, l'abbé Léonce Couture, alors professeur au collège de Lectoure, voulut bien se charger de mon éducation. Sur la littérature populaire j'ai donné huit volumes définitifs de Contes, de Poésies gasconnes et françaises, de Proverbes et Devinettes, et je ne compte pas recommencer. Sur ces collections, la critique française et étrangère a répandu toutes ses roses. Ainsi, depuis près de vingt ans, je jouis d'une réputation quasi-posthume de folkloriste. La joie que j'en tire serait complète, n'étaient les littérateurs subalternes, qui rimaillent sur des thèmes originaux, que je voudrais intangibles1, n'étaient les musiciens et gens de théâtre, dont je désespère d'arrêter les entreprises qui, paraît-il, intéressent quelque peu les bourgeois. Le tragédien Mounet-Sully a seul in alors en guerre avec l'empereur Charles-Quint, Jean du Bladé, mon premier ancétre connu, se ruina, sans recouvrer jamais la moindre part de ses avances. Le brave homme vendit son bien, paya ses créanciers jusqu'au dernier sou, et s'en alla mourir chez un parent, dans un village perdu tout au fond de l'Armagnac Noir. Nous avions fini d'etre gentilshommes. Jusqu'à Louis XIV je retrouve mes aïeux maitres forgerons, parmi les humbles dignitaires de la confrérie auscitaine de Saint-Eloi. Leur boutique était sise rue de la Treille. Sous l'autorité des pères, les enfants apprenaient leur rude métier. A vingt ans les cadets prenaient la volée pour ne revenir jamais. Voilà comment, sous la minorité de Louis XV, un Bladé, maitre serrurier-forgeron, vint battre le fer à Lectoure, au pied du vieux château des vicomtes de Lomagne. L'artisan fit souche de soldats, de prètres, de légistes, dont trois générations de notaires royaux. Mon pauvre père devait être le dernier. Peu curieux des sciences et des lettres, les Bladé acceptaient sans conteste la Gascogne comme le centre méme de l'univers. (1) Bulletin de la Société archéologique du Gers, 1900, p. 92. — A. L. (2) Une agenaise, Mademoiselle Hélène Sirbain, de l'Opéra Comique, coiffée terprété certains Contes d'allure épique avec son génie puissant et tourmenté. En ce qui touche l'histoire et la géographie ecclésiastique et politique, les choses ne devaient pas toujours marcher aussi bien. J'ai donc dû procéder à ma préparation avec les seuls conseils le l'abbé Léonce Couture. Mais, par malheur, il n'était pas toujours près de moi. J'avais alors, et je devais garder bien longtemps, la superstition des hommes et des choses d'école et d'Académie. Il y paraît, et de reste, par plusieurs de mes travaux antérieurs. Ne parlons pas de ceux qui furent jugés passables. Mais mon volume de Coutumes municipales du département du Gers mérite, au point de vue de l'incorrection des épreuves, d'être jugé encore plus sévèrement qu'on ne l'a fait. De ce chef, je n'ai jamais invoqué la prescription, qui est un procédé malhonnête. En cas pareils, il me fallait l'expiation. Mes Etudes sur l'origine des Basques, publiées en 1879, déchaînèrent aussitôt sur moi un véritable cyclone de censures formulées en langues diverses, et dont la majorité m'est inconnue. Finalement, il est arrivé que la bonne critique m'a donné raison pour les trois quarts, et condamné pour le reste. C'est justice. Tant pis pour qui ne tâche pas de se corriger. Tant pis aussi pour celui no qui ne finit pas par comprendre que les coteries d'intérêt et d'amour-propre, que les sociétés d'admiration mutuelle et d'ostracisme contre les dissidents, sont de tous les temps et de tous les pays. L'heure tardive ne manque jamais, où la bonne critique remet toutes choses à leur place. en mouchoir, a chanté dans le voyage des cadets de Gascogne, dans des conférences aux Maturins à La Bodinière: Lou curè dou Castera, Dens un castet de Loumbardio, Hilhos de Bilonauo... A. L. (1) Dans sa Défense des études sur l'origine des Basques (Paris, Franck, s. d. (1880), in-8, 16 pp.), M. Bladé n'a répliqué qu'à MM. de Charencey, Boudard et d'Avezac. A. L. -- Voilà ma confession de folkloriste et d'annaliste de la Gascogne. Revenons donc à la Géographie ecclésiastique et féodale. Pendant plus de trente-quatre ans, j'ai vécu avec la pensée constante de ne la donner qu'après mon Histoire générale de la Gascogne jusqu'à la fin de l'époque ducale. Mais, en travaillant à celle-ci, en publiant un peu partout des mémoires où j'en étudie certaines portions, il est advenu que je me suis progressivement racheté, sur bien des points, de la doctrine officielle et courante. De là, dans mes publications partielles et successives, des contradictions indéniables dont les censeurs de parti-pris, et même les juges dont le suffrage m'importe, n'ont relevé que la moindre part. Je suis peut-être le seul à censurer tout le surplus. Or, je ne veux plus qu'il en soit ainsi. Je ne veux plus procéder à ma lente rédemption par voie de publications restreintes. Bonne ou mauvaise, je veux enfin produire intégralement ma doctrine. C'est pourquoi, malgré toutes les sommations passées, présentes et futures, mon Histoire générale de la Gascogne jusqu'à la fin de l'époque ducale ne paraîtra qu'après cette Géographie ecclésiastique et féodale. J'ai commis encore d'autres fautes. A bon droit, on m'a reproché de mal corriger mes épreuves. Hélas! mes yeux, qui n'ont jamais été bons, sont devenus pires par l'excès du travail. Et puis, j'ai l'esprit assez distrait. Mais, pour ce volume, et pour les publications qui lui feront suite, les corrections seront faites avec le concours d'amis dévoués. Chose un peu plus grave, on a relevé, dans mes critiques, un manque d'aménité, qui a fait rire les uns et qui a quelque peu étonné les autres. A la bonne heure. Mais le fait est que je ripostais. En cela, j'avais tort, car la polémiques est un triste moyen de soutenir ce qu'on croit être la vérité. Mais quoi? Je n'ai pu me hausser que par degrés, envers les censeurs de parti-pris, jusqu'à cette complète ataraxie dont le philosophe Pyrrhon fit la base de son système. Ainsi ma critique sera désormais calme et précise. Mais les intéressés voudront-ils en convenir? Voilà toute ma confession pénitente. Mais je ne m'excuse aucunement de donner les présentes recherches avant mon Histoire générale de la Gascogne jusqu'à la fin de l'epoque ducale, L'exemple d'Oihenart prouve, en effet, que si les deux sujets sont connexes, chacun peut néanmoins être étudié à part. J'aurais donc le droit de n'en étudier qu'un seul. Il m'est commode, il me plaît de commencer par le second. A la classification un peu vague des grands fiefs, adoptée par l'auteur de la Notitia utriusque Vasconiae, je propose, à mes risques et périls, d'en substituer une autre qui me semble à la fois plus compréhensive, plus simple, plus naturelle. Je divise le domaine de mes recherches en trois régions : 1o La Gascogne ducale; 2o La Gascogne pyrénéenne; 3o La Gascogne toulousaine. Il s'agit de prouver la légitimité de ces divisions. I Parlons d'abord de la Gascogne ducale. A cette région j'attribue d'abord l'Albret proprement dit, en y ajoutant d'autres terres qui formaient, avec ce district, la sénéchaussée royale de Tartas, telle qu'elle existait à la fin de l'ancien régime. Je lui donne en plus le Bazadais, les vicomtés de Marsan, de Tursan, de Gabardan, de Juliac, de Maremne, de Marensin, d'Orthe, la prévôté royale de Dax, la Chalosse, quelques terres avoisinantes, les comtés de Fezensac, d'Armagnac, le pays de Fittes et Refittes, et l'Eauzan. Très volontairement j'écarte la vicomté de Fezensaguet, pour des raisons à dire quand je m'expliquerai sur ce fief, que je laisse à la Gascogne toulousaine. L'ensemble de ces districts équivaut aux comtés primitifs de la Grande Gascogne et de Fezensac, autrement dit aux évêchés d'Aire, de Bazas, et à presque tout celui de Dax (après la création du diocèse de Bayonne), et à une très grande partie de l'archevêché d'Auch. Si on y ajoute le comté de Bordeaux, on restitue ainsi le duché primitif et féodal de Gascogne tel qu'il exista jusqu'à la mort du duc Garsie-Sanche, dit le Courbé, mort que la doctrine courante place vers 926. Mais après la mort de Bérenger, dernier duc de Gascogne (vers 1036), et après la réunion de son duché à celui de Guienne, le comté de Bordeaux commence déjà à être considéré comme une dépendance de ce dernier, en attendant l'époque peu éloignée du rattachement complet. Je parle, bien entendu, de ce rattachement au point de vue féodal, et non pas au point de vue monarchique et administratif, dont je n'ai pas à m'inquiéter. Ainsi, le comté de Bordeaux, quoique compris dans le duché de Gascogne, demeure en dehors de mes recherches. Dans ledit duché, je ne fais entrer aucune portion de l'Agenais primitif et politique qui s'étendait sur l'une et l'autre rive de la Garonne. Il est vrai qu'une prétendue inscription funéraire de l'église de Sainte-Quitterie, au diocèse d'Aire, fait mention de Guillaume, comte et marquis des Gascons, et de son frère Garsie, comte des Agenais (GARSIE FRATR | IS EIVS COMITIS | AGENSIUM). Cette inscription, publiée pour la première fois par Oihenart1, tendrait à présenter l'Agenais comme ayant été tout entier dans le domaine de la maison ducale de Gascogne. Mais feu Labeyrie tient pour certain que cette inscription (1) OIHENART, Not. utr. Vascon.. 428. |