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n'appréciera que mieux la justice rendue par son rédacteur à la largeur d'esprit et à l'équité de M. l'abbé Lestrade. Au reste, je ne prétends garantir absolument, ni les critiques, ni même les éloges renfermés dans ce compte-rendu et dans sa riche annotation: l'autorité et la préparation spéciale me manquent trop pour cela. Mais on ne saurait les contester à l'auteur de l'article qui suit.

L. C.

Les documents recueillis par M. l'abbé J. Lestrade sur les Huguenots en Comminges sont presque tous extraits des archives de Muret (où se trouvent en particulier les papiers des Etats en Comminges); ils intéressent surtout le bas Comminges (1). Ce n'était pas un pays huguenot (2); mais il était menacé par ses voisins, les huguenots du pays de Foix, et souvent traversé par les bandes qui opéraient en Gascogne, particulièrement celles du roi de Navarre (3). Par suite, les Huguenots en Comminges forment un utile complément aux Mémoires de Monluc: ils contiennent quelques lettres inédites de ce capitaine. Une chose apparaît avec beaucoup de netteté dans ces documents commingeois : c'est de quelle façon et pour quelles raisons la Ligue s'est constituée en ce pays. Dès le 26 juillet 1563, Monluc invite les habitants à former une « confédération »; il leur citc l'exemple des autres provinces. Mais déjà le mouvement a commencé chez les paysans, mouvement pour se défendre contre les pillards; or, en Comminges, les pillards ce sont les huguenots. Ces premières Ligues (au début la noblesse se fait plutôt tirer l'oreille pour y entrer) sont donc une tentative d'organisation spontanée, comme les fédérations de 1789. Ce sont, encore en 1587, des fédérations contre les auteurs de « voleries, meurtres et violements »>, contre ceux qui veulent forcer le paysan à payer l'impôt, contre la misère qui le force à se retirer en Espagne, <«<et les aultres quy sont demeurés sont au pain querant »; en présence de l'impuissance des pouvoirs publics, les Commingeois s'unissent pour se défendre euxmêmes. C'est seulement en mars 1589 que les Etats adhèreront à la Sainte-Union (4). Cela n'arrête pas d'ailleurs le mouvement d'organi(1) Il y a un Appendice sur Saint-Bertrand.

(2) La pièce I. datée entre « 1553-1560 », ne saurait être antérieure à 1560. Elle témoigne d'un état de désorganisation sociale qu'on ne trouve pas avant François II.

(3) M. Lestrade, qui a rempli avec une parfaite impartialité son rôle d'éditeur, établit (p. 56) que le pillage de Lombez et de Samatan par les huguenots en 1569 est une légende. Il n'y eut pas de Saint-Barthélemy en Comminges.

(4) Ils y adhérèrent de nouveau le 18 juin 1589. Pourquoi cette seconde manifestation? La réponse est p. 155: «Attendu que le Roy s'est rendu du cousté de l'hérétique... » Ici (n. 2), M. Lestrade dit : « A l'aide de cette calomnie, qui malheureusement trouva créance, les ennemis du roi travaillaient à la rendre impopulaire. Il est notoire que Henri III ne fut pas hérétique. » D'accord. Mais le texte ne dit pas cela. Il dit que « le Roy s'est rendu du cousté de l'hérétique... » Cela n'est nullement une calomnie, puisque le 30 avril précédent le roi avait signé avec l'hérétique » le traité du Plessis-lez-Tours.

sation spontanée. En dehors du gouverneur nommé par Mayenne, en dehors des Etats, les villages se syndiquent entre eux (avant 1591) pour « reduyre les gens volleurs et hommes de mauvaise vye, courir sur ledits volleurs et assassinateurs criminels ». Ces Ligues campanères, ces prétendues Ligues », ces « prétendus villages confédérés sont d'abord vus d'un mauvais il par l'Union officielle. Mais le gouverneur Villars et le Parlement de Toulouse sont bien obligés de les tolérer, de les autoriser à s'imposer et à s'armer, et nous voyons même les délégués des communautés associées prendre séance aux Etats, ce qui ne les empêche pas de conclure des trèves particulières avec leurs voisins huguenots du comté de Foix (1). Il y a là un véritable essai de gouvernement local.

» La grande Ligue, la Sainte-Union, perdit de bonne heure des partisans dès le début de 1590) (2) et il y eut en Comminges un parti royaliste. Cependant la reconnaissance de Henri IV ne s'opéra pas sans difficultés; il y cut des résistances jusqu'en 1596 (3). M. Lestrade donne des documents qu'il a réunis une édition soignée et son commentaire est généralement exact (4). Une sobre introduction fait ressortir le caractère moins religieux que politique de ces événements (5). »

(1) Les Etats essayèrent vainement, en 1592, de les absorber dans une grande ligue commingeoise, placée sous l'autorité de l'Eglise. Le point de vue religieux apparait peu dans les ligues campanères.

(2) On parle aux Etats « de la division qu'est entre les habitants du pays contre l'association et Union... »

(3) Les derniers ligueurs encourageaient les paysans à ne pas payer l'impôt royal. D'autre part ces paysans, ne comprenant rien à la volte-face des hauts personnages de la province, se croyaient trahis.

(4) Signalons une erreur sur Emmanuel de Savoie, marquis de Villars (voy. sa commission, p. 193), à qui M. Lestrade donne le prénom de son grand-père, Honorat (p. 190). Il manque quelques notices sur les noms propres. En se renfermant dans les archives muretaines, M. Lestrade s'est condamné à ne voir qu'un côté des choses, le côté le plus défavorable aux huguenots. Les quelques documents qu'il donne pour la période 1621-1622 ne sont pas suffisamment reliés par lui à l'histoire générale.

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(5) « Ce serait (p. x) s'abuser étrangement que d'y chercher une préoccupation religieuse quelconque. » Il y a là une manifeste exagération. Assurément les guerres civiles en vinrent très vite, surtout après 1572, à n'avoir de religieux que le nom; on en pourrait dire autant des croisades, et dire aussi que les guerres révolutionnaires n'ont pas été des guerres pour la liberté. Lorsqu'une guerre se prolonge, qu'elle qu'en soit la cause initiale, elle devient une guerre comme les autres, une occasion de pillage et un moyen de domination. Il n'en reste pas moins que les guerres de religion ont commencé par étre des guerres religieuses. Tous les documents sont en français, sauf (p. 341) une formule d'abjuration en langue d'oc.

[Extrait du Bulletin de la Revue historique de septembre-octobre 190! (dans la partie relative à la France des XV-XVIIe siècles, signée par M. Hauser), p. 92-93.)

MERCÉDÈS BAROUSSE, postulante des Petites Sœurs des pauvres. Sa vie, son journal, ses lettres. Auch, Léonce Cocharaux. 1901. Un vol. in-8 de 142 p., avec portrait et photogravures.

Une élève des Ursulines du Prieuré d'Auch.

Je ne crains pas d'accorder une place, parmi des pages d'histoire érudite et sévère, à la vie et aux écrits d'une jeune fille enlevée à la fleur de l'àge, au seuil d'une maison religieuse d'Auch. M. l'abbé Laclavère a touché avec le sens le plus sûr et le goût le plus délicat les moments essentiels de cette vie sitôt brisée. Il a choisi avec le même soin intelligent les fragments les plus significatifs et les plus attachantes lettres de la jeune postulante. Il a fait ainsi un livre non seulement de profonde édification, mais d'aimable littérature, qui ne pâlira pas trop tout auprès du journal d'Eugénie de Guérin.

Née en 1874, à Villecomtal, élève du Prieuré, rendue à sa famille après de bonnes études, Mercédès Barousse, quoique rien dans ses goûts de jeune fille ne fit d'abord soupçonner une vocation religieuse, se sentit attirée peu à peu et enfin gagnée, malgré la résistance de sa famille, à l'œuvre admirable des Petites Soeurs des pauvres. Elle mourut postulante dans leur maison d'Auch, le 22 juin 1897, près de sa mère apaisée et pleinement soumise à la volonté de Dieu.

Je pourrais dire que ce gracieux volume est un document historique proprement dit pour les annales de deux maisons religieuses d'Auch : l'antique prieuré de Saint-Orens, devenu l'excellent établissement de vie conventuelle et d'éducation chrétienne des Ursulines (1), et le Barrail, asile tout moderne, mais déjà si populaire, des Petites Sœurs des pauvres. Il me semble d'ailleurs que j'ai une dette à payer, un oubli à réparer pour cette dernière maison: quand M. Laclavère en publia la Chronique en 1892, j'eus l'honneur de la présenter au public de mon pays (2) en quelques pages qui avaient au moins le mérite de partir du coeur; je voulais bien les insérer dans la Revue de Gascogne, mais l'abondance des matières et l'habitude d'oublier les en ont exclues. Au reste, si ce livre n'était pas de l'histoire au sens érudit, comment faudrait-il le qualifier?« Vous croyez à l'histoire, a dit je ne sais plus quel écrivain de nos jours, et vous ne croyez pas à la vie! » Disons

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(1) La première planche reproduit la cour de récréation du Prieuré. Deux autres planches représentent la maison paternelle de Mercédès et l'asile du Barrail.

(2) Les Petites Sœurs des pauvres à Auch. Un volume in-12, chez Cocharaux ou à l'Asile du Barrail. Je recommande vivement ici ce charmant livre; c'est un peu tard; mais est-il jamais trop tard pour faire une bonne œuvre?

bien plutôt que la vie est le vrai fond de l'histoire et n'hésitons pas à la chercher à travers la carrière tout unie de Mercédès, au couvent, dans la société de son village, aux stations balnéaires de Bagnères et de Cauterets et dans le service des pauvres vieillards du Barrail. On ne s'ennuira pas en sa compagnie. On ne l'écoutera pas sans ressentir un charme profond. Léon Gautier se plaignait, non sans raison, du débordement de la littérature égoïste des jeunes filles penchées sur leur journal. Mercédès ne méritait pas ce blâme, d'autant plus qu'elle s'est empressée de détruire de bonne heure son journal intime, sauf quelques fragments heureusement sauvés du feu. L'éditeur lui-même a bésité longtemps avant de les faire connaître. Mais il a dû accorder cette publication aux désirs des Ursulines et de leurs pensionnaires, et aussi des Petites Sœurs des pauvres. Mgr l'archevêque d'Auch l'a recommandée à ses diocésains comme un « excellent petit livre », et elle a de quoi intéresser non seulement les âmes pieuses, mais tous les amis des beaux sentiments exprimés dans le style le plus franc et le plus personnel.

Mercédès, dans sa vie mondaine (au sens le plus honnête du mot), avait lu nos auteurs contemporains, même les moins ascétiques; elle cite couramment Loti, Richepin, Théophile Gautier. Mais quand elle écrit, elle ne les imite point du tout; elle parle sa langue à elle, quoiqu'elle se ressente un peu sans doute de leur inspiration. Je cite un seul fragment pris à peu près au hasard.

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« 2 novembre 1895. Une illusion de printemps, un soleil intense, un ciel bleu sans nuages; les oiseaux ravis de cette splendeur du jour s'égosillaient en aubades. J'ai jardinė, recueilli les grains de volubilis, arraché les tubercules des dahlias.

>> J'aime tant l'automne! Les paysages ont une grâce alanguie et mélancolique, une grande sérénité s'étend sur toute la nature, l'air s'attiédit, les arbres prennent une teinte d'or brun, de rouille ou de carmin, les fleurs d'automne ont, elles aussi, des nuances discrètes qui conviennent à ce cadre; les chrysanthèmes aux nuances exquises, violet évêque, rose, blanc, jaune pâle, s'épanouissent partout, jetant dans le décor la note juste, un ton très doux, un peu triste.

» C'est bien la sensation qui se dégage de cette poésie des adieux de l'été; en émanant des choses, elle nous saisit, nous pénètre étrangement de son charme subtil. »

Pourtant, à parler en toute franchise, ce n'est ni l'intérêt biographique et anecdotique, ni le mérite littéraire qui recommande le mieux ce charmant volume. C'est l'attrait mystérieux de la vie surnaturelle, qui gagnera sur-le- champ les âmes bien préparées, mais qui est digne

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