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vestrum, sachez pourquoi vous croyez, dit l'apòtre, et avec saint Paul tous les docteurs enseignent hautement que nier la raison, c'est nier la foi. N'objectez pas l'autorité de Huet, de Pascal ou de Lamennais ; ne vous appuyez pas d'un traditionalisme confus et condamné par le Saint-Siège, la doctrine catholique est formelle, constante, incontestable. Les Papes l'ont définie à plusieurs reprises, toutes les fois qu'un zèle mal éclairé et une opposition systématique, involontairement d'accord, l'ont défigurée. La raison est proclamée un admirable moyen de connaitre, présupposé par la révélation qui, en définitive, ne s'adresse qu'à des ètres raisonnables. La raison s'exerçant avee prudence et suivant les lois de sa nature, est certaine. Elle est certaine, et aucune vérité révélée ne contredit et ne peut contredire les vérités naturellement perçues ce serait, comme dit le grand Leibnitz, Dieu combattant contre Dieu. Que les mystères, que les dogmes chrétiens soient au-dessus de la raison, il ne s'en suit pas qu'ils la contredisent. Parce que certains astres ne se voient pas avec les yeux, et qu'il faut recourir à des instruments plus puissants pour les apercevoir, il n'en faut pas conclure que cette nouvelle perception contredise la perception de la vue exercée dans sa portée ordinaire: elle en est le complément, voilà tout.

Entre vous et nous, où cesse donc l'accord? pourquoi cesse-t-il? Il cesse, parce que vous êtes rationaliste, et nous ne le sommes point. Nous croyons à la philosophie, c'est-à-dire à l'exercice limité ou à la puissance limitée de la raison. Or, qu'est-ce que le rationalisme? C'est l'opinion où vous êtes que la raison est capable de percevoir non pas une partie de la vérité, mais toute la vérité; c'est l'opinion qui proclame la suffisance des lumières naturelles, et qui se résume en eette phrase la philosophie explique toutes choses.

N'est-il pas évident que si cela est, si la philosophie explique toutes. choses, l'origine, la nature, la destination de l'homme; si elle enseigne pertinemment notre condition présente, nos rapports avec notre auteur, le sort qui nous est réservé après la mort, immortalité ou néant, n'est-il pas évident que la religion, qui prétend pouvoir seule expliquer quelques-unes de ces choses, et les plus nécessaires à la moralité et au bonheur de l'homme, n'a plus de raison d'être? Tout au plus lui

accordera-t-on, et même sans qu'elle y ait droit, qu'elle est la philosophie momentanée des masses, c'est-à-dire des ignorants : les esprits d'élite ont une doctrine plus élevée et plus claire.

Le rationalisme et la foi, nous ne nous lassons pas de le répéter, sont inconciliables. Les hommes peuvent se rapprocher, les doctrines ne le peuvent pas. Le rationalisme entendant comme il le fait la puissance de la raison est l'ennemi de la religion, non pas de celle-ci ou de celle-là, mais de toutes. Qu'il s'approprie, qu'il naturalise en les défigurant les dogmes et les vérités de la foi, ou qu'il les rejette, c'est identiquement la même chose. Le Christianisme, institution humaine, approuvée et encouragée par la philosophie, n'est qu'un vain nom. Lors donc qu'on s'étonne d'être accusé d'usurpation, lorsqu'on nous déclare du haut de la tribune: « La philosophie sert tous les cultes sans se mettre au service d'aucun d'eux en particulier, » nous nous indignons, nous sommes douloureusement surpris que nul ne se soit levé pour faire justice de cette protestation dérisoire.

Mais le lecteur, qui n'a point d'engagements avec le rationalisme et qui aime les situations nettes, les professions de foi franches et précises, insistera peut-être. Laissons-là, dira-t-il, le rationalisme, et parlons de la raison Est-elle conciliable avec la foi ? peut-elle sans abdiquer, sans cesser d'être elle-mème, admettre une religion, c'està-dire des choses mystérieuses et incompréhensibles? N'est-il pas contraire à la raison de croire ce que la raison n'entend pas?

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Là est le vrai débat, le débat sérieux entre gens sincères et non prévenus. Eh bien! nous n'hésitons pas à le déclarer, la question étant ainsi dégagée de toute équivoque, la doctrine de l'Essai sur l'indifférence étant écartée, lorsqu'il est bien reconnu que la foi ne songe point à supprimer la raison, ce qui serait méditer son propre suicide, il est facile de s'accorder, ou si on ne s'accorde point, on sait pourquoi on se sépare, on le dit franchement, et on a les uns pour les autres une estime réciproque. C'est à la raison ellemême, et non pas au rationalisme dont le siège est fait (1), que nous

(1) Le rationalisme n'est pas la liberté d'examen, car alors la religion n'aurait rien à craindre de lui: elle est assez forte pour soutenir, pour désirer un examen complet et consciencieux. Le rationalisme pose en principe la toute puissance de la raison et se dispense de l'examen. Il n'étudie pas les preuves historiques du christianisme, parce que a priori il ne le christianisme.

nous adressons; nous la conjurons d'examiner si véritablement elle se sent la force de résoudre toutes les questions dont la solution importe au bonheur ou à la moralité de l'homme ('); nous nous en rapportons à sa décision qu'elle prononce avec impartialité et connaissance de cause (2).

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Pour abréger le débat, voici trois questions que nous lui posons; elles sont essentielles : 1° Quelle est l'origine de l'homme? d'où vient-il? comment expliquer ce mélange de force et de faiblesse que nous remarquons en lui, et surtout cette inclination au mal si véhémente et si difficile à combattre? 20 Quels sont les liens de l'homme et de son créateur? 3o Quel est le sort qui nous attend après la vie actuelle? l'anéantissement ou une nouvelle vie? s'il y a un jugement, quel est ce jugement? les peines et les récompenses seront-elles éternelles ou temporaires?

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Si la raison satisfait complétement à ces trois questions, dont toutes les autres ne sont que des dépendances, nous nous inclinons devant elle elle est suffisante; elle est la révélation par excellence, la seule vraie, la seule appropriée à l'homme et à ses besoins, puisqu'il la retrouve, toujours et partout, pure et complète. Alors nous n'hésitons pas à le confesser, nous ne sommes ni chrétien, ni juif, ni musulman, nous sommes rationaliste, et nous avons le droit de l'être. A quoi bon la religion révélée, puisque la religion naturelle suffit?

Mais si, au contraire, la raison ne résout pas ces trois questions ou si elle ne les résout qu'en partie, elle est amenée rationnellement par ces lacunes à reconnaître son insuffisance et la possibilité, la nécessité même, d'une révélation surnaturelle, complément et confirmation de la révélation intérieure. En faisant cet aveu, elle n'abdique point; elle ne rejette point les notions obtenues a priori, non plus qu'elle

(1) M. Cousin dit excellemment dans la Philosophie populaire : « Telle est la grandeur de l'homme, qu'on n'exerce sur lui une action forte et un peu durable qu'en lui présentant un système complet sur toutes choses, sur son âme, sur sa destinée, sur le monde, sur Dieu. »

(2) « La philosophie, dit un des disciples de M. Cousin, ne peut souffrir qu'on la limite en vertu d'une autorité étrangère; mais du moment qu'on s'appuie sur la raison pour assigner des bornes à la philosophie, la philosophie serait infidèle à son propre principe si elle refusait le débat.» Saisset, Essais sur la Philosophie, etc. Pag. 13.

n'abandonne la liberté d'examen. C'est à elle qu'appartient le discernement de la vraie religion; c'est elle qui, en définitive, perçoit l'évidence dans les vérités de tout ordre, même dans celles qui dépassent la portée de notre intelligence, puisque c'est elle qui a démontré l'existence et la nécessité de ces vérités. - Voilà, selon nous, la seule conciliation possible, la seule qui soit sincère et durable. Hors de là, la guerre, la guerre implacable, sans fin et sans relâche; car, encore un coup, la religion ne s'entendra jamais avec cette philosophie excessive, qui s'attribue l'explication de toutes choses, et qu'on nomme le rationalisme.

(La suite prochainement).

ALPHONSE AULARD.

A TRAVERS LES OEUVRES D'ARY SCHEFFER.

Quand un voyageur, après de longues pérégrinations à travers de loin tains pays, revient au lieu natal, son premier besoin n'est-il pas de faire part de ses impressions à ses amis et, s'il tient une plume, au public, cet autre ami, ce confident anonyme à l'oreille duquel tant de gens viennent chaque jour conter leurs impressions, leurs rêves ou leurs aventures? Nous aussi, nous venons de parcourir un pays splendide, le pays de l'art; nous venons de voyager à travers la vie et les œuvres d'un noble et regrettable artiste, et nous éprouvons le besoin de communiquer, si nous pouvons, aux bienveillants lecteurs de cette Revue, quelques-unes des profondes émotions que nous avons ressenties pendant ce court voyage de quelques heures. S'il est vrai que l'homme soit le roi de la terre, et que, par son intelligence, il lui soit supérieur de toute la distance qui sépare la matière de l'esprit, quel pays, si magnifique soit-il, offrira jamais à l'âme un intérêt aussi vif que la vie d'un homme et surtout d'un homme de génic? Chacune de ses œuvres n'est-elle pas comme une étape où il a un jour dressé sa tente, une contrée merveilleuse sortie toute rayonnante de son cerveau et peuplée de ses rêves réalisés ?

Ary Scheffer nous semble être un de ces hommes. Quelle plus belle occasion nous sera jamais offerte de connaître et d'apprécier, dans l'ensemble de sa vie artistique, cet homme dont le pinceau a ému tant de cœurs? Son œuvre presque entier est là. Imitant en cela les amis de Paul Delaroche, cet autre artiste regretté, les amis d'Ary Scheffer ont rassemblé, à grands frais, ses ouvrages que le hasard de l'enchère avait déjà éparpillés sur la surface de l'Europe, et les ont offerts à l'admiration de tous dans une exposition publique. Cette humble apothéose était bien due à un homme d'un talent si consciencieux et si élevé. Hâtonsnous de saluer ses œuvres d'un pieux et dernier hommage, avant qu'elles se dispersent de nouveau aux quatre points de l'Europe.

Simple touriste de l'art, nous nous abstiendrons, et pour cause, de toute critique sur le pays parcouru; nous nous contenterons de dire simplement nos impressions, laissant aux maîtres à décider ces questions de métier et d'esthétique. Nous nous laisserons tout naïvement émouvoir,

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