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et de sa charité, en l'exilant dans le Purgatoire que Dieu vient de créer. Ariel, témoin de cette scène, soupçonne quelque terrible catastrophe. Il retourne vers la terre et contemple Adam et Eve fuyant de l'Eden, qu'Abaddon lui assigne pour demeure Satan cherche vainement à séduire de nouveau les deux premiers humains, qui s'éloignent de leur fortuné séjour, accompagnés de la Mort, de la Foi, de l'Espérance et de la Charité.

La race de l'homme se développe sur la terre; elle entreprend l'édification de Babel; Satan survient, fonde la science humaine et la politique païenne et assiste à la dispersion des peuples.

Trois mille ans sont passés depuis le premier jour. Le Dieu fait homme vient de naître. Satan rassemble les esprits infernaux et conjure la perte du Christ. Jésus expire sur le Golgotha, entre la douleur d'Anathel et les sarcasmes de Satan. Il ressuscite et remonte aux cieux accompagné par Ariel. Celui-ci, en quittant le ciel, visite le Purgatoire et l'Enfer, où il assiste à l'arrivée de Judas.

Satan, déçu dans ses desseins pervers, va trouver le Néant; il lui rappelle que Dieu, dès les premiers jours, a condamné son œuvre, qui doit devenir en partie la proie du Néant. Celui-ci va demander à Dieu l'accomplissement de cette promesse; Dieu prononce; Satan revient triomphant dans les enfers.

La dernière nuit du monde est venue; Satan préside à une orgie universelle. Dieu donne en vain des avertissements nouveaux ; il brise le système planétaire; mais l'orgie redouble, et la Mort seule y met un terme. La terre elle-même est absorbée dans la conflagration de ses propres éléments, et l'humanité entière comparaît pour le jugement dernier. Anathel est sauvé. Satan refuse son pardon; il est précipité, avec tous les damnés, dans le puits de l'abîme qu'Abaddon scelle pour jamais sur eux.

Cette analyse, si sèche et si rapide qu'elle soit, doit suffire néanmoins à faire comprendre l'importance du sujet que la muse de M. Delpech a courageusement choisi; et, en même temps, l'intérêt puissant que présente un semblable poëme. Car, ici, l'action n'est pas limitée à la vie d'un homme, législateur ou conquérant, au sort d'une ville, à l'histoire d'une époque. L'action, dans Satan, embrasse la destinée de l'humanité, depuis le jour où Dieu créa le monde jusques au jour fatalement prévu de la destruction de l'univers.

Cet immense poëme est écrit, d'un bout à l'autre, avec une verve dont le jet ne faiblit jamais. L'auteur, pour les besoins de son œuvre, a mis à contribution l'histoire, la philosophie et la science. Certains passages témoignent d'une érudition profonde; mais, à la vérité, ce ne sont pas les plus heureux. Dans ces endroits beaucoup trop savants, il faut sonder le vers à plusieurs reprises pour saisir l'idée, et ce travail n'est pas du goût de tous les lecteurs. L'érudition est l'ennemie mortelle de la poésie :

M. Henri Delpech aurait dû s'en défier plus souvent.

L'auteur de Satan, par la nature de son sujet, s'est rencontré plus d'une fois avec le Dante, Milton, Klopstock, Alfred de Vigny, Soumet et

Reboul; c'était inévitable; mais, disons-le à sa louange, il a su, pour peindre les mêmes situations, trouver des couleurs nouvelles et, même en rappelant des épisodes traités par ses devanciers, rester encore original.

La poésie de M. Henri Delpech, malgré sa forme éminemment épique, n'a rien emprunté à l'emphase de l'épopée traditionnelle; et ce n'est pas à nos yeux son moindre mérite. M. Henri Delpech, par son style, n'appartient à aucune école, ni vieille ni nouvelle. Il n'est ni classique ni romantique, ni réaliste ni fantaisiste; il n'est ni le calque de Racine ni l'estompe de Hugo; il est lui. Et la preuve, la voici :

"

LA DESCENTE DE JUDAS AUX ENFERS.

ABADDON.

Voici l'Iscariote. Enfer, reçois son âme !

Satan se recueillit, au fond de sa pensée.
Son égal en forfait, en malheur était là.
Il médita longtemps, longtemps il contempla
Ce front, où du Seigneur l'ire était amassée.

SATAN.

Je fis à Dieu la guerre, et tu me secondas;
Satan, s'il n'était lui, voudrait être Judas!

O mon bien-aimé, fils de mon génie,
Mes bras sont ouverts pour te recevoir.
Pendant cinq mille ans tu fis mon espoir,
Tu fais maintenant ma joie infinie!
Esprit ferme et fier, cœur audacieux,
Comme moi formant un dessein sublime,
Tu vins t'attaquer au Maitre des Cieux !
Je reconnais là le sang qui m'anime!
Je fis à Dieu la guerre, et tu me secondas;
Satan, s'il n'était lui, voudrait être Judas!

Mais pourquoi ce souffle éteint sur la bouche?
Du Gethsemani pourquoi les pâleurs?
On dirait le Christ, s'il était des pleurs,
S'il était des pleurs dans ton œil farouche?

O mon bien-aimé, né pour tant souffrir...
Comme aux Oliviers, Fombre est descendue...
L'Amitié vous cherche, et veut vous tr... bénír...
Maître, je vous baise, et je vous salue !

Je fis à Dieu la guerre, et tu me secondas;
Satan, s'il n'était lui, voudrait être Judas!
Soudain, entremêlant les rigueurs et l'insulte,
Les démons vers Judas s'élancent en tumulte,
Prêts à jeter sur lui des liens animés,
De serpents bout à bout cruellement formés.

K

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ABADDON.

Réprimez vos fureurs, ô démons! le supplice

Des vulgaires mortels vous est seul réservé.

Que nul de vous ne touche à ce grand réprouvé;

Il n'appartient qu'à moi de lui faire justice!

Et la foule s'écarte; et, devant tous passant,

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Judas murmure à tous : « Mes amis!... traître? traître ?...

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Qui parle ainsi?... qui sait que j'ai trahi mon maître?... » Avant de prononcer sur un forfait récent,

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De ses anciens forfaits que chacun se souvienne!
Votre main, mes amis, votre main dans la mienne!...
Qui veut mon amitié? Qui veut... Le prix du sang?
Arrière, Ombre du Christ! Ombre du Christ, arrière!.....
Que viens-tu jusqu'ici poursuivre ma paupière !,..

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J'ai vendu l'Innocent!... j'ai vendu l'Innocent!

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son supplice

Le chanvre pend encore au cou du suicide. L'Eternel dans sa gauche a mis trente deniers ; Sa main veut les jeter, mais dans sa main sordide, Les deniers, malgré lui, demeurent prisonniers. Sous un calme apparent son front qui se déplisse, D'un mal caché pour tous ne porte plus l'indice. Son châtiment est-il ou paisible ou cruel? Nul, sauf lui-même et Dieu, ne le sait; Reste pour Satan même un mystère éternel. Après cette citation, cher lecteur, tout commentaire sur la valeur poétique de Satan ne devient-il pas superflu? Le vers de M. Henri Delpech est jugé. Le sentiment religieux domine dans cette épopée; il lui communique la chaleur, le mouvement et la vie; et si l'auteur de Satan n'a pas doté la France du poëme épiqué qu'elle attend encore et qu'elle doit peut-être attendre toujours, il a du moins, inspiré par la muse chrétienne, élevé un poétique et glorieux monument à nos saintes croyances.

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--

-Et maintenant que nous avons rendu justice à une œuvre consciencieuse et bonne, parlerons nous de cette littérature soldée dont nous avons maintes fois entretenu nos lecteurs? Nous l'eussions laissée en repos dans les bas lieux qu'elle affectionne, au milieu de ceux qui la paient, si elle eût voulu demeurer là où la parole sévère d'un illustre prélat vient de la rejeter. Mieux inspirée, elle n'eût point remué la poudre où elle se tord, et, justement flétrie, elle n'eût pas essayé ce triste sourire qui n'est qu'une grimace. Surtout elle eût gardé quelque contenance, et n'eût pas, en cherchant à tout ravaler à son niveau, montré que sa fierté ne s'élève pas au-dessus du salaire qu'on accorde pour toute chose ou toute plume→ qui se vend. Il y a longtemps que nous le savons, cette littérature se lasse de l'antichambre, elle veut monter au salon; mais pour cela il lui faut perdre ce ton et ces allures qu'elle affecte, et cette insolence qui la conduit, dans son impuissance de mordre, à maculer d'un baiser hypocrite la main de son maître. Détournons-nous de ce spectacle et remercions ici nos Évêques dont la grande voix fait échec à la révolution, à l'hérésie, à Salan. Dieu inspire visiblement leur plume sacrée; nos âmes s'émeuvent et prient à l'unisson des leurs; et c'est avec vérité que Mgr de Nantes interprète les sentiments de notre héroïque Bretagne Toute poitrine bretonne et vendéenne sent en ce moment battre avec orgueil et angoisse son cœur avant tout catholique.

LOUIS DE KERJEAN.

DB LA

CONSPIRATION DE PONTCALLEC

(1717-1720).

SUITE DE LA SECONDE PARTIE”.

CHAPITRE IX.

L'Echafaud.

J'ai recherché avec soin tout le détail de cette lugubre journée du 26 mars 1720, qui vit tomber les quatre têtes de MM. de Pontcallec, de Montlouis, du Couédic, et Le Moyne de Talhouët. Je n'ai tenu pour indifférente aucune des circonstances propres à nous représenter la tragique physionomie de cette grande scène : n'est-ce pas là la pompe funèbre des quatre derniers martyrs de la liberté bretonne? Mais, dans une telle scène, l'appareil extérieur n'est que l'accessoire; canons, piques, torches, échafaud ne sont que des décors; juges, soldats, bourreaux, de simples comparses: les héros, ce sont les victimes; sur elles se concentre tout l'intérêt. Quelles ont été leurs pensées, leurs sentiments, leurs paroles? de quel œil et de quel cœur ont-elles regardé la mort? Voilà ce qu'on veut connaître avant tout, et certes l'on a raison : c'est la mort qui juge la vie.

Si donc vous voulez savoir quelle fut la mort de ces quatre Bretons, immolés au ressentiment d'un ombrageux despotisme, vous trouverez satisfaction dans la relation suivante, qui nous fait voir, minute par

(1) Voir le chapitre VIII, t. IV, pages 29 et 54.

Tome VI.

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minute, la suite de leurs sentiments, de leurs paroles et de leurs actes, depuis l'instant de leur condamnation jusqu'à leur dernier soupir.

Ecrite par un prêtre, par un religieux, confesseur de l'un des quatre gentilshommes, et qui pendant tout ce temps ne les quitta pas une seconde, cette relation joint à une sincérité parfaite une autorité irréfragable. Je ne saurais me dispenser-tout le monde le sent -de produire ici ce solennel témoignage, rendu sur la tombe toute fraîche des quatre victimes du Régent. Le paraphraser serait une insigne maladresse; le tronquer ou l'abréger, une sorte de trahison envers nos martyrs; il faut le citer en entier; d'ailleurs, je l'affirme sans crainte, on le lira sans ennui.

Ce document a déjà été publié une fois dans le Lycée armoricain, en 1829, une seconde fois dans le livre Bretagne et Vendée, de M. Pitre Chevalier. Mais ces deux publications sont fautives et incomplètes, même en des points essentiels. Je me suis donc attaché à revoir le texte avec soin sur plusieurs exemplaires manuscrits, afin de le purger, autant que possible, de toute faute et de toute lacune. Je n'y joindrai nul commentaire, mais seulement quelques notes, çà et là, pour indiquer certains détails de la mise en scène, que le bon moine, tout occupé de la personne et surtout de l'âme des patients, n'a pas eu le temps de remarquer, et que j'ai appris d'ailleurs.

RELATION FIDÈLE

de tout ce qui s'est passé à la mort des quatre Gentilshommes qui eurent la tête tranchée à Nantes, le mardi de la Semaine Sainte, 26 Mars 1720 (écrite par le P. Nicolas de Tous-les-Saints, religieux du couvent des Carmes de Nantes.)

<< Vous souhaitez, Monsieur ('), une relation fidèle de ce qui s'est passé à Nantes, le mardi de la Semaine Sainte 1720. Voilà, avec toute la sincérité possible, quels furent les derniers sentiments et les dernières paroles des quatre gentilshommes qui eurent la tête tranchée.

>> Messieurs les commissaires de la Chambre Royale s'assemblèrent vers les cinq heures du matin. Leur séance ne finit et leur diner ne com

(1) Cette relation est sous forme de lettre écrite à un ami du Père Nicolas.

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