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Et moi, je n'ai jamais eu probablement un auditeur aussi bien

veillant que vous....

Votre excellente tante en sera quitte pour garder la chambre pendant quelques jours, dit M. de Chazé en rentrant dans le salon. Vous n'avez pas eu besoin de lui prêcher la résignation?

Non, elle accepte héroïquement les conséquences ennuyeuses de son accident.

En ce moment, un domestique vint annoncer que le souper était servi. M. de Chazé, qui avait conservé l'ancienne habitude de faire ses trois repas par jour, offrit son bras à Mlle de Villecreux, pour passer dans la salle à manger.

Après le souper, M. de Chazé, ayant des ordres à donner dans sa maison, quitta bientôt le salon.

De nouveau Mile de Villecreux et M. de Beaulieu se trouvèrent seuls. Cette fois, Georges n'éprouvait point, comme à son arrivée, l'embarras qui avait un instant paralysé les facultés de son âme. Au contraire, ce ne fut pas sans un certain plaisir qu'il vit recommencer son tête-à-tête avec la charmante jeune fille dont la présence l'avait tant déconcerté d'abord. Sous l'empire d'une admiration enthousiaste, comme on en éprouve lorsque les élans passionnés de la jeunesse n'ont point encore été détruits par les illusions, Georges ne cherchait point à détourner de son cœur le dangereux enivrement de l'amour. Bien loin de là, il se félicitait, au contraire, de ce qu'un heureux hasard l'eût mis à même d'admirer la beauté de Mlle Marie, d'entendre sa douce voix qui lui faisait trouver près d'elle un charme inconnu.

En causant avec elle, il pouvait à chaque minute remarquer son esprit distingué, ses connaissances, fruit d'une éducation soignée, et, par dessus tout, la bonté de son âme noble et généreuse.

Tant de séductions réunies devaient nécessairement faire naître dans le cœur ardent de notre héros un de ces amours purs qui enivrent l'âme du plus grand bonheur qui se puisse goûter sur la terre.

Après avoir causé de choses diverses, Mlle de Villecreux dit à Georges :

Pourriez-vous me dire, Monsieur, pourquoi M. de Chazé est si affairé ce soir?

Probablement mon oncle donne des ordres à ses domestiques pour que tout soit prêt demain au point du jour....

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Que doit-on faire à cette heure matinale?

Chasser le loup.

Ah! ce doit être intéressant?

Pour des chasseurs....

Et pour une Vendéenne comme moi.

Vraiment!

Oui, j'aimerais à galoper au milieu des bois, lorsque le cor fait retentir les échos de ses éclatantes fanfares.

En véritable amazone, vous apprécieriez la chasse à courre? -Beaucoup, et j'avoue que je me sentirais enthousiasmée quand j'entendrais le bruyant tapage de la meute excitée par les cris des piqueurs. Quelle émotion j'éprouverais, entrainée par mon cheval qui, blanc d'écume, semblerait avoir trouvé des ailes, tant il serait infatigable! Ah! je comprends tout l'attrait que doit avoir pour un homme la chasse à courre, et je m'explique parfaitement pourquoi ce plaisir a toujours été la passion des rois.

Pour les rois, en effet, ce doit être une grande source de jouissances, car étant à même de choisir leurs chevaux parmi les meilleurs, ils peuvent toujours arriver des premiers à l'hallali.

Tandis que ceux qui ne sont pas bien montés éprouvent l'ennui de rester en arrière.

-Ce qui est fort désagréable.

Je n'ai pas de peine à vous croire. Votre cheval est-it bon, Monsieur de Beaulieu ?

Hélas! non, j'avais une belle jument que j'ai été obligé de vendre.
Parce qu'elle avait des défauts, peut-être ?

Non, tout simplement parce que j'en ai trouvé un prix énorme. Et ce motif seul a suffi pour vous engager à vous défaire de cette belle et bonne bête?....

Mademoiselle, quand on revient de l'exil, on ne roule pas sur

l'or....

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Ah! je comprends.... Mais quel était donc l'amateur si désireux d'acquérir votre coursier?

Une jeune fille, ma parente....

Mlle de Fauvigny, sans doute?

Elle-même.

Je la connais beaucoup, c'est une de mes amies d'enfance.
A vous ?

Oui, à moi, cela parait beaucoup vous étonner!

Je l'avoue.

Et pourquoi?

Parce que son père est un misérable!

Je sais tout le mal qu'il a fait à votre famille, et je comprends votre irritation quand vous entendez prononcer son nom; mais la conduite de monsieur de Fauvigny ne devrait pas influencer votre jugement sur sa fille que beaucoup de gens aiment....

On s'en aperçoit, Mademoiselle, à la façon dont vous la défendez. Si je n'agissais pas de la sorte, je la tromperais indignement, en me disant son amie,

Je ne connais pas mademoiselle Charlotte, je ne puis donc en parler ni en bien ni en mal; seulement, je la crois d'un caractère capricieux.

Parce qu'elle a payé votre jument fort cher ?
Oui.

C'est-à-dire qu'au lieu de supposer qu'un motif généreux ait pu seul faire agir votre cousine, vous préférez, sans crainte de vous montrer injuste, l'accuser d'être fantasque !

Je ne vois pas comment je pourrais faire autrement; car, Mademoiselle, vous conviendrez qu'il faut qu'une jeune personne soit bien habituée à satisfaire ses caprices, pour offrir de prime-abord, d'un objet qu'elle désire acquérir, deux ou trois fois plus d'argent qu'il ne vaut? Monsieur de Beaulieu, si vos préventions n'égaraient pas maintenant votre esprit et votre cœur, j'aurais de vous une triste idée; car vous jugez votre cousine avec une partialité aveugle, et, franchement, j'ai une trop haute opinion de la noblesse de votre caractère pour vous supposer un pareil penchant à croire le mal sans examen.

(La suite au prochain numéro.)

CHARLES THENAISIE.

A MON GRILLON.

Salut! petit grillon, dont la voix monotone
Depuis bientôt huit mois ne m'a pas dit bonsoir,
Salut !.... J'ai grande joie au retour de l'automne :
Vieil ami, c'est le temps où nous allons nous voir!

Que de fois ton refrain m'a tenu compagnie,
Durant les soirs d'hiver, les longs soirs de janvier !
Oh! je vais donc l'entendre encor, ta voix bénie,
Ta voix qui me plaît tant, chantre de mon foyer !

Tu diras ta chanson sans cesse poursuivie,
Et moi je rêverai de gloire, d'avenir,

Et de l'ange du Ciel qu'en cette rude vie,
Dieu plaça près de moi pour m'aider à souffrir.

N'ayant point de regrets, souhaitant peu de chose,
Sans penser à demain tu jouis de tes jours.

Tandis que sur mon sein penchant mon front morose,
Je songe et me souviens, toi, tu chantes toujours.

Quels projets de voyage en ma folle cervelle,
Devant mon feu qui luit, je formai l'an dernier !
Las! nés avec la neige, ils ont fondu comme elle !
Et je suis encor là, paisible casanier.

Tu n'as pas, toi non plus, fui cette humble retraite ;
Je te revois blotti dans ton coin près de moi.
Ah! que tous ces amis que mon foyer regrette,
O mon pauvre grillon, n'ont-ils fait comme toi!...

Chétif était pourtant l'âtre où je te convie;
Tu ne l'as pas quitté pour un plus riche feu,
Au luxe préférant pauvre, mais libre vie ;

Sur ce point, cher grillon, je te ressemble un peu.

N'abandonne jamais le toit qui nous protége:

Tant qu'un morceau de pain me restera pour moi,
Tant que j'aurai du bois pour braver glace et neige,
Je partagerai tout, comme un frère, avec toi.

Mais s'il te fallait fuir ma modeste demeure,
Qui t'offre le bonheur et de calmes abris,
Pour aller, tendre ami du malheureux qui pleure,
Appeler par tes chants le sommeil sur ses nuits;

Va donc, consolateur de la triste indigence;
Porte à l'infortuné l'oubli de ses douleurs ;
Ta voix infatigable, endormant sa souffrance,
Lui rendra plus léger le poids de ses malheurs.

Ah! chante: il songera que le Dieu qui ménage
Un asile au grillon, veille aussi sur son sort.
Comme à cette pensée il reprendra courage
Et pour porter son faix se sentira plus fort!

Pourquoi n'ai-je donc pas une voix qui console?
A son foyer éteint que ne puis-je m'asseoir,
Et, glissant dans sa main une discrète obole,
Avec un mot d'amour lui dire un mot d'espoir!

Va donc, quand, fatigué du poids de l'existence,
Dans son âme ulcérée il blasphèmera Dieu,
Lui murmurer tout bas : « Espérance! espérance! »
Et puis reviens encor te chauffer à mon feu,

Reviens, comme ce soir je te reviens moi-même ;
J'ai déjà préparé tout pour le recevoir;
Toi prépare ta voix et tes chansons que j'aime.
Adieu, mon vieil ami! beau chanteur, à ce soir !

LOUIS AUDIAT.

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