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II.

PÈLERINAGES DE BRETAGNE

(MORBIHAN)

PAR M. HIPPOLYTE VIOLEAU.

DEUXIÈME ÉDITION (').

Les Pèlerinages de Bretagne ont fait leur tour de France, pour ne pas dire plus, et quand, il y a quelques jours, nous avons vu reparaître ce livre déjà aimé, nous avons ressenti cette joie que l'on éprouve en retrouvant un ami dont l'on était séparé depuis longtemps et que l'on attendait avec impatience.

Aujourd'hui, il est de mode de beaucoup voyager; seulement c'est pour dévorer l'espace sur l'aile de la vapeur, comme disent les poètes; mais il est rare que ces lointaines pérégrinations aient un but sérieux et moral. Les uns vont à la conquête de l'or; la plupart cherchent à tuer le temps, à dissiper l'ennui, ce mal mystérieux qui ronge notre jeunesse. Il est peu de ces touristes qui, comme M. Violeau, avant de quitter leur demeure, appellent sur ceux qu'ils y laissent les bénédictions du ciel; peu qui pensent, au matin du départ, à réciter comme lui cette prière qui parle de l'ange Raphaël, conducteur du jeune Tobie, et de l'étoile qui guida les Mages. Qu'elle est belle cependant dans sa noble simplicité, lorsqu'elle fait dire au voyageur ces paroles touchantes : « Servez-nous, Seigneur, de protecteur » au départ, de consolateur dans le chemin, d'ombre pendant la chaleur, » de couvert pendant la pluie et le froid, de chariot dans la lassitude, » d'asile dans l'adversité, de bâton dans les passages glissants, de port dans » le naufrage, afin qu'étant conduits par vous nous arrivions heureusement » où nous allons, et qu'enfin nous retournions en bonne santé dans nos familles. »

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M. Violeau a eu l'heureuse idée d'intituler son récit Pèlerinages. En effet, notre vieille Armorique est vraiment encore une terre sainte, d'où la fidélité à Dieu et aux vrais principes n'est pas déracinée.

(1) A Paris, chez Ambroise Bray, rue des Saints-Pères, 66; à Nantes, chez Mazeau et Poirier-Legros.

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Il est écrit dans l'histoire, dit le P. Lacordaire, que tout est sauvé quand les cœurs héroïques n'ont pas fléchi. » M. Violeau est une de ces âmes énergiques. Alors que tant d'autres poètes se laissent aller au cou rant du premier flot qui les sollicite, et que leur caractère est comme l'eau qui échappe à la main qui veut la saisir, notre poète breton reste aussi immobile que le rocher de nos rivages, au milieu de toutes ces vicissitudes et de toutes ces évolutions. Avec l'aptitude à souffrir, nous dit-il, on a » de ces âmes de feu, de ces caractères de fer inaccessibles aux séductions » comme aux menaces, aux persécutions des honneurs comme à celles » des supplices; mais avec des mœurs amollies, la passion effrénée du bienêtre, de la satisfaction des sens, on n'a plus que ce que vous voyez un grand marché d'esclaves approvisionné par l'ambition et la peur, et où toute conscience est à vendre. »

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M. Violeau a eu raison de parcourir notre Bretagne, le bâton à la main, avant qu'il ne soit plus possible de la visiter qu'à travers le bruit et la fumée de la locomotive.

Le Breton a un beau caractère, et ce n'est pas seulement dans nos pardons et dans nos églises, c'est aussi dans le sanctuaire de la famille et dans les habitudes de la vie champêtre que l'auteur des Pèlerinages a voulu l'étudier. Il le prend au berceau, le suit partout, sur les landes, sous les forêts, qui cachent de mystérieux souvenirs, et alors il peut saluer, dans nos chaumières comme sur nos clochers, la croix qui en aucun lieu du monde ne fut mieux adorée.

On aime à voir comment M. Violeau sait apprécier certains côtés de ce caractère breton. Ecoutons le parler de l'amour du sol natal; nul n'en a plus le droit que lui qui en donne chaque jour tant de preuves:

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L'église où l'on a été baptisé, où l'on s'est assis sur les bancs du catéchisme, où l'on a reçu sa compagne des mains de Dieu et fait bénir ses enfants; l'église à côté de laquelle on a son champ, son toit, sa famille, » ses souvenirs et ses espérances : cette église, quelle que soit la pauvreté » de son architecture, a bien droit à toutes nos préférences, dût notre » amour, comme tous les amours de ce monde, se repaître d'illusions. Et puis, s'il y a là un léger travers, n'est-il pas préférable à la sotte manie

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» de bien des gens toujours prêts à décrier la terre qui les nourrit, la » maison qui les protège, pour exalter, sans plus de raison, d'autres pays, » d'autres peuples, dont le premier mérite, après tout, aux yeux de ces mé>> contents et de ces ingrats, est qu'ils leur sont tout-à-fait étrangers. L'amour de la patrie, même dans ses petites faiblesses, est du moins respectable. Heureux qui conserve cet amour dans toute sa naïveté! bien à plaindre qui l'a perdu, et ne trouve après une absence que le froid dédain en voyant se dessiner à l'horizon le clocher du pays natal! »

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On croit généralement qu'il est indispensable à tout homme, qui se sent

quelque valeur, d'aller à Paris chercher de nouvelles lumières, et si, par hasard, il se refuse à suivre le torrent, il est pris en pitié et regardé comme un malheureux et un déshérité.

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Celui qui tout à l'heure nous parlait si bien de l'amour du pays, n'a jamais quitté sa solitude de Morlaix pour voir la grand'ville, et cependant à quel degré n'a-t-il pas su atteindre! Sa poésie est-elle moins bien inspirée, ses nouvelles et ses études sont-elles moins charmantes, parce que sa Muse bretonne a préféré nos landes et nos bruyères à l'asphalte du boulevard, et le beau spectacle de nos rivages à celui de l'Opéra et du Théâtre-Français ?.... Ah! M. Violeau aurait bien le droit d'envoyer à Saint-Colomban, que les Bretons, à Locminé, invoquent comme le patron des sols et des fous, tant de pauvres fous de nos jours! - A Locminé! A Locminé, » cette jeunesse oisive, endormie sur des ottomanes dans un nuage de » fumée de tabac ! A Locminé, l'industriel, le bourgeois philosophe revenu » à son impiété tyrannique dans ses usines, ses manufactures, et qui emploie aujourd'hui, à faire des rouleaux de gros sous, les feuillets du livre d'église, si étonné, en 1848, de se trouver à la messe entre ses mains! A Locminé, ces malheureux ouvriers séduits par les escamoteurs du socialisme, et conduits si rapidement à la misère ! A Locminé, le savant, » le poète, l'artiste, rêvant encore les rayonnements de la gloire, une » renommée européenne, au sein d'une tourbe avilie, corrompue, ennemie ‣ de la pensée, vouée tout entière au culte inepte de l'argent!

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Ce premier volume des Pèlerinages de Bretagne est consacré au Morbihan. Depuis le combat des Trente jusqu'à celui de Quiberon, cette terre a été le champ d'honneur de la bravoure et de la fidélité. M. Violeau n'a pas oublié cette page de notre histoire; Vannes et Auray éveillent en lui de patriotiques souvenirs et il raconte avec émotion les luttes des élèves du collège de Vannes en 1815. Plus loin, il nous ramène au pied du monument expiatoire de la Chartreuse d'Auray, où, après leur mort glorieuse à Quiberon, nos pères reposent dans le triomphe de leur martyre. Ce souvenir est un deuil pour les familles bretonnes, qui furent presque toutes représentées dans cette lutte suprême pour la conservation de la foi et de la patrie. On ne saurait oublier cette page sanglante, et nous dirons avec M. Violeau : Le pardon est une vertu sociale; l'oubli est à la fois une faute et un danger.

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Auprès de la Chartreuse s'élève la chapelle de Sainte-Anne d'Auray, que tout Breton veut avoir vue avant de mourir. C'est là que se trouve l'expression la plus haute de notre foi, et nous nous associons de tout cœur à ces belles paroles de l'auteur des Pèlerinages : « Croyez-vous, demandait le

Sauveur à ses apôtres, que lorsque le Fils de l'Homme paraîtra de nou» veau à la fin des temps, il retrouve un peu de foi sur la terre? Oui, Seigneur! Oserons-nous répondre quand la foi serait éteinte partout

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ailleurs sur la surface du globe, vous la retrouveriez encore en Bretagne devant l'autel de Sainte-Anne et le tombeau de Nicolazic. »

M. Violeau a ajouté à cette nouvelle édition un chapitre sur l'institut des frères de M. Jean-Marie de Lamennais, où il esquisse l'histoire de cette congrégation qui, ne datant que de quelques années, compte déjà plus de mille religieux, répandus non seulement en Bretagne, mais encore dans les colonies.

Ce nom de Lamennais rappelle, hélas! un triste souvenir !.... Cependant n'est-il pas encore permis d'espérer, quand on a lu ce passage consolant des Pèlerinages: - « On a dit qu'au moment d'expirer et quand la parole >> avait fui ses lèvres closes, Robert-Félicité promena un regard douloureux » autour de lui et qu'une larme sortie de sa paupière coula lentement sur » ses joues creusées plus encore par les soucis que par les années, la ma» ladie et les approches de la mort. La réconciliation n'a pas été appa>> rente Dieu le voulait ainsi pour laisser à une grande leçon toute sa force de terreur. Mais cette larme, d'où venait-elle? O vénérable prêtre, qui avez attaché au nom de Lamennais le souvenir d'une foi si humble, » si fidèle et si courageuse, cette larme, votre seule consolation et votre dernière espérance, pourquoi ne serait-elle pas, en effet, le signe du repentir et du pardon, l'insigne faveur accordée à vos bonnes œuvres et à vos ardentes prières?

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- Qu'il s'en aille donc une seconde fois par le monde, ce petit livre des Pèlerinages; qu'il rappelle à la Bretagne ce qu'elle a été, ce qu'elle doit toujours être, et puisse-t-on répéter jusqu'au dernier jour, avec un de ses plus fervents apôtres, le père Maunoir: « Le soleil n'a jamais éclairé canton où ait paru une plus constante fidélité dans la vraie foi. Dieu a mis ses » saints à la porte de ce paradis terrestre pour empêcher le retour du serpent infernal. Il y a treize siècles qu'aucune infidélité n'a souillé la langue qui a servi d'organe pour prêcher Jésus-Christ, et il est à naître celui qui ait vu Breton bretonnant prêcher autre religion que la catholique. >>

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V GOUZILLON de bélizal.

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Pendant un séjour au camp de Ghelma en compagnie des commandants Pél...er et Delc...e, nous abrégions le temps non seulement par des récits de plus d'un genre, mais par des discussions de omni re et quibusdam aliis. Il m'est parfois arrivé d'indiquer, dans des notes au crayon, tantôt les points dont nous étions tombés d'accord, tantôt ceux que j'avais soutenus seul contre l'avis de mes interlocuteurs. Le résumé de ces notes, dont j'écarte la partie anecdotique, compose le chapitre que je publie ici.

L'esprit militaire accomplit tous les jours un tour de force dans lequel échouent les philosophes et les prédicateurs, il obtient que des milliers d'hommes fassent passer mille choses avant le soin de la conservation de la vie.

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On accuse le tien et le mien d'être la source de toutes les guerres : C'est là une contre-vérité accréditée par des sophistes et des rhéteurs. Le tien et le mien sont la cause et la sauvegarde de la paix; elle n'est troublée que quand le tien et le mien sont mal définis et mal respectés, et dans une société qui les abolirait tout serait guerre et bataille, pillage et carnage.

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Entre la gloire et la célébrité il y a la même différence qu'entre un Panthéon et un Pandémonium.

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En théorie la force dérive du droit, en pratique nous avons changé tout cela.

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Dans tous les jeux, et surtout au jeu de la guerre, il faut

Tome VI.

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