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LA VEILLÉE.

A M. EUGÈNE de la Gournerie.

Asseyez-vous près du foyer, le soir,
Pour écouter quelque récit bien noir.

A la veillée, au fond de la chaumière,
Sont réunis femmes, garçons, vieillards.
Au coin de l'âtre une faible lumière
En tremblotant jette des feux blafards;
Mais le genêt étincelle et pétille,

Au vent plaintif se mêlent des bruits sourds:
Ce sont les bruits des fuseaux déjà lourds
Tournant aux doigts de chaque jeune fille.

Asseyez-vous près du foyer, le soir,
Pour écouter quelque récit bien noir.

Vous le pensez, le soir ne dure guères,
Lorsqu'on entend raconter tour à tour

Et les exploits du temps de nos grand' guerres,
Et les malheurs d'un innocent amour.

Des Vendéens qu'on dise le martyre,

Les laboureurs sont fiers et palpitants;

Mais parle-t-on des amours de vingt ans,
Plus d'un œil brille et plus d'un cœur soupire.

Asseyez-vous près du foyer, le soir,

Pour écouter quelque récit bien noir.

Lorsque l'aïeule, en son fauteuil antique,
Tout en filant sa quenouille de lin,
A répété l'histoire fantastique

Et les méfaits d'un farfadet malin,
Les loups-garous viennent jouer leur rôle,
Puis les lutins de la plaine et des bois....
Mais tout se perd! Ces contes d'autrefois,
Le paysan d'aujourd'hui les contrôle !

Il politique! Est-ce plus gai? - Le soir,
A son foyer je n'irai pas m'asseoir!

ÉMILE GRIMAUD.

M. VICTOR COUSIN".

V.

M. Cousin écrivait en 1838 : « Il faudrait que je fusse bien difficile pour n'être pas satisfait des succès de l'éclectisme. Grâce à Dieu, il a fait un assez beau chemin dans le monde, et, au lieu d'avoir besoin d'entreprendre sa défense, c'est bien plutôt à lui à se charger de la mienne. L'éclectisme n'est peut-être pas le principe de la nouvelle philosophie, mais c'est son drapeau le plus visible. Quand je le montrai jadis au début de ma carrière, dans l'humble enceinte de l'Ecole Normale et de la Faculté des Lettres, quelle que fût ma conviction personnelle, je ne m'attendais pas qu'il ferait une fortune aussi rapide.... (2) » M. Cousin a raison : le système et ses soutenants ont eu du succès. Il y a des renommées plus glorieuses et des influences plus bienfaisantes; mais, reconnaissons-le, nul depuis Voltaire n'a exercé sur son pays et sur son temps une action plus profonde que le fondateur de l'éclectisme.

Professeur à l'âge où la plupart des hommes sont encore écoliers (3), écrivain très-remarqué dès ses débuts, il a eu la bonne fortune d'être persécuté dans un temps où la disgrâce était un titre à la faveur publique. Cette persécution a été le point de départ d'une popularité que l'éclat d'un haut enseignement et une attitude libérale ont singulière

(1) Voir la Revue, t. VI. p. 51-69, 149-167.

(2) Fragments, avertissement de la 3" édition.

(3) Né à Paris, le 28 novembre 1792, M. Victor Cousin fut admis à l'Ecole Noamale en 1811, et chargé de suppléer M. Royer-Collard, à la Faculté des Lettres, en décembre 1815.

ment accrue. De nombreux disciples se groupèrent autour du jeune maître qui paraissait unir le talent au courage: il sut les captiver, en opposant au scepticisme théologique de Lamennais, qui était alors le défenseur du pouvoir absolu, l'indépendance et l'infaillibilité de la raison, qui furent regardées comme les symboles de l'indépendance politique. Professeur et élèves s'entendaient à demi-mot, et faisaient ensemble, contre l'Eglise et la branche aînée, une petite guerre d'allusions fort spirituelle et fort goûtée.

Lorsque la Révolution de 1830 eut abouti à une institution qui n'avait pour elle ni la volonté nationale ni le prestige de l'hérédité, sorte de royauté éclectique faite à l'image de la sagesse du temps, M. Cousin eut naturellement le gouvernement de la philosophie : Programmes ('), examens, concours, chaires, Ecole Normale, tout dépendit de lui. Dans l'Université, il fut plus roi que le roi dans son royaume; car, durant de longues années (ménagé par les ministres qui voyaient en lui un successeur, choyé par l'opposition qui le regardait comme un mécontent), il exerça un pouvoir sans contrôle. Il distribuait à son gré les titres, les emplois, les avancements, recoinpensant les plus obscurs parmi les fidèles, écarlant ceux qui s'avisaient d'être trop éclectiques et d'avoir une opinion personnelle (2). Mais il se faisait plus de créatures que d'amis. Les faibles le redoutaient à cause de ses boutades, les forts s'irritaient de sa tyrannie et de son inconsistance; de sorte que, si l'on tient compte de la solidarité des doctrines dans un parti et des répugnances que soulève une domination capricieuse, il était tout à la fois puissant et isolé.

Cet isolement, insupportable pour ceux qui sont habitués à la bruyante affection d'un jeune auditoire, M. Cousin le sentit avec amertume, lorsque le pays s'émut du progrès de ses doctrines et de leurs

(1) « C'est moi, en effet, qui depuis 1830, comine conseiller ou comme ministre, ai rédigé et proposé au conseil les deux grands arrêtés sur lesquels roule tout l'euseignement de la philosophie. » (Discours prononcé devant la chambre des pairs, séance du 21 avril 1844).

(2) M. Damiron l'a connu tout autre, il paraît: « Ce qu'il y avait d'excellent dans sa manière, c'est qu'il faisait école sans lier ses disciples; c'est qu'après leur avoir donné l'impulsion, il les laissait aller, et se plaisait à les voir user largement de leur indépendance: nul n'a moins tenu que lui à ce qu'on jurât sur ses paroles, etc. » Essai sur l'Histoire de la Philosophie en France au XIX• siècle.

tendances anti-chrétiennes. Ce fut pour lui un jour triste, mais non sans gloire, que le jour où il monta à la tribune de la chambre des pairs pour défendre la philosophie officielle, ou plutôt sa propre philosophie ('): « Je ne l'ignore pas, dit-il : je suis ici le principal accusé, car, il faut bien que je le reconnaisse, si la direction de l'enseignement philosophique est une direction fausse en principe, je suis non pas le seul, mais le plus grand coupable. » Voyez la vertu merveilleuse de la franchise! Réduit à ses propres forces, peu soutenu du ministre, défendant une mauvaise cause, mais défendant sa cause, et reconnaissant qu'il est le principal accusé, le philosophe est vraiment éloquent. Ses adversaires les plus prévenus rendent hommage à son talent; quelques-uns mêmes sont ébranlés par cette apologie si passionnée et si habile à déplacer la question (2). Les membres de la vénérable assemblée ne lisent guère les publications philosophiques. M. Cousin le sait très-bien, et il en tire adroitement parti. On l'accuse de ne pas respecter la religion? Qu'on ouvre ses livres, et on y trouvera les témoignages les moins douteux de sa tendre déférence. On incrimine la direction donnée par lui à l'enseignement philosophique? mais le programme est irréprochable. « J'ai parcouru, dit-il, tous les écrits contre l'enseignement philosophique de l'Université; j'ai lu avec

(1) Séance du 21 avril 1844.

(2) Voici, par exemple, une magnifique démonstration de l'influence morale des grands écrivains (que personne ne contestait) : « Quelle idée se fait-on, messieurs, des sciences et des lettres, et particulièrement des études appelées, à si juste titre, humanités, si on suppose qu'elles se bornent à déposer dans la mémoire et à la surface de l'entendement quelques connaissances plus ou moins précieuses, sans exercer aucune influence sur toutes les autres facultés et sur l'âme tout entière? Quoi! on n'apprend que des langues diffé rentes à un jeune homme, lorsque, peudant sept ou huit années, on le nourrit de la lecture assidue des chefs-d'œuvre de l'antiquité et de la littérature nationale ! quoi! tous ces divins génies, hôtes assidus de nos colléges, guides et compagnons fidèles de nos élèves, ne leur enseignent que des mois! on rougit en vérité d'avoir à réfuter de pareilles extravagances. Non, messieurs, ce commerce intime avec ce qu'il y a eu de meilleur et de plus grand sur la terre est la plus bienfaisante éducation. Tout l'art de l'éducation consiste, en effet, à créer autour de la jeunesse une atmosphère morale d'autant plus efficace qu'elle est ou semble plus naturelle. Nous la créons sans effort, en laissant sortir des monuments consacrés des grandes littératures ce parfum insensible et pénétrant d'idées justes et de sentiments honnêtes qu'ils exhalent sans cesse, qu'ils répandent et entretiennent dans l'humanité. »

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