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CHRONIQUES ET LÉGENDES DE LA VENDÉE MILITAIRE.

UNE COUSINE VENDÉENNE".

IV.

Comme six heures du matin sonnaient à l'horloge de Saint-Maurice à Angers, un homme s'arrêta devant un bureau de diligences, situé sur le quai. Cet homme, qui paraissait attendre l'arrivée d'une voiture, avait une cinquantaine d'années. Sa taille était ordinaire ; de longs cheveux grisonnants retombaient sur ses larges épaules; sa physionomie ouverte ne manquait pas d'expression. Il portait le costume des paysans vendéens, seulement l'étoffe de ses vêtements avait un peu plus de finesse.

Quand la diligence de Paris arriva, ce paysan s'élança à la portière en disant d'une voix émue :

Monsieur le comte de Beaulieu ?

Me voici! répondit Georges en sortant de la diligence.

Oh! mon cher maitre, permettez que Germain, votre vieux serviteur, vous embrasse!...

En disant cela, Germain serra Georges dans ses bras avec un tel transport de joie, que des larmes d'attendrissement en vinrent aux yeux du jeune homme.

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Et monsieur le marquis, l'avez-vous laissé bien portant? reprit Germain en regardant le comte de Beaulieu, dont la taille et la bonne mine semblaient exciter son admiration.

(1) Voir la Revue, T. VI, p. 97-110

Tome VI.

14

Grâce à Dieu, mon père se porte bien.

Tant mieux! mais vous auriez bien dû amener M. le marquis avec vous j'aurais été si heureux de le voir!

-

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Mon père n'a pas voulu faire ce voyage.

M. le marquis m'a écrit qu'il ne reverrait jamais le pays, parce que tout ici lui rappellerait de tristes souvenirs.

Paris.

Précisément, ce sont ces considérations qui le retiennent à

Pendant cette conversation, on avait déchargé les effets de Georges. Germain les mit sur son épaule, puis s'adressant à M. de Beaulieu :

M. le comte, dit-il, je suis descendu aujourd'hui à l'un des premiers hôtels de la ville, au Cheval-Blanc.

D'habitude, où descendez-vous?

Ayez la bonté, monsieur le comte, de me tutoyer, comme vous le faisiez étant enfant, cela me causera un sensible plaisir.

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-

Eh bien! soit, répond à ma question, mon bon Germain.

M. le comte, quand je viens à Angers, je loge dans la plus modeste auberge de la ville.

Pourquoi ce changement, aujourd'hui ?

Parce que M. le comte de Beaulieu ne pouvait pas descendre dans une auberge, où il se serait trouvé mêlé à des rouliers.

-

Ma dignité n'aurait pas eu beaucoup à souffrir de cela.

L'hôtel du Cheval-Blanc était le seul digne de vous recevoir.
Parce que tout s'y paie beaucoup plus cher? dit Georges en

souriant.

Oui, M. le comte.

Mais, Germain, tu sais que je ne suis pas riche?

C'est une petite dépense nécessaire en passant. La noblesse du pays descend à cet hôtel. Vous arrivez; tout le monde, si ce n'est moi, ignore la malheureuse position de fortune où vous vous trouvez. On sait que vous avez fait des pertes immenses, mais on ne vous croit pas si près de la misère. Jetons un peu de poudre aux yeux, faisons croire qu'il vous reste encore de quoi vivre dans l'aisance, et justifions ce proverbe, qui est, ma foi, bien vrai : mieux vaut faire

envie que pitié. Arrivés à Beaulieu, dame! monsieur le comte, nous vivoterons. Cependant, nous serons obligés, une fois au moins, de donner à dîner à quelques personnes notables du pays. Ce jour-là, comine on dit, nous mettrons tout par les places. Il faudra que M. le comte ait la réputation de bien traiter son monde, quand il s'en donnera la peine, parce que le souvenir de ce repas devra durer longtemps, notre bourse se refusant à renouveler cette dépense extraordinaire.

Georges, en marchant près de Germain, l'écoutait le cœur ému. En effet, il y avait quelque chose de comique et de touchant, tout à la fois, dans cette façon de parler d'un bon et fidèle domestique, uniquement occupé des intérêts d'une maison à laquelle il avait voué sa vie. Germain était un de ces hommes précieux, devenus si rares de nos jours, qui s'attachaient à une famille, plus par affection que pour le gain accordé à leurs services.

Ces serviteurs modèles avaient avec leurs supérieurs une honnête familiarité, bien préférable à ce qui se voit généralement aujourd'hui, c'est-à-dire la fierté hautaine chez le maitre et l'insolence chez les domestiques; souvent encore ces derniers sont-ils de dangereux ennemis.

En entrant à l'hôtel du Cheval-Blanc, Germain demanda d'une voix forte :

-

Le déjeûner de M. le comte de Beaulieu est-il servi?

- Dans cette pièce, répondit l'hôtelier, en ouvrant la porte d'un salon où l'on avait dressé une table.

Mettez un autre couvert, dit Georges, puis il invita Germain à s'asseoir en face de lui.

Ah! M. le comte, c'est trop d'honneur me faire... Je vais vous

servir...

Non, je veux que tu manges avec moi le déjeûner que tu as commandé.

Mais, M. le comte, je suis confus...

Point de confusion, tu es notre homme d'affaires, un bon et fidèle serviteur, que la conduite admirable rend digne de notre reconnaissance. C'est, je t'assure, un plaisir pour moi de déjeûner en ta compagnie.

Merci, M. le comte, dit Germain en s'asseyant, ces éloges me sont une bien douce récompense de ce que j'ai pu faire pour vous.

Mon pauvre Germain, mon père et moi, nous voudrions reconnaitre autrement que par de flatteuses paroles tes longs services; mais, tu le sais, nous ne sommes plus riches.

tune.

Vous né tarderez pas à vous trouver a la tête d'une belle for

Comment cela?

- Quand on a l'avantage de posséder un nom comme le vôtre, quand on est beau et aimable comme vous, une femme qui apporte avec elle de bons écus sonnants, des terres et des châteaux, n'est pas difficile à trouver. Tenez, M. le comte, m'est avis et ce serait une réparation que votre cousine, Mlle Charlotte, qui fait tant la difficile, éprouverait du penchant pour vous, si vous daigniez lui faire la cour. C'est bien la personne la plus accomplie que l'on puisse voir, puis elle est riche à millions...

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C'est pour la première fois que j'entends prononcer le nom de cette ravissante cousine.

Quoi! vous n'aviez jamais entendu parler de Mile Charlotte?
Non; il parait qu'elle a de bien brillantes qualités?

Mile Charlotte est un ange de beauté et de bonté. Depuis la mort de sa mère, à laquelle elle ressemble, je ne pourrais vous dire tout le bien qu'elle fait aux malheureux. Son nom est béni, dans la contrée, autant que celui de son père est exécré. Pourvu qu'il nous la laisse encore quelque temps au pays, car nous n'avons pas le bonheur de la posséder toujours, il s'en faut, le baron de Fauvigny l'emmène souvent à Paris.....

Comment, cette demoiselle Charlotte est la fille de Fauvigny? demanda Georges en fronçant le sourcil.

Oui, M. le comte.

-Germain, quand bien même je le pourrais, jamais je n'épouserai la fille d'un tel scélérat ; j'aime mieux rester pauvre, que d'acheter la fortune à ce prix !

M. le comte changera peut-être d'idée, lorsqu'il verra sa cousine?....

--

Moi, changer d'idée ?... Eh! comment oublierais-je l'infàme conduite de Fauvigny, de ce monstre, qui, comblé de bienfaits par mon père, a laissé mourir ma mère dans un cachot, de ce voleur, maintenant en possession des biens de ma famille, de cet homme, enfin, à qui j'ai voué, dès mon enfance, tout ce que mon âme pouvait contenir de haine et de mépris!...

Georges avait le visage enflammé et la voix vivement émue, quand il acheva de parler.

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- Mais, repris Germain, en hésitant un peu, votre tante Angélique avait l'âme aussi noble et aussi belle que son infàme mari l'a basse et méchante.

Je le sais, ma pauvre tante s'était sacrifiée pour sauver ma mère.

Eh bien! sa fille Charlotte lui ressemble,

Tant mieux pour elle !

Et pour vous, M. le comte.....

Germain, en voilà assez sur ce sujet; à l'avenir, ne me parle jamais de Mile de Fauvigny, et prononce le moins possible le nom de son père en ma présence.

La haine rend parfois bien injuste, pensa Germain, mais je ne désespère pas encore de voir la terre de Beaulieu revenir à ses anciens maitres.

Connais-tu mon oncle de Chazé? repris Georges, après un moment de silence.

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Oui, M. le comte; M. Guy de Chazé est en ce moment au pays. C'est un excellent homme, un grand chasseur. Il me parlait de vous hier, et me disait qu'il allait être charmé de vous recevoir. M. de Chazé vous sera très-utile, parce qu'étant lié avec beaucoup de monde, il pourra facilement vous mettre en relation avec ses amis. Vous le verrez ce soir ou demain, au plus tard.

Mais, à propos, comment allons-nous faire la route d'Angers à Beaulieu ?

A cheval; je vous ai amené Victoire, une jeune jument de quatre ans, que j'ai élevée moi-même. C'est une excellente bête, vive et jolie. Vous aurez du plaisir à la monter. Ma foi, j'étais sur le point de la

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