Page images
PDF
EPUB

plus la déclaration l'atteste. Nous sommes assurés que, dans la prochaine édition de ses œuvres, il corrigera les passages qui rappellent la vieille erreur : les conserver sans amendement, ce ne serait, yeux de ses contradicteurs, ni plus ni moins qu'une rétractation de la rétractation.

aux

A la théodicée se rattache l'idée de la vie future. Dans les rapports de l'homme à son auteur, ce n'est pas l'explication de notre origine ni même de notre condition présente qui nous touche le plus, c'est l'explication de notre fin ou de notre destinée ultérieure. S'il nous faut un Dieu pour expliquer cette vie, il nous tient bien plus au cœur, si j'ose ainsi parler, il nous est bien plus cher, bien plus nécessaire pour la vie future. La vie future! c'est le couronnement de nos espérances; c'est mieux encore, c'est la vérité des vérités, la vérité sans laquelle toutes les autres vérités morales sont un vain nom. Providence, devoir, bonheur, dévouement, existence actuelle, rien n'est intelligible sans la vie future. Niez-la, Dieu est un monstre de méchanceté, et l'athéisme seul est raisonnable.

Ici encore la philosophie de M. Cousin est en défaut. Où il faudrait une affirmation précise, une démonstration solide, elle met une espérance vague qui ne suffit ni au cœur ni à la raison de l'homme. Nous sommes mal satisfaits lorsque nous entendons dire : << L'homme est en marche vers l'infini, qui lui échappe toujours, et que toujours il poursuit. Il le conçoit, il le sent, il le porte pour ainsi dire en lui-même : comment sa fin serait-elle ailleurs? De là cet instinct indomptable de l'immortalité, cette universelle espérance d'une autre vie, dont témoignent tous les cultes, toutes les poésies, toutes les traditions. Nous tendons à l'infini de toutes nos puissances; la mort vient interrompre cette destinée qui cherche son terme, elle la surprend inachevée. Il est donc vraisemblable qu'il y a quelque chose après la mort, puisqu'à la mort rien n'est terminé (').... » — «La philosophie démontre qu'il y a dans l'homme un principe qui ne peut périr, mais que ce principe reparaisse dans un autre monde avec le même ordre de facultés et les mêmes lois qu'il avait dans celui-ci ; qu'il y porte les conséquences des bonnes et des mauvaises actions qu'il a pu

(1) Du vrai, du beau et du bien, 16° leçon.

commettre; que l'homme vertueux y converse avec l'homme vertueux, que le méchant y souffre avec le méchant, c'est là une probabilité sublime qui échappe peut-être à la rigueur de la démonstration, mais qu'autorisent et consacrent et le vœu du cœur, et l'assentiment universel des peuples ('). »

Ce sont de belles paroles, mais l'humanité ne se paie pas de mots; il lui faut une foi plus solide. L'humanité pense, non pas comme M. Cousin, qui espère, mais comme le comte de Santa-Rosa, qui croyait fermement en la vie future, et qui s'affligeait de voir errer sur les lèvres de son éloquent ami « ce sourire, qui trahit le scepticisme sans montrer le dédain (2). »

Résumons cet aperçu rapide : une opinion ou plutôt un préjugé qui fait une part beaucoup trop large au passé et sacrifie la philosophie à l'histoire de la philosophie, un système qui, bientôt infidèle à la méthode psychologique, regardée à bon droit comme la seule vraie, dénature la raison pour la diviniser, une théodicée mal assurée, flottant du panthéisme à l'optimisme, penchant toujours du côté de la nécessité, une idée vague des intentions de Dieu et de notre fin dernière, voilà, dans ses traits essentiels, la philosophie moderne, l'héritière du christianisme, la religion actuelle des esprits cultivés et prochainement la religion de l'humanité; voilà le rationalisme. Chrétien, nous le détestons; éclectique, nous préférons une doctrine plus humble et plus solide qui, faisant la part à la raison et à la foi, enseigne que l'entendement humain peut, de lui-même, découvrir de grandes et salutaires vérités; mais que, réduit à ses propres forces, il ne résout point toutes les questions sur lesquelles l'âme a besoin d'être éclairée : de là, la nécessité de la révélation surnaturelle, non-seulement pour les masses, mais encore pour les esprits d'élite, non-seulement pour les ignorants et les illettrés, mais encore pour Bossuet, pour Leibnitz et pour M. Cousin!

ALPHONSE AULARD.

(La fin prochainement.)

-

(1) Argument du Phédon, OEuvres de Platon, t. 1o. (2) Argument du Phédon, OEuvres de Platon, t. ler. httéraires, le morceau intitulé: Santa-Rosa.

Voir aussi, dans les Fragments

VOYAGE DANS LE FINISTÈRE,

PAR M. VALLIN (1).

I.

En signalant dans cc recueil (2) la tendance, générale de nos jours, à éditer les documents inédits ou à réimprimer les raretés qui concernent notre histoire, nous applaudissions à ce genre d'études. Mais si la bibliographie n'est point négligée depuis quelques années, l'archéologie proprement dite a reçu, de son côté, des congrès annuels de l'Association Bretonne, une impulsion heureuse que la suppression récente de cette société ne saurait ralentir. La collection des procès-verbaux de l'Association vient même de fournir à M. Edouard Vallin une partie et la meilleure de son Voyage dans le Finistère. Nous eussions désiré, il est vrai, que l'auteur eût mis un peu plus du sien dans le reste de l'ouvrage; mais le nouveau guide du voyageur en Bretagne ayant emprunté le surplus et la majeure partie de ses notes descriptives aux Antiquités du Finistère publiées par M. de Fréminville de 1852 à 1835, en voulant analyser le travail de M. Vallin, c'est en quelque sorte du travail de son devancier que nous avons à rendre compte. Or, on sait que l'autorité de M. de Fréminville a bien diminué devant les progrès qu'ont faits depuis vingt-cinq ans les études archéologiques; mais personne du moins ne pourra lui contester la priorité, dans la description d'un grand nombre de monuments en Bretagne. Sachant depuis longtemps, dit M. Vallin (3), que tôt ou tard on ferait paraître sur le même sujet un petit volume écrit à Paris, au coin du feu, nous prîmes notre parti, et, sans songer si nous étions à la hauteur de ce travail, nous nous décidâmes à partir pour Rennes. » M. Vallin a-t-il réellement dépassé cette ville dans son voyage de 1858? On serait tenté d'en douter en le voyant décrire complaisamment des édifices depuis vingt-ans détruits, mais qui existaient, il est vrai, à l'époque où Fréminville en publiait la monographie. Je plaindrais sincèrement le touriste, qui,

[ocr errors]

(1) Paris, comptoir de la librairie de Province, 1859.

(2) Livraison de mai 1859.

(3) Introduction, p. IX.

sur la foi du nouvel itinéraire, irait rechercher aujourd'hui la flèche pyramidale de Lambader (p. 86), la tour hexagone de Kerangouez (p. 98), les souterrains du château de Kermilin, enfin le château « assez bien conservé » de Kerliviri (p. 101). De ces quatre monuments, il ne reste pas une pierre, et il est incontestable que dans son voyage pédestre, M. Vallin ne s'est pas détourné de sa route pour leur rendre visite. J'en dirai autant de Saint-Jean-du-Doigt, situé sur une colline et dans la commune de Traon-Mériadec (p. 81, 82), commune qu'Ogée, Cassini et même l'État-Major ont malheureusement omis d'indiquer sur leurs cartes. L'auteur est-il au moins venu à Saint-Pol-de-Léon, pour décrire de visu les curieuses églises de cette ville? Nous ne pouvons l'admettre, car alors, quelqu'étranger que soit M. Vallin à l'archéologie monumentale, il n'eût pas avancé que dans la cathédrale de Léon la nef est précédée par un vestibule, particularité assez rare dans les églises gothiques, divisé comme elle en trois parties, chacune ayant une porte donnant au dehors et une autre à l'intérieur de l'église (p. 89).

»

En revanche il fait observer que la tombe de saint Pol au pied du maîtreautel est sans inscription (p. 90), tandis qu'on y lit en capitales romaines l'épitaphe primitive rétablie en 1844 :

Sepulchrum Sancti Pauli civitatis Leonensium pontificis el patroni. Obiit a. d. DLCC.

C'est bien à regret que nous nous voyons obligé de réduire à 77 mètres la hauteur du clocher de Creizker, auquel M. Vallin accorde généreu-, sement 120 mètres d'élévation (p. 94); mais s'il déplore avec raison la destruction de l'ossuaire de Quimper, M. Vallin s'appitoie à tort sur le sort des ossuaires de saint Pol « complètement détruits aujourd'hui, » dit-il (p. 188). Loin de là, ils ont été restaurés en partie depuis quelques années et l'on lit sur l'un d'eux en caractères gothiques :

M. Le Cam Pbře choriste el soubs diacre de Léon feit faire celle reliquaire l'an mil V.

Serait-ce à M. Vallin à fournir la preuve que les deux cariatides posées en encorbellement au pignon Est de la chapelle de Berven construite en 1575, proviennent, il est hors de doute, d'un monument païen consacré au culte priapique (p. 107)? Non, en vérité : l'initiative de cette affirmation aussi étrange que hardie ne doit pas lui être imputée; elle est due tout entière à l'imagination de M. de Fréminville. Le seul tort de M. Vallin est d'avoir partagé, plus complétement encore que l'auteur qu'il a si fidèlement suivi, l'hallucination de ce dernier, en déclarant détruits, lorsqu'ils existent toujours à la même place, deux mascarons du XVIe siècle servant de corbelets. Nous pourrions prolonger indéfiniment nos citations et démon

trer que si M. Vallin n'a pas fait comme Xavier de Maistre un voyage autour de ma chambre, et écrit son volume à Paris, au coin du feu, comme celui dont il voulait prévenir l'apparition, il n'est guère descendu du chemin de fer de Rennes que pour prendre la diligence de Brest, puis le vapeur de Châteaulin et la grand'route de Quimper à Nantes.

Qu'y a-t-il donc à lui appartenir en propre dans sa compilation? Nous avons déjà cité l'existence sur une colline de la chapelle de Saint-Jean-duDoigt et celle de la commune de Traon-Mériadec. Nous ne pensons pas non plus que personne ait trouvé avant lui que les auteurs romains Strabon et Ptolémée aient parlé fréquemment des toiles d'Occismor (p. 111); c'est donc à M. Vallin que revient uniquement le mérite de cette découverte dans les œuvres inédites des deux géographes grecs.

C'est encore M. Vallin qui signale le premier les métairies du Finistère dont ⚫ une fenêtre étroite éclaire quelquefois l'intérieur, mais où le plus souvent la porte est la seule ouverture qui laisse pénétrer la lumière (p. 29), et aussi les nouveaux procédés de culture appris par les mendiants aux cultivateurs (p. 33). Devant les heureux résultats de cet enseignement pratique, nous comprenons l'inutilité des démonstrations toutes de théorie de l'Association Bretonne.

Nous pensons avec M. Vallin que « le seul moyen de se faire une idée nette d'un pays et de connaître les mœurs de ses habitants, c'est de le parcourir en tous sens et le plus souvent à pied (1); » mais alors ce n'est pas la méthode dont il s'est servi, autrement il ne consiguerait pas dans ses notes de voyage que la rivière de l'Aber-Benoît traverse le bourg de Lannilis; que l'église de ce bourg date du XVIe siècle au lieu de 1774; qu'on voit encore à Carman une grosse tour surmontée d'une tourelle (p. 125) et autres mentions aussi erronnées. Cependant, pour être juste envers M. Vallin, nous ferons remarquer que s'il n'est point archéologue, ce qui ne s'improvise pas, il est artiste et artiste de goût. Il comprend à merveille la poésie contenue dans les légendes, les chants et les monuments de la Bretagne, et il exprime, en termes trop heureux pour être affaiblis, l'indignation que lui fait éprouver la vue des habillements neufs sous lesquels on travestit nos plus curieux édifices:

«En voyant le château de Pont-l'Abbé, il faut reconnaître le XIXe siècle traînant à sa suite une horde barbare de démolisseurs et de plâtriers qui ont juré la ruine de nos anciens monuments. Nous ne savons, en vérité, jusqu'où iront les efforts de cette conspiration sourde qui depuis cinquante ans s'acharne contre de vieux murs et veut ainsi réduire à néant les antiques témoins de notre histoire nationale; aussi l'on ne saurait trop flétrir le zèle stupide et inintelligent de ceux qui font de leur propre mouvement raser les remparts, démolir les tours, blanchir et récrépir les

(1) Introduction, p. IX.

« PreviousContinue »