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ITINÉRAIRE DE SAINT POL

A BREST (').

PREMIÈRE PARTIE.

En continuant de suivre la route de Plounevez à Lesneven, on trouve à son point de jonction avec la route de Plouescat, l'ancien prieuré de Lochrist, de l'ordre de Saint-Benoit, membre de l'abbaye de Saint-Mathieu, élevé au lieu où Fragan, soutenu par les prières de saint Guenolé son fils, repoussa au Ve siècle les barbares descendus à terre pour ravager les côtes de Léon. La chapelle, placée sous l'invocation de la Sainte-Croix, est désignée dans les vieux titres latins sous le nom de Prioratus de Loco Christi, ou humilioris arboris, traduction fidèle du breton Lochrist an izel-guez, appellation par laquelle on la désigne encore. L'un des plus anciens monuments religieux du pays, la chapelle de Lochrist a conservé une tour et un porche du XIIe siècle; mais les autres parties ont été reconstruites sans goût en 1785. La tour carrée élevée en saillie sur le pignon Ouest, est établie sur quatre arcades; celles des côtés Nord et Ouest, ajourées; celle du Sud, ouvrant sur une tourelle ronde servant de cage d'escalier; et celle de l'Est, sur les deux portes géminées par lesquelles

(1) Voir la Revue, t. VI, p. 17-32.

on entre dans la chapelle. Les chapiteaux de ces arcades sont romans et présentent quelques enroulements et frettes d'un goût barbare; le premier étage de la tour, est percé sur chaque face de deux baies en plein cintre; et, en retraite sur la plate-forme de la tour, s'élève une flèche octogone de proportions massives et écrasées, percée d'une lucarné sur chaque pan.

Du petit cimetière qui entoure cet édifice, on a extrait des sarcophages en pierre, des premiers siècles de l'Eglise. L'un d'eux, appuyé aujourd'hui contre un mur, est taillé en forme d'auge, avec un trou rond marquant la place destinée à recevoir la tête du corps qui y était déposé. Sur quelques dalles funéraires plus modernes, nous avons relevé les armes de Kergournadec'h et de Carman. La plus curieuse de ces tombes existe dans le chœur du côté de l'épître. L'on y voit la figure, gravée en creux, d'un chevalier coiffé d'un heaume plat, vėtu d'une chemise de mailles recouverte d'une cotte d'armes armoriée, et les pieds munis de longs éperons sans molettes. Tout autour de la pierre règne une épitaphe latine en majuscules gothiques où nous avons lu ce qui suit :

Hic jacet Alanus de Villamavan, m... die festi bea... anno dñi.

M. CCLIII. Requiescat in pace.

Cette version diffère beaucoup de celle donnée en 1832 par M. de Fréminville, mais nous croyons pouvoir affirmer que la nôtre est meilleure. Le dessin de cette pierre se voit dans le Voyage dans l'ancienne France, du baron Taylor, que l'on peut consulter à la bibliothèque de Brest, mais le texte comme les planches de cet ouvrage laissent beaucoup à désirer pour l'exactitude.

Nous avons encore remarqué sur un pilier du cimetière de Lochrist, un écusson chargé de trois trèfles et timbré de la crosse et de la mître. Il appartenait à Robert Cupif, prieur de Lochrist, doyen du Folgoat, archidiacre de Cornouailles, puis évêque de Léon en 1637, transféré sur le siège de Dol en 1648. Le ruisseau qui coule sous Lochrist, sépare l'archidiaconé de Léon de celui de Kéménet-Illy. Ce mot Kéménet se traduisait en latin du moyen àge par Commendatio,

c'est-à-dire commanderie ou gouvernement, et il est entré dans la composition de beaucoup de noms de lieux en Bretagne. Ainsi nous avions en Cornouailles, Kéménet-Even; en Vannes, Kéménet-Guégan, aujourd'hui Guéméné; dans le même évêché, Kéménet-Théboë, paroisse de Pluvigner, entre les rivières du Blavet et du Loch; enfin dans l'évêché de Nantes, Kéménet-Penfao.

Les mœurs, comme les costumes des habitants, changent radicalement lorsqu'après avoir traversé le ruisseau de Lochrist, on entre dans le Kéménet-Illy, nommé aussi Lan ar Paganis (la terre des païens) par ce qu'il est de tradition que les habitants de ces côtes ont attendu plus tard que les autres pour se convertir au christianisme. Ce sont eux qui ont persisté d'ailleurs à regarder comme un bienfait du ciel les naufrages dont le profit devait leur appartenir; mais ce profit a bien diminué depuis la multiplication des phares et des postes de Douanes.

La première paroisse que l'on rencontre en Kéménet-Illy est Treflès qui renfermait le palais d'Auzoche, père de Pritelle, épouse au VIe siècle de Judhaël, roi de Domnonée et mère de Saint-Judicaël, roi de Bretagne, puis moine à Gaël. Le manuscrit de la vie de SaintJudicaël traduit Treflès par Tribu-Lisiæ, et Pierre Le Baud a raconté en termes assez naïfs, d'après le latin d'Ingomar historien du XIe siècle, le songe du roi Judhaël et l'explication qu'en donna le barde Tholosinus fils d'Onis le satirique. « Et ces parolles rapportées au prince Judhaël, il aima la pucelle et la demanda à ses parents à bénédiction nuptiale et licence paternelle; et comme il la cogneust, elle conceust..... un fils nommé Judicaël qui fut nourry jusqu'à l'âge de trois ans chez Ausoche son ayeul. »

Nous avons cru reconnaitre l'emplacement du palais où Auzoche tenait sa cour dans le château de Coatlès (le bois de la cour) bàti sur une éminence au Sud de l'église de Treflès, dédiée à Sainte-Ediltrude, reine de Northumbrie, puis abbesse honorée en outre à Locbrévalaire, et désignée en breton sous le nom de sainte Ventroc. La maison principale de cette paroisse, Coatlès, fut successivement possédée par les maisons de Kérouzéré, de Kerimel et de Boiséon, et tomba au XVIIe siècle aux Poulpiquet.

Tome VI.

8

D'anciens lais de mer récemment endigués conduisent à Goulven par le village du Cosquer, où l'on trouve un dolmen bien conservé dans un champ appelé Parc an hinquin éred.

Le bourg de Goulven, dont l'église est dédiée à Saint-Goulven, évêque de Léon au X° siècle, est remarquable par la hauteur et la hardiesse de sa flèche construite en 1593. Elle s'élève au bas du collatéral Sud au-dessus d'un porche d'ordre ionique, décoré de niches renfermant les statues en pierre des douze apôtres. L'église se compose de trois nefs sans transepts, terminées par un pignon droit dans lequel s'ouvre la maitresse vitre à meneaux flamboyants. Toute la partie haute, jusqu'à l'arc triomphal qui sépare le chœur de la nef, est ogivale et de l'année 1516; les arcades de la nef et les baies du clocher sont au contraire en cintre. Sur un contrefort de la chapelledédiée à Saint-Marc, faisant saillie sur le collatéral Sud, on-lit :

L'an mil Vc V,
Clec'h Y. Peiguen f.

ette chapelle, aujourd'hui transformée en sacristie, contient un joli porche à portes géminées, et un autel en Kersanton dont l'arcature en talon offre des détails aussi riches que ceux du Follgoat. Cet autel placé anciennement sous la maîtresse vitre, devrait bien y être rétabli, au lieu de celui sans valeur qu'on y a substitué. Un autre autel, à l'extrémité du collatéral Nord, a conservé un joli retable à personnages, appartenant au XVIe siècle, ainsi que la galerie de l'orgue, dont l'arcature simulée en talon accuse la même époque. Saint Goulven seconda par la puissance de ses prières les efforts du comte de Léon Even, fondateur de Lesneven, pour repousser les Normands qui infestaient le pays. Cette victoire est représentée sur le lambris de l'église par un tableau où l'artiste, qui n'est pas esclave de la couleur locale, a donné à tous ses personnages les costumes en usage sous Louis XIII. Enfin, les principaux miracles de la vie de saint Goulven sont aussi sculptés sur les volets d'un autel dans le collatéral Nord. A la sortie de bourg on voit un petit oratoire bâti sur l'emplacement de l'hermitage de Saint-Goulven, avant son élévation à l'Episcopat. On l'appelle le

Peniti ou maison de pénitence, et le jour du pardon le seigneur du Penmarc'h avait le droit de préléver sur le produit de la quête une poignée d'argent, mais seulement une. On n'a pas pu nous expliquer l'origine de ce droit singulier.

En traversant l'anse de Goulven dans la direction du Nord et laissant à sa droite dans les sables la chapelle de saint Guévroc, on trouve un dolmen au village de Tréguelc'hier (la grève de l'enchanteur), avant d'arriver à l'église de Plounéourtrez ou Plouénour des sables, anciennement sous le vocable de saint Enéour, saint du pays de Galles que les Bretons nomment Guinéour et que l'on représente tantôt en abbé et tantôt en hermite. Il a comme saint Goulven et la plupart des saints bretons, sa fontaine vénérée auprès de son église, dont la tour est de 1734.

La maison seigneuriale de Plounéour était Trévigny, berceau d'une famille Le Moine, en breton Manac'h, célèbre dans l'histoire de Bretagne, et dont les possessions appartenaient au dernier siècle aux la Bourdonnaye-Blossac. Parmi les personnages les plus éminents qu'elle a produits on distingue Jean Le Moine, tué au siège de Carthage en 1390; Olivier, chambellan du Duc et grand écuyer de Bretagne, capitaine de Brest, Quilbignon et Lesneven de 1378 à 1420; des capitaines de Quingamp et de Dinan, des chevaliers de l'ordre du Roi et de l'ordre de Malte, des capitaines de cinquante hommes d'armes, etc.

La paroisse de Kerlouan qui borne à l'ouest celle de Plounéour a une église de 1704 et renferme en outre la chapelle de saint Thégarec, ami et compagnon de saint Thégonec dont le nom n'est guère plus euphonique. On y voyait aussi le monastère de Kerbaul, fondé par saint Pol et détruit par les Normands, et un autre monastère bâti au Havre de Poulluhen par saint Sezni, disciple et compatriote de saint Patrice et patron de la paroisse voisine nommée Guicsezni. Saint Sezni fut inhumé sous le maître autel de cette dernière église, mais l'édifice actuel ne remonte qu'à 1700. Enfin tous les thaumaturges paraissent s'être donné rendez-vous dans ce coin de terre, depuis saint Frégan, père de saint Guenolé, et saint Rioc, qui noya un dragon au Havre de Poulbeuzanéval (le port de la bête noyée), aujourd'hui

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