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l'étendue des recherches dont ces eaux ont été l'objet. Entreprises, pour la plupart, dans le but tout spécial de faire connaître une source déterminée, elles n'ont pu apporter à la discussion des phénomènes généraux de la physique du globe que des résultats d'une importance très-limitée. Le défaut d'instruments précis et bien comparés pour déterminer leur température, l'emploi de méthodes diverses dans l'appréciation de la nature et de la quantité de leurs principes constituants, la confiance inégale, enfin, qu'inspirent les observateurs qui se sont livrés à ce genre de travaux, n'ont pas permis non plus de tirer tout le parti dont paraissent susceptibles, au premier aspect, le rapprochement et la coordination des résultats isolés.

Mais quand un observateur, d'une exactitude déjà appréciée, avec les mêmes instruments, avec des méthodes d'analyse discutées, contrôlées, et surtout toujours les mêmes, étudie, dans des circonstances diverses, non pas une source isolée, mais un ensemble de sources constituant en quelque sorte une formation hydrologique, ses recherches obtiennent, par leur généralité, cet intérêt qui s'attache à tout ce qui peut nous révéler quelque chose de la constitution intérieure de notre planète; car ces courants d'eau qui, de la surface de la terre, pénètrent dans ses profondeurs et en ressortent, parfois en simples filets, mais tantôt aussi en formant de véritables rivières, peuvent, par leur température et les matériaux qu'ils apportent, nous éclairer sur ces phénomènes souterrains dont ils ont été les témoins, et probablement même, jusqu'à un certain point, les auteurs.

>> C'est ce caractère de généralité que présentait, à un degré éminent, un beau travail entrepris à l'occasion de l'étude des eaux minérales des Pyrénées-Orientales, et publié, il y a vingt-cinq ans, par Anglada, dont votre rapporteur ne peut prononcer le nom qu'avec un sentiment de reconnaissance et de respect. La mort n'a pas permis à Anglada de recueillir l'assentiment presque unanime donné par les chimistes à la plupart des résultats consignés dans son livre intitulé: Mémoires pour servir à l'histoire des eaux minérales sulfureuses et des eaux thermales. Ce que le professeur de Montpellier avait fait pour l'étude des eaux minérales des Pyrénées-Orientales, M. Filhol a essayé de le réaliser pour celles des Hautes-Pyrénées. Nous allons brièvement rappeler à l'Académie les résultats les plus importants de son travail qui, quoique ayant pour base plus spéciale l'étude des eaux de Bagnères-de-Luchon et de Labassère, s'est pourtant étendu à la plupart des eaux sulfureuses les plus fréquentées des Hautes-Pyrénées.

» M. Filhol a essayé d'apporter sa part de données précises à la question si importante de la constance de température des eaux thermales.

Cette température est-elle réellement invariable? On le suppose généralement; mais quand on recherche les motifs de cette opinion, on ne la trouve pas toujours justifiée par des faits suffisamment rigoureux.

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Anglada, en examinant, en 1825, le degré de chaleur des sources qui avait été déterminé soixante-cinq ans auparavant par Carrère, avait constaté une température généralement plus basse que celle que leur avait assignée l'auteur du Catalogue général des eaux minérales. La différence semblait s'élever à 6o,5 R. pour la grande source des bains d'Arles, qui, par l'abondance de ses eaux, eût paru devoir se maintenir le plus à l'abri des causes locales de variations. On aurait pu en conclure un refroidissement progressif des eaux thermales; mais M. Legrand, en discutant quelle avait dû être la construction du thermomètre de Carrère, la valeur de ses degrés et les véritables températures que ces degrés devaient représenter, a montré plus tard que cette diversité apparente se transformait en une concordance réelle. Pour la presque totalité des sources, les différences entre les températures observées par Anglada et les températures de Carrère corrigées, ne s'élèvent qu'à 0,1 ou 0,2 de degré, et si dans quelques cas on trouve encore une divergence de 2o,5, ces résultats isolés, et qui peuvent tenir à quelques circonstances locales, ne sauraient masquer le résultat général de cette comparaison. Ces observations, et la rectification dont elles ont été l'objet, ont ainsi fourni à la science le premier fait rigoureusement constaté qui établit la constance de température des eaux thermales, ou du moins l'exiguïté de leurs variations, même par un laps de temps très-long.

» M. Bouys père, professeur de chimie à Perpignan, qui avait prêté à Anglada, dès ses premières recherches, une utile collaboration, et qui, vingt-cinq ans après, a pu examiner les mêmes sources au même point d'émergence et avec des instruments bien comparés, a aussi retrouvé, dans des observations encore inédites, à 0,1 ou 0,2 de degré près, les mèmes températures qu'Anglada a consignées dans ses recherches comme appartenant à ces diverses sources. Il semble donc établi que, si la température des eaux thermales n'est pas absolument constante, elle ne s'écarte d'une température déterminée pour chaque source, que par de légères oscillations.

» Les observations de M. Filhol n'ont pas eu lieu à des époques assez éloignées l'une de l'autre pour qu'elles pussent apporter à la question générale de la constance de température des eaux thermales, des données aussi importantes que celles dont nous venons de parler; mais il a essayé de

constater, par une série d'observations très-multipliées, l'étendue des oscillations que présentent ces températures dans des espaces de temps plus rapprochés.

» Les eaux de Bagnères-de-Luchon se divisent, à cet égard, en deux classes. Il est des sources qui n'éprouvent aucun changement dans leur volume, même après les grandes fontes de neige et lorsque le niveau de l'eau froide s'élève dans les galeries. Ces eaux prises au sortir de la roche, en ayant soin de réunir tous les filets qui s'écoulant des divers griffons peuvent manifester parfois des différences sensibles, précaution utile et trop souvent négligée, présentent une moyenne de température qui ne varie pas au delà de 0,2 à 0,3 de degré. Mais il en est d'autres dont le volume est influencé par les grandes fontes de neige; leur température peut éprouver aussi des variations momentanées notables. Le titre sulfhydrométrique de ces eaux peut aussi éprouver des changements considérables, mais on n'observe aucun rapport précis entre les variations de température, celles du volume et de sulfuration que ces eaux peuvent présenter. En effet, M. Filhol a constaté que certaines sources pouvaient quelquefois perdre un tiers de leur degré sulfhydrométrique, doubler presque de volume et n'éprouver cependant qu'un léger abaissement de température; tandis que d'autres, dont le volume était aussi notablement augmenté, avaient cependant conservé à la fois leur température et leur sulfuration : comme si dans le premier cas de l'eau chaude non minérale se fût mêlée à l'eau sulfureuse, et que dans les deux autres l'eau froide se fût mêlée à l'eau thermale, ou bien eût amené à la surface du sol de l'eau sulfureuse qui se perdait en temps ordinaire.

Mais, outre l'abaissement considérable de titre que quelques eaux peuvent éprouver dans certaines circonstances particulières, M. Filhol a constaté des variations légères et en quelque sorte quotidiennes. L'emploi du sulfhydromètre qu'il a perfectionné en substituant à la solution alcoolique d'iode généralement employée, d'après le conseil de Dupasquier, une solution d'iode dans l'iodure de potassium, liqueur d'épreuve à la fois moins altérable et moins dilatable, l'usage des liqueurs titrées argentifères pour l'appréciation des chlorures lui ont permis d'exécuter, pour apprécier la richesse des eaux en principes minéralisateurs, des essais multipliés qui n'auraient pas été réalisables par les méthodes ordinaires d'analyse. Plus de mille observations lui ont permis d'entrevoir quelques-unes des lois de ces variations et d'établir que la plus grande richesse des eaux existe pendant l'hiver à la suite d'un temps sec et de gelées fortes et soutenues, et qu'en été l'eau se

montre en général plus sulfureuse quand la marche du baromètre est ascendante. Ces variations ne sont pas les mèmes pour toutes les sources; pour celles dans lesquelles elle est le plus considérable, on observe une variation telle, que l'eau, dans son état le plus riche, absorbant 0,195 d'iode par litre, n'en absorbe plus que 0,165 dans ces cas, où elle est la plus pauvre en principe sulfureux.

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Anglada avait parfaitement établi, par des expériences à l'abri de toute contestation, que les eaux sulfureuses tiennent en dissolution un air plus ou moins appauvri en oxygène, gaz qui, par son action continue sur le principe sulfureux, est une cause de leur altération progressive. M. Filhol a aussi retrouvé cet air dans toutes ses analyses; mais il a constaté de plus que ces quantités d'oxygène éprouvaient des variations d'un jour à l'autre, et que la proportion de ce gaz était plus abondante au moment de la fonte des neiges qu'à toute autre époque de l'année.

» Les proportions des chlorures éprouvent aussi des variations dans le même sens que celles des sulfures.

» Les tableaux dans lesquels M. Filhol a consigné ses observations sur le dosage du principe sulfureux indiquent qu'il n'existe, du reste, aucun rapport entre la température des eaux et leur richesse en sulfures; mais les plus sulfureuses sont aussi les plus chlorurées.

>> On conçoit que dans l'analyse des eaux qui doivent leurs propriétés à un principe sulfureux, le dosage de cet élément sulfureux est ce qu'il y a de plus important à faire bien et vite. L'emploi du sulfhydromètre a apporté à cet égard une facilité incontestée; mais on comprend combien sont nombreuses les causes qui peuvent nuire à la fidélité de ses indications. Quelles sont les conditions pour que cette méthode donne des résultats exacts et comparables? C'est ce que M. Filhol discute dans son Mémoire.

» 11 a vérifié par l'expérience ce que la théorie faisait sans doute prévoir, c'est-à-dire que l'emploi de cette méthode, appliquée avec avantage à des eaux au moment où, sortant de la roche, elles contiennent le principe sulfureux non altéré, donne des résultats tout à fait erronés quand on l'emploie pour des eaux qui ont séjourné au contact de l'air et dans lesquelles le sulfure, saus se détruire, a été transformé en polysulfure.

y en

» La présence de corps à réaction alcaline autres que le sulfure, tels que le silicate, le carbonate alcalin, et à plus forte raison l'alcali libre, s'il a, doit avoir aussi pour résultat d'absorber un peu d'iode, et de rendre ainsi le titre sulfureux trop élevé. M. Filhol a montré, par des expériences directes, que cette cause d'erreur pouvait être plus grande qu'on ne le pense géné

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ralement. Une quantité de ces sels alcalins qui, s'ils eussent été seuls, auraient transformé une certaine dose d'iode en iodure incapable d'agir sur l'amidon, en font disparaître une quantité près de cinq fois plus grande quand ils sont ajoutés à de l'eau contenant un sulfure (1). On conçoit des lors la nécessité d'enlever à l'eau son alcalinité avant de l'essayer par le sulfhydromètre. Le traitement par les acides, quand l'eau est fortement thermale, peut faire craindre une certaine déperdition d'acide sulfhydrique. Aussi, M. Filhol conseille-t-il de traiter préalablement ces eaux par un excès de chlorure de barium; mais cette méthode, qui met à l'abri des inconvénients que pourraient présenter les carbonates et les silicates alcalins, serait insuffisante dans le cas où l'alcali, existant dans l'eau en partie à l'état libre, aurait mis en liberté une quantité proportionnelle de baryte. C'est ce qui paraît, du reste, ne pas avoir lieu pour l'eau de Bagnères ; aussi, de la presque identité des indications du sulfhydromètre sur les eaux, avant et après l'emploi du chlorure de barium, M. Filhol tire un argument pour prouver que les eaux de cette localité ne contiennent ni silicate, ni carbonate alcalin, ni alcali libre.

>>> Les variations observées dans les indications du sulfhydromètre ont amené M. Filhol à chercher un autre mode de dosage qui pût servir de contrôle dans les cas douteux. Il l'a trouvé dans l'appréciation comparative de la quantité d'acide sulfurique existant tout formé dans l'eau préalablement privée de sulfure par l'azotate d'argent, et dans celle qu'elle renferme quand, sans avoir subi ce traitement, elle a été agitée avec une certaine quantité de sulfate de plomb qui a transformé en sulfate le sulfure alcalin. M. Filhol s'est assuré, par des expériences directes, que dans le grand état de dilution où sont dans les eaux minérales les carbonates et silicates de soude, ces sels ne réagissent pas sur le sulfate de plomb, et il a pu reconnaître que les résultats obtenus par l'emploi du sulfhydromètre employé dans de bonnes conditions, ainsi que par le mode de dosage ordinaire, c'està-dire par la précipitation au moyen du nitrate d'argent ammoniacal, étaient tout à fait identiques avec ceux auxquels donne lieu la méthode nouvelle dont il recommande l'emploi aux chimistes.

(1) Le phénomène constaté par M. Filhol paraît pouvoir être facilement expliqué. Dans son action sur les sels alcalins, l'iode donne lieu à un iodate, à un iodure, et à un acide libre; or, sous l'influence de cet agent, l'iodate, qui, mis en présence de l'iodure, tend à égénérer de l'iode, aura d'autant moins de stabilité, que cet iodure sera lui-même en proportions plus grandes.

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