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quelques indications sur les tendances qui se sont manifestées dans le sein de l'Académie.

Or, c'est l'évidence même que ces tendances se sont dirigées plus nettement que jamais vers la prophylaxie, vers celle-là du moins que l'hygiène publique peut réaliser. Est-ce découragement, sentiment de l'inutilité ou de l'impuissance de la thérapeutique contre tout un ordre de maladies, dont les unes guérissent presque toujours spontanément, et dont les autres ne cèdent presque jamais aux traitements les plus rationnels? Est-ce plutôt un effet naturel des espérances qu'ont fait naître pour la médecine humaine, les méthodes. prophylactiques appliquées avec un si grand succès contre certains typhus des animaux? Enfin cela tient-il plus simplément à ce que, un peu tard, il est vrai, on s'est avisé de reconnaître qu'après avoir élevé à un rare degré de perfection la clinique de l'homme malade, il était temps de songer à ce que Michel Lévy a appelé la clinique de l'homme sain? Je ne saurais le dire, mais ce qui est indubitable, c'est qu'en fait, l'hygiène a pris, l'an dernier, une place prédominante dans les préoccupations de l'Académie.

Il n'est pas, en effet, une seule des questions un peu importantes soulevées à cette tribune, qui n'ait abouti à l'expression d'un vœu en faveur d'une mesure d'hygiène publique.

C'est au nom de cette science tutélaire que M. Brouardel, après avoir montré une fois de plus, à propos de la réapparition du choléra, à Marseille, quelle influence désastreuse l'insalubrité des villes exerce sur la propagation des maladies pestilentielles, après avoir révélé les monstrueux abus que laisse impunis, et pour ainsi dire inattaquables, la législation actuelle, c'est au nom de l'hygiène publique, dis-je, que notre honorable collègue vous a demandé d'exprimer et de faire parvenir au ministre compétent le vœu que « la réforme projetée de la loi de 1850, sur les logements insalubres, fasse disparaître les incertitudes qui, en permettant des délais indéfinis dans l'exécution des mesures prescrites, rendent cette loi inefficace, surtout en temps d'épidémie ».

Vous avez répondu à sa demande par un vote unanime et c'est également, à l'unanimité, que, sur la proposition de

M. Leblanc, vous avez réclamé, non pas cette fois, une modification radicale à une loi existante, mais simplement l'exécution rigoureuse de la loi du 21 juillet 1881 et des règlements d'administration publique visant la rage; loi et règlements dont la violation, ou la méconnaissance, multiplie depuis quelques années, dans une proportion vraiment inquiétante, les cas de rage humaine; mais il est permis de penser que sur ce dernier point, votre réclamation a été entendue, car une circulaire ministérielle du 2 janvier donne en partie satisfaction à votre vœu.

En nous présentant une étude comparée des effets produits par les différentes boissons alcooliques, ainsi que des considérations sur les conséquences à tirer de cette étude au point de vue de la prophylaxie de l'alcoolisme, M. Lancereaux a fourni à l'Académie une occasion toute naturelle, d'abord de reprendre cette question capitale qui, après quinze ans, n'a malheureusement rien perdu de son actualité, puis aussi de revenir peut-être sur ses votes de 1870, ce qu'elle pourra faire avec d'autant plus d'assurance, suivant moi, que depuis cette époque les recherches de MM. Dujardin-Beaumetz et Audigé ont mis hors de doute des faits que j'avais seulement indiqués comme très probables dans mon rapport sur le vinage.

Il ne m'appartient pas de préjuger l'opinion de l'Académie, mais j'ai quelque raison d'espérer que dans l'intérêt de l'hygiène physique et morale des populations pauvres, elle se montrera favorable aux conclusions du travail de M. Lancereaux qui se rapprochent par plus d'un point de celles que j'avais soumises en 1870, sans beaucoup de succès, je le reconnais, au jugement de mes collègues.

Personne ici assurément n'a perdu le souvenir de la mémorable discussion qu'a provoquée la communication de notre honorable collègue M. Lagneau, sur la situation démographique de la France et sur la dépopulation de certains départements.

Élargie par le cri d'alarme patriotique de M. Rochard, qui voit la France menacée, à courte échéance, d'un péril social, la question a repris toute l'ampleur qu'elle avait eue ici,

il y a tantôt vingt ans, et, cette année, près de dix séances ont été déjà consacrées à l'étude des causes diverses du ralentissement qui s'accuse de plus en plus dans l'accroissement de la population française.

Diminution de la natalité, émigration plus prononcée, chaque année, des ruraux dans les villes, mortalité des enfants du premier âge, telles sont les causes que tous les orateurs se sont accordés à reconnaître, mais en leur attribuant une part d'influence très inégale.

Je n'ai pas à me prononcer ici sur la valeur des arguments que, de part et d'autre, mes honorables collègues ont fait valoir; mais il m'a paru ressortir de la discussion que la généralité de ceux qui y ont pris part, s'est moins préoccupée du ralentissement de la natalité que de la mortalité des enfants, et tend par conséquent à diriger de ce côté surtout, l'attention et les efforts du gouvernement.

C'est qu'en effet, si la rareté des naissances est, ainsi que le pense M. Rochard, une cause puissante de dépopulation, elle est aussi celle sur laquelle les lois, et la prédication médicale elle-même, ont le moins de prise, tandis que la mortalité des enfants, que MM. Hardy et Roussel considèrent comme le facteur le plus redoutable dans la décroissance de la population, peut, au contraire, être atteinte; et il est permis de dire qu'elle sera sûrement réduite aux plus minimes proportions que puisse obtenir l'hygiène, le jour où le Comité supérieur de protection de l'enfance pourra, dans son rapport annuel, annoncer qu'est appliquée, dans toutes ses dispositions et sur toute l'étendue du territoire, la belle loi dont notre honorable collègue, M. Roussel, veut modestement attribuer à l'Académie la paternité qui n'appartient vraiment qu'à lui.

C'est dans l'espoir de stimuler le zèle de l'administration centrale et d'exciter par elle le bon vouloir des Conseils généraux que, sur la proposition de M. Roussel, vous avez nommé une Commission qui, tout en faisant une juste part à l'étude de chacune des causes invoquées pour expliquer le ralentissement des progrès numériques de notre population, doit s'attacher particulièrement à rendre compte des résul

tats positifs, présentement acquis, du fonctionnement de la loi du 23 décembre 1874, et de tracer un programme des mesures qui lui auront paru propres à assurer et à étendre les bons effets de cette loi.

La Commission s'était immédiatement mise à l'œuvre et peut-être vous aurait-elle déjà fait connaître le résultat de ses délibérations, si la mort de son secrétaire M. Lunier, et l'absence de quelques-uns de ses membres, n'avaient forcément interrompu ses travaux.

Mais cette commission n'est pas la seule que la discussion sur la situation démographique de la France vous ait décidés à nommer.

Les documents si intéressants et si précis qu'a produits notre honorable collègue M. Fournier, pour mettre en évidence la part qui revient à la syphilis dans la mortalité infantile, vous ont vivement frappés et vous avez chargé une Commission spéciale d'étudier et de proposer, en vue de la prophylaxie de la syphilis, un ensemble de mesures qui relèvent de l'hygiène publique et dont, par conséquent, l'administration, les conseil d'hygiène et les corps politiques, auront le devoir de prescrire et de surveiller rigoureusement l'exécution.

Cette Commission, composée des hommes les plus compétents dans la matière, s'est acquittée de sa tâche avec le plus louable zèle et je sais qu'elle sera bientôt en mesure de vous présenter le résumé de ses travaux, de soumettre à votre appréciation des mesures d'hygiène publique contre la propagation de la syphilis et de vous donner ainsi l'occasion de réduire à néant les doctrines funestes qui, sous le couvert de la liberté, ne tendraient à rien de moins qu'à faire renaître de nos jours les épidémies du quinzième siècle. (Très bien !)

Les résultats que poursuit la médecine, en vue d'empêcher le développement, ou tout au moins, d'arrêter la propagation des maladies contagieuses, la chirurgie, de son côté, cherche à les obtenir contre les complications du traumatisme accidentel ou chirurgical.

Rien de plus instructif, à cet égard, rien de plus encourageant, que la discussion à laquelle a donné lieu la communi

cation de M. Verneuil sur la rareté actuelle de l'érysipèle chirurgical.

Que cette redoutable complication soit due, ainsi que le pense aujourd'hui l'immense majorité des chirurgiens, à la pénétration et à la prolifération dans l'organisme, d'un microbe spécial, ou que ce microbe ne soit autre que celui de la septicémie des blessés et des femmes en couches, ainsi que tendraient à le prouver les faits cités par M. Hervieux, peu importe, puisque tout le monde est d'accord pour attribuer au pansement antiseptique l'inappréciable propriété de détruire ou d'arrêter l'agent infectieux.

Qu'il s'agisse d'ailleurs du pansement à l'alcool camphré de M. Gosselin, du pansement ouaté de M. A. Guérin, du pansement au sous-nitrate de bismuth proposé par M. Marc Sée, ou du pansement de Lister tel que le pratiquent la plupart des chirurgiens, MM. Verneuil et Trélat en tête; que l'on emploie, comme parasiticide, l'acide phénique, le sublimé, l'acide borique ou le sulfate de cuivre, peu importe encore, puisque les résultats sont également bons. Or, ces résultats, on ne saurait le proclamer trop haut, constituent un admirable progrès, car c'est en favorisant la réunion par première intention et en mettant obstacle au développement de l'érysipèle et de la septicémie, que la méthode antiseptique a rendu possibles, et le plus souvent inoffensives, ces opérations qu'à l'époque de nos études nous avions appris à considérer comme des actes coupables, qui naguère encore passaient pour des témérités, mais dont l'audace ne surprend plus personne aujourd'hui et qui, en définitive, arrachent à une mort certaine, ou délivrent de cruelles souffrances, un nombre chaque jour croissant de malheureux qu'on aurait crus jadis fatalement condamnés.

Ces opérations, si hardies qu'elles soient, n'ont rien de commun, j'ai à peine besoin de le dire, avec certaines excentricités chirurgicales justement condamnées au Congrès de Grenoble, excentricités auxquelles leurs inventeurs ne se livrent, semble-t-il, que dans le but de frapper d'étonnement un public ignorant, sans prendre aucun souci, ni du bénéfice qu'en pourra tirer définitivement le patient, s'il guérit de

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