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7-14-37

33235

POLYBIBLION

REVUE BIBLIOGRAPHIQUE UNIVERSELLE

ROMANS, CONTES ET NOUVELLES.
PREMIÈRE PARTIE.

-

La Fin d'un monde et le Neveu de Rameau, par JULES JANIN (de l'Académie française).
Nouvelle édition. Paris, E. Dentu, 1873. In-18 j. de 394 p. 3 fr. 50. Le Filleul
de Beaumarchais, par ARMAND DE PONTMARTIN. Paris, Michel Lévy, 1873. In-18 j. de
308 p. 3 fr. 50. Le Gentilhomme de 89, par A. QUINTON. Paris, Lethielleux, 1873.
2 vol. in-18 de 352 et 512 p. 5 fr. Pierre-le-Peillarot, par AUG. de BARTHELEMY.
Paris, Didier, 1873. In-12 de 324 p. 3 fr. Le Rémouleur, épisode du temps de la
Terreur et du Directoire, par EUGÈNE CHAVETTE. Paris, E. Dentu, 1873. In-18 j. de
338 et 336 p. 6 fr. Le dernier Vivant, par PAUL FÉVAL. Paris, E. Dentu, 1873.
2 vol. in-18 j. de 407 et 396 p. 6 fr. — - Le Parricide, par ADOLPHE BELOT & DAUTIN.
Paris, E. Dentu, 1873. 2 vol. in-18 j., de 392 et 380 p. 6 fr. Le Baptême du Sang,
par LOUIS ENAULT. Paris, Hachette, 1873. 2 vol. in-18 j. de 378 et 392 p. 6 fr.
La Veuve de l'Hetman, par L. DE VALBEZEN (le major FRIDOLIN). Paris. Didier, 1873.
In-18 de 352 p. 3 fr. La Dégringolade, par EMILE GABORIAU. Paris, E. Dentu,
1873. 2 vol. in-18 j. de 574 et 545 p. 6 fr. La Corde au cou, par EMILE GABORIAU.
Paris, E. Dentu, 1873. In-18 j. de 490 p. 3 fr. 50. - Aventures de Michel Hartmann,
par GUSTAVE AIMARD. Paris, E. Dentu, 1873. 2 vol. in-12 de 520 et 568 p. 6 fr.
Francia, par GEORGES SAND. Paris, Michel Lévy, 1873. In-18 de 280 p. 3 fr. 50.
Le Docteur Judassohn, par ALFRED ASSOLANT. Paris, E. Dentu, 1873. In-18 j. de 300 p.
3 fr. M. le Préfet, sa dame et sa demoiselle, par le comte de MONTFERRIER. Paris,
E. Dentu, 1873. In-12 de 276 p. 3 fr. Le Docteur Egra, par ALBERT SOREL. Paris,
Librairie générale, 1873. In-12 de 368 p. 3 fr. L'abbé Tigrane, candidat à la
papauté, par FERDINAND FABRE. Paris, Lemerre, 1873. In-18 j. de 280 p. 3 fr. 50.
L'Ensorcelée, par J. BARBEY D'AUREVILLY. Edition élzévirienne. Paris, Lemerre, 1873.
In-12 de 300 p. 5 fr. Les yeux verts, par H. DE SAINT-GEORGES. Paris. E. Dentu,
1873. In-18 j. de 272 p. 3 fr. L'œil de diamant, par ELIE BERTHET. Paris, Dentu,
1873. In-18 j. de 300 p. 3 fr.

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Ab Jove principium.—Commençons cette revue analytique des romans et nouvelles par le prince des critiques qui est aussi, quand il veut, un prince parmi les conteurs. Nous avons nommé M. Jules Janin, de l'Académie française. La fin d'un Monde et le neveu de Rameau n'est pourtant pas un roman, dans la pure acception du mot. C'est plutôt une série de dialogues entre Diderot et ce musicien-bohème que le philosophe libre-penseur a immortalisé. Mais, dans ces dialogues, tout le dix-huitième siècle est ressuscité. C'est un diorama éblouissant à travers lequel nous voyons circuler les petits-maîtres, les comédiennes, les marquis talon-rouge, les financiers, les poëtes enrubannés, la cour et la ville, les académiciens et les encyclopédistes. C'est un feu d'artifice perpétuel, un papillotage d'esprit incessant, un bouquet provoquant d'érudition charmante. Inutile de dire que nous ne partageons pas du tout l'enthousiasme de M. Jules Janin pour le dixhuitième siècle, pour ce siècle jouisseur et sceptique qui riait de tout,

Fin d'un monde et le neveu de Rameau, ce sont les dix dernières pages qui terminent le volume et qui, à notre avis, vaient tout le livre. Le neveu de Rameau est mourant dans sa pauvre mansarde (une mansarde, celle-là, qui n'avait rien de ressemblant avec la fameuse mansarde de M. Jules Simon). Diderot se rend chez le bohème. Celui-ci demande un prêtre. Que fait alors Diderot, Diderot l'athée? Il s'empresse de se rendre aux désirs du moribond et envoie chercher un vicaire de SaintSulpice. Mauvaise note pour nos enterrechiens contemporains. Le prêtre arrive, confesse le neveu de Rameau et, passant devant le philosophe, il lui dit bravement qu'il vient d'arracher une âme à son mauvais génie. Le philosophe baisse la tête, le prêtre se retire. Le prêtre est ici à cent coudées au-dessus du philosophe.

Cette fin d'un monde que M. Jules Janin laisse seulement pressentir, est admirablement décrite par M. de Pontmartin, dans le Filleul de Beaumarchais. De prime-abord, l'auteur nous transporte en plein. café Procope. Là, trônent et pérorent tous les beaux esprits du temps, Marmontel, La Harpe, Diderot, Chamfort, le baron Grimm et Beaumarchais. Celui-ci est dans l'éclat de sa gloire. Eustache Goudard, barbier de Beaumarchais, veut, à tout prix, que l'auteur du Mariage de Figaro soit le parrain de son fils. C'est l'histoire de ce filleul de Beaumarchais qui a fourni le sujet du roman de M. de Pontmartin. Triste et touchante histoire ! Les mauvais jours arrivent. Eustache meurt après avoir coopéré à la prise de la Bastille. Sa femme, Geneviève, une sainte, sauve de la guillotine la duchesse d'Erlange et sa fille Jeanne. La duchesse d'Erlange ne résiste pas à tant d'épreuves et passe bientôt de vie à trépas. Geneviève élève la petite Jeanne avec son fils Pierre. Un ami de la pauvre famille, l'excellent docteur Bertal, a des vues de mariage sur les deux enfants. Mais, le docteur Bertal propose et le sort dispose! L'amour de Pierre Goudard et de Jeanne d'Erlange est contrarié par l'arrivée d'un triste sire, oncle de Jeanne, le marquis de Trévières. Celui-ci, homme taré, perdu de vices, est vendu à Bonaparte (car nous sommes sous le premier Empire), il réclame sa nièce et la marie de force au général Cruchot après avoir fait emprisonner au fort de Joux le pauvre filleul de Beaumarchais, coupable d'avoir publiquement flétri l'assassinat du duc d'Enghien. Quand Pierre sort de prison, sa mère est morte de désespoir et sa fiancée appartient à un autre. Il s'engage et se fait tuer. - Le roman de M. de Pontmartin est à sa troisième édition, et c'est justice. Un petit chef-d'œuvre.

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C'est pareillement l'époque de la Terreur que M. Quinton a choisie pour y encadrer l'intéressant et émouvant récit qu'il vient de publier sous ce titre : Un gentilhomme de 89. Ce gentilhomme, comme

nouvelles. Avec cela, il est tellement épris de priviléges et d'étiquettes que, pour un misérable banc à l'église, il fait mille avanies à son curé, le prieur de Saint-Michel. M. de la Chatellenie applaudit des deux mains aux préludes de la Révolution. Mais, au fond, c'est un cœur honnête. Quand il voit les prêtres guillotinés, les châteaux brûlés, le roi emprisonné, il se réveille et répare par son courage et son intrépidité ses lâches défaillances d'autrefois. Il est vrai qu'il est admirablement secondé par sa fille Charlotte et par une domestique bretonne, la vaillante et chrétienne Louisette, une vraie femme celle-là et qui, même devant les guillotineurs, n'a pas froid aux yeux. M. Quinton a eu l'art de grouper dans son œuvre les principales scènes de la Révolution. Je ne connais pas de livre plus propre à inspirer de l'horreur pour les Marat, les Danton, les Maillard, les Philippe-Égalité, les Hébert, les Saint-Just et autres monstres de cette sanglante époque. Le personnage de la Gigasse est une création véritablement épique. Des romans de ce genre apprennent l'histoire.

Il en est de même de Pierre le Peillarot, de M. Auguste de Barthélemy. Sous un cadre des plus simples, l'auteur a su présenter un tableau aussi varié que vigoureux des crimes commis pendant la Terreur par les énergumènes de la démagogie et des combats héroïques soutenus par les Vendéens contre la Révolution. Il y a, dans cette œuvre de M. de Barthélemy, des caractères supérieurement dessinés, le Peillarot d'abord, qui n'est autre qu'un gentilhomme de vieille race, l'abbé Géraud ensuite, Loïc, l'honnête saltimbanque, et, dans un autre ordre d'idées, le citoyen Curtius. En résumé, Pierre le Peillarot est plus qu'un bon livre, c'est une bonne action.

Je voudrais bien en dire autant du Rémouleur de M. Eugène Chavette (Vachette). Non que les tendances du romancier soient répréhensibles. Il témoigne une haine profonde contre les buveurs de sang et les septembriseurs. Mais il y a dans son Rémouleur des scènes trop libres. Deux, entre autres, frisent l'obscénité. C'est regrettable. Car le Directoire, cette régence de la Terreur, est ici parfaitement étudiée, et je crois que l'âme noire de Fouché n'avait jamais été mieux fouillée. Il y a aussi, dans le roman de M. Chavette, quelques types parfaitement réussis, tels que le chouan Pierre de Caujol et l'hôtelier Javal, dit l'Autruche. Quant au roman lui-même, il pivote autour du trésor de la Dubarry (quelque chose comme dix-sept millions), volé en 93, par deux scélérats, caché dans une cave, surveillé par un fripon qui fait l'idiot, cherché par une bande de chauffeurs dont le Rémouleur est le chef, et convoité par l'abbé de Montesquiou lequel veut s'en servir pour amener Fouché à servir la cause des Bourbons. C'est un mélange de faits historiques et de combinaisons à la Paul Féval.

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matique, et, avec des données souvent très-simples, il arrive à des effets surprenants. Son Dernier vivant, qui vient de paraître, est le nec plus ultra du genre combinaison. C'est l'histoire d'un jeune magistrat, Lucien Thibault, qui donne sa démission et redevient avocat pour se faire le défenseur de sa femme, Jeanne Péry, accusée de meurtre. Il y a pourtant, dans ce livre, autre chose qu'une instruction et une contre-instruction judiciaire. Il y a de curieuses révélations sur les méfaits d'une sorte de bande noire, dirigée par le Dernier vivant, et dont les membres, financiers véreux, fournisseurs tarés, spéculent sur les malheurs de la patrie. Nos félicitations à M. Paul Féval pour l'énergie avec laquelle il flétrit les agissements de cette infernale camarilla!

- A la même catégorie de romans judiciaires, si l'on peut s'exprimer ainsi, il faut rattacher le Parricide de MM. Belot et Dautin, et la Corde au cou de M. Emile Gaboriau. Les premières pages du Parricide sont une réminiscence de l'Assassinat de la rue Morgue d'Edgard Poë. Les indices accusateurs du crime sont groupés avec autant d'art et de talent. Il y a surtout une physionomie d'inspecteur de police parfaitement trouvée. L'inspecteur Moule est le cousin-germain du Javert des Misérables. L'horrible situation de l'accusé Laurent, acquitté par le jury, faute de preuves, mais condamné par l'opinion, est également bien dépeinte. Le pauvre diable remis en liberté, se dévoue à la recherche du coupable et parvient à le découvrir. Mais, il n'a pas de chances, ce coupable n'est autre que son propre père, bandit de la pire espèce, lequel a tué sa femme, croyant tuer une étrangère. Laurent, en apprenant la mort de sa mère, veut la venger, et, cette fois, il devient parricide pour tout de bon. Il ne faut pas chercher de la morale dans le roman de MM. Belot et Dautin. Nous sommes ici dans un monde d'assassins, d'escrocs, de meurtriers et de gourgandines.

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La Corde au cou de M. Émile Gaboriau n'obtiendra pas non plus le prix Monthyon. Ce roman de 500 pages pourrait se résumer en 50 lignes. Le feu a été mis à la maison du comte de Claudieuse. Celui-ci, pendant l'incendie, a reçu deux coups de feu. Toutes les apparences se réunissent pour inculper l'ennemi du comte, le marquis de Boiscoran. Innocent, le marquis est condamné à vingt ans de travaux forcés. Il a été accusé par M. le comte de Claudieuse lui-même, et il n'a pu se défendre, ayant eu des relations coupables avec la femme du comte. Claudieuse meurt de ses blessures, mais, avant de mourir, il se rétracte de son faux témoignage. Boiscoran sort de prison. Le vrai coupable est recherché, et il se trouve que c'est un misérable idiot du nom de Cocoleu, lequel avait fait les deux mauvais coups, uniquement dans le but de délivrer de son mari Mme de Claudieuse. Rien d'intéressant dans

Nous préférerions de beaucoup (n'était l'exagération de certaines pages relatives au second Empire) la Dégringolade du même auteur. Il n'est pas défendu à un romancier de flétrir énergiquement le régime impérial dans ce qu'il a eu de condamnable. Mais alors, on le fait avec toute la sévérité de l'histoire, et non sur le ton passionné des pamphlétaires de Bruxelles. C'est précisément ce que n'a pas su éviter M. Gaboriau. Sa Dégringolade est tout simplement la dégringolade du second Empire. Il y a là un certain Combelaine qui est le plus fieffé coquin du monde. Il assassine, la veille du coup d'Etat, dans un jardin de l'Élysée, le brave général Delorge, parce que celui-ci n'avait pas voulu tremper dans la conspiration. Quinze ans après, le même Combelaine essaie d'enlever au fils du défunt, Raymond Delorge, sa fiancée, Simone de Maillefert. Et il y aurait réussi, si, échappé de Cayenne, n'était tout à coup apparu un certain Laurent Cornevin, ancien palefrenier de l'Élysée et seul témoin de l'attentat dont le général Delorge avait été la victime. Il y a, dans cette œuvre, une figure éminemment sympathique, c'est la veuve du général assassiné, une Romaine. Mais, je le répète, c'est, en beaucoup d'endroits, une paraphrase de Napoléon le Petit.

— M. de Valbezen (le major Fridolin) a peint, lui aussi, dans la Veuve de l'Hetman, les mœurs et les hommes des derniers temps du second Empire. Toutefois ses descriptions ont beaucoup plus de tact, de mesure et de convenance. Les portes du brillant hôtel de la veuve de l'Hetman, la princesse Tomski-Amourzow sont ouvertes, avenue des Champs-Élysées. Entrons-y. La compagnie est des plus brillantes. Il y a d'abord Victor Darrolles, le républicain rallié, devenu, par d'habiles transitions, une des lumières du Conseil d'Etat, un des soutiens les plus énergiques de la politique impériale. Il y a aussi, le Grand-Échanson, un intime du souverain; Numa Poncifer, entrepreneur de bâtisses et libre-penseur; le vicomte Gontran de Monjicot, attaché d'ambassade et l'un des plus précieux ornements du club de la Fleur des Pois; le marquis de Bauséant, l'incarnation de la fatuité et du scepticisme; Henry de Kernozian, paladin égaré en plein dixneuvième siècle; Ebénézer Dollar, richissime Américain; le baron Issachar, plus richissime encore; Prudhomme de l'Orge, BabooschPacha, le prince Dourakine, le général Bosabre et monseigneur de Patagonopolis. Ici nous protestons. Nos évêques n'ont jamais fréquenté un pareil monde. Tous ces noms sont évidemment inventés. Néanmoins des esprits malintentionnés pourraient bien mésuser des allusions transparentes de M. de Valbezen. Nous ne le ferons pas, laissant aux amateurs de livres à clef le soin d'inscrire celui-ci dans leurs tablettes. Les soirées de la veuve de l'Hetman ne sont ici d'ailleurs qu'une sorte

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