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La première partie de l'ouvrage traite des facultés intellectuelles ; nous y avons remarqué un chapitre fort bien étudié sur la mémoire. Ce que l'ensemble de cette première partie offre surtout de particulier, c'est que l'auteur ne s'est point arrêté à de longues dissertations sur l'intelligence considérée en elle-même; en homme d'enseignement, il a voulu surtout faire voir comment les aptitudes intellectuelles se développent, et dans quel ordre les progrès s'accomplissent.

Mais on reconnaîtra, en le lisant, qu'il a éclairci, sur ce sujet, plus d'un point qui était jusqu'ici demeuré obscur. Les philosophes ont sans doute, depuis longtemps, décrit et analysé le jeu des facultés de l'entendement, et pourtant, dans ces descriptions et ces analyses, nous avions toujours quelque peine à nous reconnaître : nous comparons, nous raisonnons surtout, bien moins souvent qu'ils ne le disent. Est-ce la promptitude avec laquelle s'exécutent ces opérations qui nous empêche de nous en apercevoir?... Nous percevons des idées de rapport, nous saisissons l'évidence de certains faits, et cela d'une manière instantanée, sans qu'il nous soit possible de distinguer que telles et telles idées sont mises en présence, que tel jugement est vérifié par tel autre auquel nous ne pensons même pas.

Voici comment ces opérations intellectuelles sont expliquées par M. Guchet:

Par l'attention, dit-il, nous percevons l'idée, ou plutôt une notion confuse de la chose ou du fait observé. A cela se borne, en effet, dans une première étude, le service que peut nous rendre cette faculté; il faut comparer, ou mettre en présence deux idées et même parfois deux objets pour en percevoir le rapport. Mais cette comparaison, qui est déjà une opération plus compliquée et plus longue, se réduit à un acte simple d'attention, lorsque l'intelligence est d'avance en possession de l'une des idées servant de terme de comparaison, et qu'en outre cette idée est elle-même clairement définie. Cette manière sommaire de percevoir les rapports et par suite de juger des qualités des choses par un seul acte d'attention, est un procédé que nous employons de plus en plus à mesure que notre intelligence se perfectionne; il devient même bientôt tellement habituel que nous ne nous apercevons plus que l'un des termes

de la comparaison, qui se dissimule à nos yeux, préexiste dans notre intelligence et se confond avec elle, pour lui communiquer le pouvoir de juger par un seul regard de l'esprit..

Dans sa forme primitive, le raisonnement prononce sur la convenance de deux rapports; il juge, par conséquent, les résultats de deux comparaisons, ce qui suppose les trois éléments qu'on retrouve dans la forme syllogistique. Aussi a-t-on soin de procéder de cette manière dans les cas difficiles par eux-mêmes ou lorsqu'on s'adresse à des esprits encore peu cultivés. Mais, pour une intelligence plus habile parce qu'elle est déjà riche de conceptions justes, il suffit de rapprocher de l'idée nouvellement acquise l'une de ces conceptions convenablement choisie et vérifiée d'avance. Par cette comparaison, l'esprit saisit la raison des choses et se prononce avec certitude sur la justesse du rapport perçu. Ainsi, nous disons souvent et sans crainte d'erreur: Cela est bon, cela est juste, parce que l'évidence résulte pour nous de la conformité qui existe entre le fait que nous voulons juger et un principe bien démontré, et qui nous sert de criterium infaillible.

L'ouvrage dont nous nous occupons est une étude complète de la méthode, c'est-à-dire de la marche que suit l'esprit dans l'acquisition des connaissances. Tout cela est fort bien traité, et l'auteur a su répandre une grande clarté sur un sujet naturellement difficile, même pour les personnes qui se livrent à l'enseignement.

Il y a des idées neuves, exprimées avec un talent d'exposition qui révèle une grande connaissance de la matière. Ce n'est pas seulement l'acquisition des connaissances, c'est aussi leur application que la méthode est appelé à diriger; et, comme l'esprit est secondé dans cette partie de sa tâche par le secours de l'habitude, l'auteur a fait sur ce sujet une étude excellente.

Tous les principes de la méthode se réduisent finalement à quatre procédés pratiques d'enseignement qui s'adaptent à l'âge, au degré d'intelligence, à l'aptitude de l'élève ; et celui-ci semble, si nous en jugeons par les pages que nous avons lues, recevoir, pour håter son instruction, un luxe de secours auxquels nous étions peu habitués dans notre enfance.

Il est vrai qu'il fallait alors apprendre toutes les leçons par cœur, méthode que condamne M. Guchet, avec une sévérité peut-être

excessive. Assurément, il peut se faire que des enfants peu intelligents apprennent leurs leçons mol à mot, sans pour cela les bien comprendre. Mais les comprendraient-ils mieux par une simple lecture? Assurément non; et pourtant on ne peut pas, dans une classe, expliquer toujours des leçons ; et que feront les élèves quand le professeur ne s'occupe pas d'eux, pendant les études, par exemple? Quoi qu'il en soit, nous sommes loin de nier que l'auteur n'ait raison de blâmer l'abus des récitations textuelles; il s'agit simplement, selon nous, d'éviter l'abus, sans proscrire un moyen d'études qu'il nous semble difficile de remplacer totalement.

La méthode socratique, qui procède par interrogations, nous semble bonne; mais on peut aussi en faire un emploi abusif; ce qui aura lieu, croyons-nous, si le temps des classes se passe en une continuelle conversation entre le maître et ses élèves.

Nous approuvons sans réserve ce que l'auteur a écrit sur l'éducation maternelle et l'apprentissage professionnel, tout en regrettant que ces deux sujets ne soient pas traités encore avec plus d'étendue. Nous avons remarqué, sur les procédés de l'enseignement scolaire, de bonnes choses également; mais nous devons avouer que nous ne sommes pas bien compétent sur les meilleures méthodes de lecture, d'écriture, d'orthographe, de calcul, etc. C'est là un sujet trop spécial pour que nous puissions en juger avec pleine connaissance de cause. Tout ce que nous pouvons dire, c'est que l'auteur reste constamment d'accord avec les principes qu'il a posés au commencement de son livre; on reconnaît en lui le praticien, qui a enseigné pendant bien des années, avant même de songer à faire un traité de l'enseignement. Son livre n'en est que meilleur.

C'est, selon sa maxime, sur les faits et les choses que les prin. cipes qu'il expose ont été puisés; toute théorie hasardée en est rigoureusement proscrite.

L'ouvrage peut avoir, pour toute personne qui se livre à l'enseignement, une véritable utilité; tous les conseils qu'il donne sont réellement pratiques, parce qu'ils ont été inspirés par l'expérience. Et pourtant il ne faudrait pas croire que les Principes raisonnés de

la Méthode ne soient qu'un recueil de formules ou de préceptes applicables à l'enseignement. Il vise beaucoup plus haut et nous serions disposé à croire que c'est l'ouvrage qui, en France, a le mieux traité de la pédagogic, en donnant à l'art d'enseigner une origine toute scientifique.

On se ferait une idée de cette méthode, en comparant le lecteur à quelqu'un qui, pour acquérir un domaine, veut d'abord le bien connaître; avant de le visiter en détail, il juge de son aspect général en se plaçant sur une éminence d'où il en découvre tous les principaux points; puis il le parcourt, l'examine en détail, s'enquiert des avantages de toutes ses parties, de l'utilité et des profits qu'il peut retirer de chaque chose, étudie avec soin toutes les voies d'accès, etc.; revient encore se placer une seconde fois sur le point élevé d'où il a saisi en premier lieu l'idée de l'ensemble, et cette fois se fait un résumé exact et complet de la propriété qu'il connaît maintenant dans ses détails et dans son ensemble. En s'éloignant enfin, il jette encore d'instants à autres un regard sur ce domaine, etil en emporte une connaissance aussi complète que le lui a permis le temps qu'il a consacré à son examen.

Dans un sujet qui tient de près aux questions philosophiques les plus sérieuses, l'auteur a su être sobre d'expressions recherchées et savantes; il a voulu être aisément compris de tout lecteur possédant une instruction commune; sauf deux ou trois néologismes, trèslégitimement introduits dans la langue, puisque l'étymologie grecque en est expliquée, il n'emploie que des termes simples et aisément compris.

La phrase de l'auteur est soignée, et les transitions, toujours naturelles, sont ménagées avec un soin qui atteste que cet ouvrage a été travaillé autant pour la forme que pour le fond luimême.

En somme, le livre de M. Guchet est appelé à rendre de grands services à l'enseignement. Si, jusqu'à ce jour,. les études pédagogiques ont été négligées en France, ce qui expliquerait notre infériorité quant à l'instruction primaire, nous croyons que la vulgari

sation de principes aussi savamment déduits que ceux qu'expose cet ouvrage, sont de nature à changer avantageusement cet état de choses. Et ce ne sont pas seulement les instituteurs, les institutrices et toutes les personnes qui font de l'enseignement une occupation exclusive, qui ont besoin de connaître comment on peut le mieux favoriser les progrès de l'éducation; ce sont aussi les familles qui, comme le dit fort bien notre auteur, ne peuvent en aucun temps se désintéresser du choix des méthodes, et qui doivent exercer sur l'éducation une influence prédominante. Ce sont encore tous les hommes qui, par devoir, par profession ou par sympathie, sont appelés à rendre à l'enseignement quelques services les membres du conseil supérieur de l'Instruction publique, qui élaborent les programmes, les conseils académiques, qui approuvent ou suggèrent les méthodes à employer dans les écoles, les conseils départementaux, les délégués des cantons et des communes, les curés, les maires, etc., tous ont besoin de ne point ignorer qu'il y a des méthodes qui sont particulièrement propres à développer l'intelligence des enfants, à former leurs cœurs à la vertu, et à les élever dans des principes qui concourent à en faire de bons citoyens.

X.

CATALOGUE MÉTHODIQUE DE LA BIBLIOTHÈQUE DE LA VILLE DE NANTES, par M. Emile PÉHANT, conservateur de cette bibliothèque. 6e volume. (Histoire [suite et fin]; Polygraphie; Nouvelles acquisitions.) Nantes, imp. Vincent Forest et Emile Grimaud, 1874. In-8o de XII-876 p.

Nous espérons donner, quelque jour, une étude d'ensemble sur ce beau Catalogue, examiné au point de vue spécial de la Bretagne; mais, dės à présent, nous sommes heureux de nous faire l'écho d'un compte rendu très juste et très flatteur, que contient la livraison de juin du Polybiblion Revue bibliographique universelle, que dirige si habilement M. G. de Beaucourt. (Note de la Rédaction.)

Ce catalogue ne doit pas être confondu avec de nombreux inventaires du même genre qui ont successivement été livrés à l'impres •

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