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Et le maréchal-président de la République a répondu :

Monsieur le Cardinal, - j'attache le plus grand prix à cette prérogative qui m'a permis de vous remettre les insignes de la haute dignité qui vous a été conférée; je vois comme vous, dans la décision de Sa Sainteté, un nouveau témoignage des bons rapports qui existent entre le Saint-Siége et mon gouvernement. Je suis heureux d'avoir pu contribuer à l'élévation, parmi les princes de l'Eglise, d'un prélat qui a montré tant de vertus dans l'accomplissement de sa mission. Je n'ai pas oublié l'accueil que j'ai reçu dans votre diocèse, et je sais de quelle affection vous y êtes entouré. Je vous remercie des prières que vous adressez au ciel pour ma famille et pour moi,

Quatre jours après, le mercredi, 13 octobre, S. Em. le cardinalarchevêque faisait son entrée solennelle dans sa ville archiepiscopale, au son de toutes les cloches, et au bruit des salves d'artillerie, toute la garnison sous les armes formant la haie depuis la gare jusqu'à son palais; et le dimanche suivant, une fête générale avait lieu, qui restera comme une date mémorable dans les annales du diocèse de Rennes et dans les fastes religieux de cette antique cité. Pour la première fois, le nouveau prince de l'Église, enfant de la ville, et en possession de tous les insignes de son titre éminent, allait faire son entrée dans son église métropolitaine, revêtu du costume de sa nouvelle dignité. Depuis le palais archiepiscopal jusqu'à la cathédrale, une foule immense, accourue de tous les environs, circulait au milieu des mâts vénitiens formant une avenue continue et décorés de banderolles et de bannières aux armes du Saint-Père et du Cardinal: des oriflammes aux couleurs pontificales et françaises s'agitaient aussi à presque toutes les fenêtres, se mêlant aux cartouches ou aux devises et aux couronnes de verdure qui se balançaient suspendues dans l'espace. La procession, formée de tous les ordres religieux de la ville et du clergé des paroisses, s'avançait ainsi, suivie des évêques suffragants, précédant Son Eminence qui marchait sous le dais, revêtue de tous ses habits pontificaux. Une messe solennelle, à laquelle assistait M. le général de Cissey, ministre de la guerre et député d'Illeet-Vilaine, le général Cambriels, commandant le 10 corps d'armée, le préfet, le maire et plusieurs députés, fut célébrée par Dom Anselme Nouvel, évêque de Quimper, et S. Em., montant en chaire, après l'évangile, prononça cette allocution :

Messeigneurs, Messieurs,

Si j'avais pu penser un seul moment que ces honneurs m'étaient personnels, vous ne me verriez pas dans cette chaire : je me serais contenté de les subir et de m'en humitier profondément devant Dieu. Ces honneurs que vous m'avez rendus aujourd'hui ont une signification plus haute; c'est un témoignage de votre affection pour votre vieil évêque, qui, depuis plus d'un demi-siècle, vous donne tout ce qu'il a 21

TOME XXXVIII (VIII DE LA 4′ SÉRIE).

d'amour et de vie. Mon cœur en est ému plus qu'il ne saurait le dire. Cependant, s'il se sent fier aujourd'hui, c'est surtout pour vous, pieux habitants de Rennes, je dirai même de ce diocèse, pour vous fils des vieux Bretons, honorés aujourd'hui dans ma personne.

La Bretagne tout entière semble s'être donné rendez-vous ici par ses premiers pasteurs pour célébrer l'honneur insigne que le Souverain-Pontife lui fait en ce jour, C'est à vous plus qu'à moi que le Saint-Père a pensé en me donnant une place dans le sénat des cardinaux, dans le Conseil suprême de la sainte Eglise. Je n'en veux pour preuve que la réponse qu'il a faite à notre ambassadeur, proposant le nom de votre archevêque au Souverain-Pontife: « Oui, je crée avec plaisir cardinal de la sainte Eglise romaine un archevêque français, à cause de ce prélat, pour lequel j'ai une affection si tendre, et surtout pour la Bretagne qui a tant fait pour moi.

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C'est donc la France et la Bretagne, en la personne de son fils dévoué, que le Souverain-Pontife a entendu honorer en m'accordant, quoique indigne, le plus grand des honneurs après le Souverain-Pontificat. Voilà la signification de cette belle fète. C'est le Saint-Père et l'Eglise catholique tout entière que vous fêtez, auxquels vous offrez cet hommage si touchant de votre vénération et de votre amour.

Permettez-moi maintenant d'aborder le côté pratique. Quels sont les devoirs que nous impose à tous cette grande dignité? Ces devoirs me regardent avant tous les autres. La pourpre est la couleur du sang, cette liqueur ineffable, qu'on a justement appelée le fleuve de la vie. Elle indique que votre archevêque doit être disposé à donner son sang pour la sainte Eglise romaine, pour son troupeau, pour son pays, poussant la charité jusqu'à l'excès, jusqu'au dernier sacrifice.

Il ne me sera peut-être pas donné de verser mon sang pour vous. J'espère que l'avenir ne nous réserve pas ces cruelles épreuves qui se sont rencontrées pour quelques prélats; mais, je le dis du fond du cœur, si ces épreuves se renouvelaient, le plus beau jour de ma vie serait celui où, comme Mgr Affre, je pourrais, aussi moi, offrir ma vie pour la sainte Eglise, pour le pape, pour mon troupeau, pour mon pays! J'espère, avec l'aide et la grâce de Dieu, que si j'étais exposé à cette épreuve, je n'y faillirais pas, quelles que soient ma faiblesse et mon indignité.

Non-seulement le sang coule par les veines, il coule encore sous forme de sueurs. Un père dévoué jusqu'au sacrifice à ses enfants ne donne-t-il pas son sang pour sa famille lorsqu'il rend à Dieu son âme immortelle, lorsqu'il meurt satisfait d'avoir été pour ses enfants un père digne de ce nom?

Je ne sais ce que Dieu pense de mon ministère passé. Souvent les actes les plus louables aux yeux des hommes paraissent bien imparfaits aux yeux de Dieu. Cependant, permettez-moi de vous le dire, j'ai tâché de mon mieux d'accomplir ma devise: En tout la charité. Dans ce moment solennel, prêt à rendre mon âme à Dieu, je ne sais comment vous remercier, pieux prêtres qui m'écoutez, pieux fidèles qui m'entendez. Je le déclare ici, mon peuple et mon clergé ne m'ont jamais fait ressentir l'amertume du chagrin. Vous m'avez toujours rendu heureux, tellement heureux que si Dieu ne m'avait pas ménagé les douleurs matérielles et les souffrances du corps, je craindrais pour mon salut, car j'aurais eu ma part de bonheur dans ce monde. Je ferai tout ce qui dépendra de moi pour prendre encore plus soin de vos âmes, en me dévouant entièrement au Chef suprême de l'Église, pour l'aider dans les difficultés

sans nombre de son pontificat, pour servir mon pays, auquel je demeure attaché par des liens si forts.

Recevez cette déclaration, Monsieur le ministre de la guerre, vous qui, en assistant à cette fête, avez voulu me donner un témoignage de votre affection et de votre vieille amitié. Reportez cette déclaration à l'illustre soldat placé à la tête des destinées de la France; je ferai tout ce que je pourrai pour servir la France comme je le fais pour l'Église.

Je le répète, le Saint-Père a voulu récompenser en vous la vieille foi bretonne. Il a voulu honorer cette foi, qui a fait de vous, j'ose le dire, un peuple à part. Gardez-vous d'y être infidèles. Il est des doctrines perverses à l'aide desquelles on espère changer vos esprits. Gardez-vous de prêter l'oreille à toutes les calomnies lancées contre la foi, contre les évêques, contre les prêtres. On cherche à ébranler l'ensemble des vérités sociales. Soyez fermes comme le granit devant ces tentatives menaçant Dos saintes croyances.

J'ajouterai encore un mot: Le Saint-Père a voulu récompenser votre dévouement à la sainte Église et à sa personne, votre attachement au trône de Pie IX, dont le monde catholique lui a fourni les preuves dans cette œuvre miraculeuse qu'on appelle le denier de Saint-Pierre. Cette œuvre miraculeuse a donné au Souverain-Pontife les moyens de subvenir à tous les besoins de l'Église et du Souverain-Pontificat, et de lui permettre d'attendre des temps meilleurs, où il pourra se passer du secours de ses enfants.

Il ne me reste plus qu'à épancher mon cœur, à vous remercier tout d'abord, Pontifes de la Bretagne, qui, par une délicatesse que je veux redire ici, avez voulu rehausser l'éclat de cette fête par votre présence, sans en être priés. Vous avez compris pourquoi je ne l'ai pas fait. Il est toujours doux d'être entouré de ses frères; mais la délicatesse m'empêchait de vous inviter officiellement. Je craignais de paraitre triompher au milieu de mes frères dans l'épiscopat qui, s'ils n'ont pas la suprême autorité, n'en sont pas moins de vénérés pontifes de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Recevez, Messeigneurs et frères bien-aimés, le témoignage de mon estime, de mon dévouement et de mon amour. Efforçons-nous désormais d'être encore plus unis autour de Celui qui est le representant de la vérité et de l'unité suprêmes, en demeurant fermes autour du siége de Pierre.

Recevez mes remerciements, monsieur le ministre, messieurs les députés, monsieur le préfet; je croirais manquer aux plus doux sentiments de la reconnaissance, si je ne vous la témoignais par tout ce que mon cœur contient de souvenirs respectueux pour ce que vous avez fait. Un ministre des autels ne doit pas être fier des dignités dont il est revêtu, mais il lui est permis de ressentir la fierté légitime de l'affection dont on l'entoure.

C'est vous, monsieur de Cissey, et vos amis, qui avez voulu, par une pensée pleine de délicatesse, en me laissant ignorer vos démarches, porter le témoignage de la Bretagne aux pieds du maréchal de Mac-Mahon.

L'édifice commencé il y a seize ans reçoit aujourd'hui son couronnement. Je prie Dieu d'acquitter la dette de reconnaissance contractée envers lui et envers le Souverain-Pontife. Vous m'aiderez dans cette tâche. Je ne promets pas de l'aimer davantage, la chose est impossible, mais j'ai la douce confiance que l'union restera

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solide et féconde dans les sentiments de la foi. Pour ma part, je m'efforcerai de la maintenir, attendant de Dieu des jours de paix, de bonheur et de gloire pour l'Eglise et pour la France.

Ces paroles produisirent une profonde émotion dans l'auditoire.

Le soir, une splendide illumination, à laquelle les plus pauvres logis ont contribué spontanément, donnait à la ville de Rennes un aspect féerique; et vers la fin du banquet qui réunissait au palais archiepiscopal les invités de S. Em., Mer Saint-Marc ayant porté un toast au pape et au maréchal de Mac-Mahon, M. le général de Cissey a répondu en ces

termes :

Messieurs, avant de nous asseoir, permettez-moi, à mon tour, de vous proposer de boire à une santé qui nous est chère, à celle du nouveau prince de l'Eglise, à S. Em. le cardinal Saint-Marc. Dans cette circonstance solennelle, j'ai tenu, comme député d'Ille-et-Vilaine, à venir au milieu de vous, afin de m'associer à l'allégresse de mes compatriotes d'adoption et d'affection, et d'apporter à cette fête le témoignage de mes sentiments d'estime et de sympathie pour le vénérable métropolitain de la Bretagne.

Ce matin, dans une allocution touchante, Son Eminence, après avoir protesté de son dévouement au pays et au chef de l'Etat, a fait un appel chaleureux à l'esprit de concorde et de paix. Comme ministre de la guerre, j'ai une autorité particulière pour parler de la paix, et je le fais hautement, parce que je suis un soldat et que je parle à une assemblée de Bretons qui n'ont jamais failli à leur noble devoir: plutôt la mort qu'une tache à l'honneur! Je reconnais avec Son Eminence que cette paix est pour les peuples le premier des biens.

Aussi, à mon tour, j'exprime le vœu que les souverains qui tiennent dans leurs mains les destinées des peuples, restent toujours, comme en ce moment, animés de ces nobles sentiments de concorde qui font la prospérité des nations.

A Son Eminence le cardinal Saint-Marc!

Quelques jours auparavant, les pèlerins du diocèse de Nantes, prosternés aux pieds du Saint-Père, l'avaient, pour ainsi dire, remercié de l'honneur qu'il venait de faire à notre province, en protestant de nouveau de leur dévouement inaltérable et en remettant à S. S. une adresse remarquable, lue par M. l'abbé Morel, vicaire général de Nantes, qui avait apporté un don de 56,000 fr. Nous en détacherons ce passage:

Hier, le Père vous entretenait de sa famille, il vous parlait de sa chère Église de Nantes, et Votre Sainteté par des organes autorisés, lui a fait savoir qu'il avait reçu une brillante portion de l'héritage du Seigneur. Aujourd'hui, les enfants sont à vos pieds. Soixante prêtres sont à leur tête: on les compterait par centaines si la voix du devoir ne les eût retenus. Ils viennent, sur le tombeau des SS. apôtres, chanter ce Credo qu'ont chanté toutes les générations, jurer fidélité au siége apostolique, affirmer que la foi de Pierre est leur foi, la foi de leur Église, que ses doctrines

sont leurs doctrines, et qu'au besoin ils écriraient avec leur sang leur attachement à Pie IX. A leurs côtés, ont pris place de vaillants champions de toutes les grandes et saintes causes. Auxiliaires puissants du prêtre, ils font partie de ce groupe que n'ont pas entamé les commotions sociales, ni les sophismes modernes. Plusieurs appartiennent à ces comités catholiques, nés, comme les croisades du moyen âge, d'une inspiration de la foi, pour s'opposer à l'invasion des barbares, protéger la croix du Christ et la venger des blasphèmes de l'impie.... Enfin, Votre Sainteté peut voir ces chrétiens dont ni les fatigues, ni les difficultés de la route n'ont pu arrêter la religieuse ardeur. C'est une partie de cette légion de femmes fortes qui ont pris à tâche de prouver à ce monde qu'étouffe l'atmosphère desséchante d'un froid égoïsme que le dévouement s'épanouit encore sous notre ciel, et qu'on y connaît toujours la vertu de sacrifice...

Et le Saint-Père a répondu par une de ces allocutions paternelles qu'il sait prononcer avec une si touchante éloquence, qu'on ne peut jamais les oublier, en rappelant les épreuves qu'a subies notre pauvre France, par la guerre, par les inondations, par les fléaux de toutes sortes; en exhortant les pèlerins à la confiance inébranlable en Dieu, et en les bénissant eux et tous leurs frères du diocèse et de la province.

Après ces grandes et majestueuses scènes, nous devons quelques lignes de souvenir à plusieurs autres cérémonies religieuses, moins imposantes peut-être par leur ensemble, mais qui n'en ont pas moins laissé chez les assistants des traces d'émotion profonde. Le 29 septembre dernier, Mgr Fournier, évêque de Nantes, bénissait à l'abbaye de la Meilleraye le T. R. Dom Eugène, récemment promu à la dignité abbatiale, et assisté des abbės mitrés de la Grande-Trappe et de Bellefontaine, au milieu d'un grand concours de toutes les populations voisines. Nous voudrions avoir le loisir de retracer ici les principales phases du récit fort bien fait que M. l'abbé Cotteux a écrit de cette touchante cérémonie dans le Journal de Châteaubriant. Une scène, attendrissante entre toutes, a été celle de la présentation des religieux à l'obédience du nouvel abbé, qui portait la crosse artistement sculptée où l'un des Frères, avec un rare talent, a représenté le couronnement de la Vierge. Parvenu sous le porche de l'hôtellerie, Mar Fournier a prononcé devant toute l'assistance une courte allocution, avec son charme habituel de parole et une grande effusion de cœur, concluant par cette belle devise de Françoise d'Amboise: << Faites sur toutes choses que Dieu soit le mieux aimé. »

Le zèle de notre évêque est, du reste, infatigable : le dimanche 3 octobre, il allait à Saint-Nazaire bénir la nouvelle chapelle des Frères Mineurs-Récollets, établis dans cette ville depuis 1872. Ce fut un bonheur de l'entendre se livrer, après la cérémonie, dans le sévère et pur monument de style de transition, élevé par M. l'architecte Ogée, à une chaleu

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