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Lacordaire s'était trompé. Le jugement en dernier ressort appartient à Dieu seul sans doute : il n'en est pas moins vrai que les jésuites avaient trouvé un juste appréciateur de leurs actes et de leurs travaux.

Mais il y a dans ces quelques lignes de l'illustre dominicain une pensée que je ne puis me résoudre à laisser échapper sans quelque commentaire.

Les grandes et nobles existences d'institutions ou d'hommes en sont là elles ont des amis frénétiques et des ennemis furieux. Les amis ne voient que les beautés ; les ennemis que les défauts. Les premiers ne veulent pas apercevoir les imperfections que mêle la fragilité bumaine à ce qu'il y a de plus parfait ici-bas; les seconds n'admettent pas qu'un défaut léger ne vicie pas radicalement les choses les plus parfaites. Il y a exagération des deux côtés. Les jésuites font le bien, quoique parfois ils le fassent mal. Ce mal qui se trouve accidentellement dans la manière dont ils font le bien, ne détruit pas radicalement ce bien. Ainsi en fut-il aussi de Lacordaire il fit le bien, quelquefois mal; il eut des amis et des ennemis exagérés ; comme les jésuites, il eut aussi des observateurs sensés qui, tout en faisant la part de la fragilité humaine, demeu rèrent ses admirateurs. Ainsi en fut-il encore de Crétineau Joly. Ces grands caractères qui, comme le chêne des forêts, luttent contre les tempêtes et restent eux-mêmes, contrastent singulièrement avec ces caractères mous qui ne savent que plier à tous vents. Le chêne peut être brisé parce qu'on le redoute, mais on admire encore ses ruines; on laisse le roseau plier et se redresser, sans s'inquiéter de lui, parce qu'il n'offusque personne il continue son manége jusqu'à ce qu'il pourrisse sur pied. Crétineau-Joly a pris sa place parmi les hommes au cœur ferme comme le cœur du chêne, les Charette, les Stofflet, les Cathelineau, les La Rochejaquelein, les Ignace de Loyola, les François de Borgia, les François-Xavier et tant d'autres dont il a chanté les hauts faits. Ils ont pu être un objet de pitié pour les insensés qui n'ont pas compris leurs combats; eux, désormais à l'abri des tempêtes, sont en paix, et la postérité, portant ses regards sur leurs actions magnanimes, proclamera leur gloire.

L'Histoire de la Vendée militaire, l'Histoire de la Compagnie de Jésus voilà les deux oeuvres capitales de Crétineau-Joly. Ses autres livres seraient des œuvres capitales pour des écrivains d'un moindre mérite; mais, quelle que soit leur valeur, elles dérivent presque toutes des pensées qui se développent dans ces deux ouvrages. Les volumes consacrés à Clément XIV, et la discussion avec le P. A. Theiner, sont un complément de l'histoire des jésuites. L'Histoire de Louis-Philippe et l'Histoire des trois derniers princes de la maison de Condé rentrent dans l'ordre d'idées de l'Histoire de la Vendée. L'Eglise Romaine en face de la Révolution; Bonaparte, le Concordat de 1801 et le Cardinal Consalvi tiennent aux deux c'est toujours la vérité et la justice personnifiées par l'Eglise et par la monarchie, luttant contre la révolution, ce fléau des temps modernes. Avec quelle impitoyable habileté CrétineauJoly enlève le masque à tous ces faux grands hommes tribuns, consuls, empereurs ou rois usurpateurs! Comme il ramène bien à sa taille véritable, dans l'affaire du Concordat, le pseudo-prolecteur de l'Eglise qui ne craignit pas un jour de présenter à la signature du cardinal Consalvi une prétendue copie du concordat où se trouvaient des conditions autres que celles convenues la veille! Les ouvrages de Crétineau-Joly, tout cousus de pièces authentiques, resteront comme autant de témoins consciencieux disant à la postérité les petitesses et les grandeurs, les fautes et les actes de bonne politique, les turpitudes et les gloires des trois derniers siècles.

Cependant la fin des luttes approchait avec la fin de la vie. Le grand batailleur conservait sa fermeté, alors que ses amis voyaient rapidement défaillir ses forces. Privé de la vue, comme autrefois Homère, il se faisait relire les pages de ses propres ouvrages ou les livres d'autrui, surtout ceux ayant trait aux affaires de l'Église et à l'histoire de sa chère Vendée. Il regrettait de n'avoir pu, avant de mourir, revoir encore une fois Fontenay, Luçon, Les Sables et le Bocage, illustrés par les La Rochejaquelein, les Charette et leurs compagnons d'armes. Comme ces héros, il est mort fidèle à son

Dieu, à son roi; avec eux, sans doute, il reçoit, après avoir expié ses fautes, la récompense de ses vertus. Nous, qu'il honorait de son amitié et qui restons après lui au combat, nous déposons sur celle tombe, fermée depuis neuf mois, nos regrets, nos larmes et nos prières.

Une voix plus autorisée que la nôtre va se faire entendre et révéler des choses nouvelles. Pendant vingt-cinq ans, M. l'abbé Maynard a vécu dans l'intimité de Crétineau-Joly, et pourtant la modestie de Crétineau-Joly fut telle, que M. l'abbé Maynard ne connut qu'après sa mort certaines réponses que le célèbre Vendéen pouvait opposer à ses adversaires: ces réponses, le public les aura, quand il lui plaira, sous les yeux.

Le livre de M. l'abbé Maynard vient de paraître : il est de toute justice que nous fassions silence.

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Il existe, dans un coin isolé de la Bretagne, sur la lisière de la vieille forêt de Brocéliande, dans le département du Morbihan, une humble bourgade, presque inconnue du reste du monde. Ce village, qui forme le chef-lieu de la commune de Tréhorenteuc, est sous la protection de sainte Onenna, fille d'un roi breton, dont nous avons déjà entretenu nos lecteurs dans une précédente légende, intitulée : La Couronne du roi Hoël III.

Ce pays est remarquable, à tous les points de vue d'abord, comme il est extrêmement accidenté, les vallons et les coteaux qui le coupent en tous sens en font un jardin anglais naturel, avec des sinuosités et des méandres sans fin, qui l'ont fait appeler par les poètes d'autrefois : le Val sans retour, nom qu'il porte encore aujourd'hui. Enfin, les touristes qui visitent ces lieux vont généralement se reposer de leurs fatigues à l'ouest du village, près d'un endroit appelé Néant, pour écouter le charmant murmure de jolies cascatelles formées par la réunion de plusieurs ruisseaux.

C'est en cet endroit que me fut racontée, l'été dernier, par une vieille femme gardant sa vache, la naïve légende qui va suivre.

II

Hoël III, le roi des bois, avait sa résidence à Gaël. Son épouse, Pritelle, fille d'Ansoch, lui donna quatre garçons: Iosse, Winoc, Judicaël et Hoël, ainsi qu'une fille du nom d'Onenna. Inutile de dire que cette dernière, — qui, paraît-il, était extrêmement mignonne et jolie, reçut à elle seule plus de caresses du roi et de la reine que ses quatre frères ensemble.

La jeune princesse n'avait pas encore dix ans, lorsqu'un pieux ermite reçut l'hospitalité du roi et séjourna plusieurs semaines à Gaël. Il sut promptement se faire aimer d'Onenna, qu'il combla de jouets et à laquelle il fit toutes sortes d'amitiés. Souvent il répétait tout bas, en admirant les gentillesses de l'enfant: «< Chère petite sainte, ton pays à toi n'est pas de ce monde, et tu t'en iras de bonne heure dans ta douce patrie.

D

Onenna l'entendit une fois, et ces paroles l'impressionnèrent vivement. Douée d'une intelligence peu commune, elle réfléchit longtemps à ce qu'avait dit l'ermite, et comprit, saus avoir recours à ses parents, qu'elle eût craint d'affliger, que son séjour sur cette terre serait de courte durée, et qu'il lui fallait l'employer dévotement pour pouvoir mériter le ciel. A partir de ce moment, elle ne songea plus qu'à prier Dieu et à accomplir toutes les bonnes œuvres que son cœur lui suggérait. Elle pensa qu'elle ne pourrait que très-difficilement faire son salut dans le château de son père et résolut, malgré tout le chagrin qu'elle allait causer à sa famille, de s'éloigner de sa demeure royale pour aller vivre misérablement quelque part.

Un jour donc, sans prévenir personne de ses projets, elle partit à pied et s'aventura seule dans la campagne. Elle rencontra sur une lande une petite pâloure, à laquelle elle proposa de troquer ses guenilles contre ses vêtements. La paysanne, qui comprit bien qu'elle allait faire un bon marché, s'empressa d'accepter. Onenna, ainsi déguisée en mendiante, s'éloigna de la maison paternelle, et se mit à la recherche d'une position obscure.

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