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moins l'avantage de ne donner lieu à aucune équivoque, à aucun soupçon d'erreur et de tromperie; mais il résulte aussi de cet état de choses qu'on ne pourra guère arriver à acquérir une idée nette du sujet qui nous occupe sans connaître assez à fond sous le rapport énoncé les premiers ouvrages imprimés en Bretagne. C'est pourquoi il nous a paru à propos de faire le dénombrement de tous les incunables bretons connus et d'en offrir au lecteur une description détaillée. Ce sera l'objet de notre second appendice.

V. Si nous voulons maintenant poursuivre notre sujet et tracer siècle par siècle depuis l'année 1500 jusqu'à nos jours un tableau. rapide des vicissitudes et des alternatives diverses de progrès et de décadence qu'a subies l'imprimerie en Bretagne, il sera facile de montrer que nos presses bretonnes, sans égaler en réputation celles des Alde, des Étienne et des Plantin, n'ont pas laissé de conquérir une place d'honneur dans la galerie des illustrations typographiques. Il n'y a guère, en effet, de genre d'ouvrages religieux ou profanes, théologiques ou juridiques, littéraires ou philosophiques, historiques ou artistiques sur lequel elles ne se soient exercées avec succès. En outre on ne trouverait peut-être aucune province de France où les imprimeurs aient joui à un égal degré auprès de leurs concitoyens de l'estime et de la considération publiques. Il n'en est aucune, si nous ne nous trompons, qui ait fourni, toutes choses égales d'ailleurs, un pareil nombre de générations d'imprimeurs plusieurs fois séculaires, telles que les Vatar 1, les Denys et les Durand à Rennes, les Doriou et les Mareschal à Nantes, les Galles à Vannes, les Hovius à Saint-Malo, les Prudhomme à Saint-Brieuc. Mais entrons dans quelques détails; essayons d'esquisser, au moins dans ses grandes lignes, pour ce qui concerne notre Bretagne, la suite de l'histoire. de cet art typographique, dont l'influence a été si considérable en bien comme en mal sur la société religieuse, civile et politique 2.

L'imprimerie Vatar, fondée en 1630, subsiste encore après deux siècles et demi d'existence. Il n'y en a aucune autre en France, si nous sommes bien renseigné, qui se soit transmise ainsi en conservant le nom patronymique de son fondateur pendant un si long espace de temps.

2 Notre but ne saurait être, on le conçoit, de présenter ici la série complète et

Or, d'abord, pendant le XVIe siècle, l'imprimerie fit sa réapparition à Rennes, continua à fleurir à Nantes et s'implanta sur cinq ou six nouveaux points du territoire armoricain.

Au début de ce siècle cependant, les Bellesculées n'avaient pas encore été remplacés à Rennes, et les libraires de cette ville recouraient toujours aux presses de Paris, de Caen ou de Rouen pour satisfaire aux demandes de leurs clients 1.

Ce fut seulement vers 1523 que Jean Macé, fils et frère de libraires ou imprimeurs normands, qui ont acquis une haute célébrité, et libraire lui-même établi à Rennes dès 15022, décida Jean Baudouyn, imprimeur de Nantes, à quitter cette ville pour venir s'établir dans la capitale de la Bretagne 3. Il ne tarda pas en outre à lui commander une édition des œuvres du célèbre Marbode, évêque de Rennes au XIIe siècle. Ce travail important fut publié sous les auspices du B. Yves Mahyeuc, l'un des plus dignes succes. seurs de Marbode. Il suffirait seul pour immortaliser le nom de notre imprimeur *.

Jean Macé fit encore éditer à ses frais divers opuscules de Boèce, et quelques autres ouvrages de valeur . Malheureusement ni lui ni Baudouyn ne paraissent avoir laissé d'héritiers de leur nom et de leur profession. Il faut attendre l'année 1535 pour voir un autre imprimeur ou libraire de Caen, Jacques Berthelot, venir se fixer à Rennes et y débuter par une nouvelle édition des Coustumes

chronologique de tous les imprimeurs bretons. Nous renvoyons, à cet égard, au travail déjà cité de M. Toussaint Gautier, le plus complet de beaucoup qui ait été tenté en ce genre.

1 On le conclut de ce qu'en 1514 le Bréviaire de Rennes fut imprimé à Paris (M** Jaus., no 2, p. 32), item en 1521 et 1533 le Missel du même diocèse (Ibid., no 2, p. 87, etc., etc.)

2 D'après la souscription de l'édition des Coustumes de Bretaigne, donnée par Pigouchet (V. Brunet, t. 2, c. 364).

3 M" Jaus., n° 8, p. 3; Brunet, t. 3, c. 131.

Ibid. Cette édition de Marbode est devenue aujourd'hui une rareté bibliogra phique. Elle manque à la Bibliothèque nationale et à celle de Rennes, mais en revanche on en trouve un exemplaire à la Mazarine ou à l'Arsenal. Les Carmes de Rennes en possédaient un exemplaire avant 1789. Il parait perdu aujourd'hui. 5 M" Jaus., n° 2, p. 10 et 11.

de Brelaigne. Ce Berthelot avait contribué aussi pour une large part aux frais de la double édition du Missale Redonense, qui parut à Paris en 1523 et 1531.

Quelques années plus tard, en 1539, Jean Georget avait fondé une seconde imprimerie à Rennes, et travaillait tant pour le compte de Thomas Mestrard, libraire établi près la porte SaintMichel à l'enseigne de Saint Thomas, que pour celui de Guillaume Chevau, aussi libraire, ce dernier demeurant près l'église de Saint-Sauveur, à l'enseigne de Saint Jean l'Evangéliste. L'un et l'autre ne tardèrent guère non plus à joindre à leur première profession de libraire celle d'imprimeur en titre 3.

Le premier obtint même un double privilége, émané tant du duc de Bretagne que du parlement de cette province, qui lui conférait le droit exclusif d'imprimer et de vendre le nouveau recueil, considérablement amélioré par ses soins, des Coutumes bretonnes et des Ordonnances royales relatives au même pays ".

Le second s'acquit également une telle réputation, que l'évêque de Saint-Brieuc lui confia (v. 1540) le soin d'imprimer le Bréviaire de son diocèse 5.

Concurremment avec Mestrard et Chevau, Julien Duclos exerçait également à Rennes (1539-1581) la profession d'imprimeur, et donna même au public un plus grand nombre d'ouvrages que ses émules. Nous citerons seulement son Otium Semestre de Jean de Langle, et ses Coutumes de Bretagne *.

Noël Glamet, originaire de Quimper, vint aussi se fixer à Rennes

p. 37.

1 M" Jaus., n° 1, p. 2, et n° 6, La marque typographique de Berthelot se trouve dans les papiers de M. Jausions; c'est la même que celle de Josse Bade. 2 V. Brunet, V Coustumes, etc., 5′ édit., t. 2, c. 366, et M" Jaus., n° 6, p. 37. p. 4 et 5.

3 M" Jaus., n° 1,

•M" Jaus., n° 6, p. 24.

5 Breviarium de Trinitate ad usum Eccl. Brioc. Redonis apud. Guill. Chevau. 1548. Il est mentionné dans le catalogue des imprimés de la Biblioth. du Roi. M. Gaultier du Mottay (Saint-Brieuc) possède un exemplaire de cette édition de

toute rareté.

6 M Jaus., n° 6, fol. 6 et 7, et n° 6, fol. 27-31. Il est probable que la famille Duclos, qui continue à tenir un rang si honorable dans la ville de Rennes, remonte originairement à ce Duclos.

comme imprimeur au plus tard en 1585, probablement comme successeur de Jean Georget. Il fut le premier éditeur des écrits de divers genres du célèbre Noël du Fail, sr de la Hérissaye 1.

A la même époque, Pierre Bretel et Blaise Petrail de Nantes, qui selon toute apparence avaient pris la place de Thomas Mestrard et de Guillaume Chevau, s'entendirent pour supporter en commun les frais d'une nouvelle édition des livres liturgiques de Rennes, qui venaient d'être corrigés et améliorés conformément aux prescriptions du concile de Trente 2.

3

Enfin les troubles politiques qui signalèrent la fin de ce siècle paraissent avoir occasionné la fondation d'une quatrième ou cinquième imprimerie à Rennes. Cette dernière avait à sa tête le Poitevin Michel Logerois et se proposa, croit-on, pour principal objectif la mission assez peu louable de combattre par tous moyens, bons ou mauvais, la sainte Ligue et par conséquent indirectement le Catholicisme lui-même.

En résumé les presses rennaises furent fécondes dans le XVI siècle elles livrèrent au public non-seulement des ouvrages de piété et de littérature, mais aussi des livres de jurisprudence et de théologie en nombre considérable.

Les renseignements que nous avons pu recueillir sur l'état de l'imprimerie à Nantes pendant le cours de cette même période historique, ne sont pas aussi abondants que ceux qui concernent Rennes; mais on sait au moins que cette dernière ville est redevable à son émule de gloire et de puissance des deux imprimeurs de mérite Jean Baudouyn et Blaise Petrail, dont nous venons de parler. C'est déjà pour la cité nantaise un premier titre de gloire.

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De plus, Guillaume Larcher, aussi imprimeur nantais, donna au public dès 1501 un superbe missel à l'usage de l'Église de Nantes

1 M Jaus., fol. 7.

2 V. le privilége royal qui leur fut octroyé à cet effet à la prière de Messire Aymar Hennequin, év. de Rennes. M Jaus., n° 6, p. 32 et n° 1, fol. 36.

3 M. Jausions conclut, avec assez de vraisemblance, que ce Logeroys était Poitevin de ce qu'en 1560 il y avait à Poitiers un imprimeur de ce nom. (V. M' J., n° 6, f. 32, et n° 1, f. 8 et 9.)

V. Travers, Hist. de Nantes, t. 2, p. 198, et M" Jaus., n° 1, p. 11.

(1501), et Guillaume Tourquetil, autre imprimeur de la même ville, mérita de son côté l'honneur d'être choisi par Mer de Plédran pour imprimer les statuts synodaux de son diocèse, celui de Dol (1507) 2.

Peu après (1527), Antoine et Michel les Papolins de Nantes s'employaient à publier une nouvelle édition des Coutumes de Bretagne 3, et sans doute aussi d'autres ouvrages de jurisprudence, mais ils agissaient, nous devons l'ajouter, comme libraires et non comme imprimeurs. Les impressions qu'ils commandaient se faisaient à Paris, à Angers, à Caen 4.

Enfin dans les dernières années de ce siècle, Nicolas Desmaretz et François Faverie se firent remarquer, à l'opposite de Michel Logerois de Rennes, dont nous parlions naguère, par leur zèle à multiplier les écrits favorables à la sainte Ligue, qui comptait Nantes parmi ses principales places d'armes 5.

La ville épiscopale de Saint-Malo n'avait pas eu d'imprimerie au XVe siècle. Elle dut en être gratifiée, au plus tard, en 1554, mais on ne connaît malheureusement qu'un seul ouvrage sorti des presses du nouveau typographe, dont le nom n'est même pas arrivé jusqu'à nous : c'est la vie de Saint-Malo, par Bili, évêque de Vannes 6.

Le P. de Cheffontaines, (Penfeunteniou), de l'ordre de SaintFrançois et Breton de naissance, qui devait bientôt arriver à la haute fonction de ministre général de tout son ordre, ne tarda pas. non plus à enrichir son couvent de Cuburien, près Morlaix, d'une imprimerie bretonne d'où sortirent plusieurs livres remarquables de controverse 7.

La ville de Morlaix possédait aussi dans ces mêmes années des

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5 C'est ce qui résulte du texte des ouvrages cités par M. Toussaint Gautier. Hist. de l'imprimerie en Bretagne, p. 25.

6 Vita S. Machutis, auctore Bilio, XIV Ep. Venetensi. Macliovopoli, 1555; livre devenu d'une rareté extrême. Nous n'avons pas encore eu la bonne fortune de le rencontrer.

7 M" Jausions, n° 2, p. 11 et 21; Brunet au mot Capite fontium indique quelques écrits du célèbre controversiste, mais non ceux qui ont été imprimés à Cuburien.

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