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M. ROLLAND.

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- C'est votre dernier mot.

Absolument.

Alors, j'ai le regret de constater que tout es

rompu, et je n'ai plus qu'à me retirer.

LE COMTE.

J'ai l'honneur de vous saluer.

(M. Rolland sort.)

-

SCÈNE II.

LE COMTE (seul). – Il a bien fait de sortir pour n'être pas jeté à la porte, et il commençait à m'échauffer les oreilles avec ses raisonnements. Et dire qu'on rencontre cela partout! Il ne mentait pas, malheureusement. Une foule de gens, qui se disent honnêtes, ne se refusent pas ces procédés, qui me feraient rougir, et ont des arguments pour frauder le fisc en sûreté conscience. Et les femmes donc ! Il est très-rare que la plus honnête femme... soit un honnête homme. - Ce drôle m'a mis en retard pour mes préparatifs de départ; nous allons passer deux jours à Paris, c'est très-important, nous devons faire une rencontre à l'insu de ma fille d'où peut dépendre son avenir. L'ébranlement d'une smala exige toujours beaucoup de petites dispositions..... Voici justement ma femme.

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LA COMTESSE.

SCÈNE III.

LE COMTE, LA COMTESSE.

Eh bien, ma chère amie, à quelle heure partons

Dans une demi-heure, si vous voulez. Nos paquets sont prêts, et je venais vous demander le vôtre, parce qu'on charge la voiture. J'ai fait mettre les provisions au fond du coffre intérieur.

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LA COMTESSE.

Quelles provisions?

Des volailles, du beurre, et quelques bouteilles

de vin. Ce qu'il nous faut pour deux jours.

LE COMTE.

Vous voulez donc nous exposer à descendre à la

barrière sous la pluie ou dans la boue pendant qu'on visitera le coffre? Il faut au contraire mettre tout cela dans un panier, sur le siége.

LA COMTESSE.

déclarer le contenu.

Alors on le verrait, et nous serions obligés de

LE COMTE. Sans doute.

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LA COMTESSE. Déclarer des provisions de ménage que nous consommerons à Paris au lieu de les consommer ici?

LE COMTE.

LA COMTESSE.

Sans doute.

Mais, mon ami, cela n'a pas le sens commun. Nous ne causons ancun tort à la ville de Paris en allant y passer deux jours et y manger nos poulets.

LE COMTE.

Essayez de faire admettre ce raisonnement par

les employés de l'octroi.

LA COMTESSE.

Je sais bien qu'ils ne l'admettraient pas, et c'est pour cela que je ne veux rien déclarer.

LE COMTE.
LA COMTESSE.

Êtes-vous bien sûre que vous ne déclarerez rien? Certainement, c'est mon intention formelle. Moi, je crois que vous déclarerez quelque chose, que vous n'avez rien de sujet au droit. LA COMTESSE. Cela revient exactement au même.

LE COMTE.

vous déclarerez.....

LE COMTE. Pas tout à fait, ma chère amie. Supposez que vous soyez conduite dans le cabinet du chef de l'octroi, et que là il vous demande de déclarer et de signer, sur votre honneur, si, oui ou non, vous avez dans le coffre de votre voiture des volailles, du beurre et quelques bouteilles de vin; que répondrez-vous ?

LA COMTESSE.

nité.

LE COMTE.

Les choses ne se passent pas avec cette solen

Supposez qu'elles se passent avec cette solennité. Il est bien clair..... que je serais obligée..... de répondre la vérité..... Je craindrais d'ailleurs de voir ouvrir le coffre

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O la détestable raison, ma chère amie! Je suis confus que vous osiez la donner. Supposez que vous n'ayez pas à

craindre cela, et que l'interrogateur vous ait promis de s'en rapporter à l'affirmation de votre honneur.

LA COMTESSE. Il est clair..... que je répondrais encore la vérité, en disant que ce sont des provisions de ménage.

LE COMTE (Souriant). Vous me soulagez, ma chère amie. J'ai eu peur, et j'allais vous demander quelle confiance vous pouviez avoir dans la promesse de votre interrogateur inconnu; de quel droit, après avoir fait une affirmation fausse, vous lui auriez reproché de violer sa propre promesse, et d'ouvrir le coffre sous vos yeux, pour vous confondre!

LA COMTESSE.

bagatelle!

Mon Dieu, que d'embarras pour une pareille

LE COMTE. La sincérité n'est jamais une bagatelle, ma chère. Voudriez-vous que vos enfants manquassent de sincérité envers vous, et répondissent à vos questions par un gros mensonge? En réalité, ce qui se passe à la barrière ne diffère pas de ce que j'ai supposé; seulement la solennité est moindre et le formalisme est abrégé. Un homme qui porte l'uniforme, qui représente son chef, qui a une consigne et un devoir à remplir, ouvre la portière, et prononce plus ou moins distinctement ces mots: Avez-vous quelque chose de sujet au droit ? S'il se contente de vous interroger du regard, vous savez que c'est cela que signifie son regard. Vous répondez non quand c'est oui; que puis-je y faire, ma chère amie? vous mentez !

-

LA COMTESSE. Vous n'êtes pas poli, Monsieur de Verteuil. Vous savez bien que je ne fais pas autre chose qu'un signe de tête. LE COMTE. Un signe négatif. - Est-ce que vous enseigneriez à vos enfants la différence morale entre une parole et un signe négatif? Je vous préviens que je me mettrais en travers de votre enseignement. Vous voulez donc forcer les employés à retenir votre voiture, à vous faire descendre, à exiger de vous une affirmation écrite? Ils se contentent d'un signe répondant à un regard, afin de ne pas vous déranger ni vous retarder; il y a là un hommage rendu à la sincérité dont la présomption résulte de votre éducation et de

votre situation sociale. Tenez, dans la concision de ce dialogue muet, je vois, moi, une véritable grandeur morale. Vous vous abaissez en trompant cette confiance, pour vous épargner une misérable dépense de quelques francs. La somme d'ailleurs ne fait rien à l'affaire.

LA COMTESSE.

Ah! Monsieur, c'est trop fort! Ce n'est pas pour m'épargner une dépense, mais pour m'épargner un retard et des ennuis.

LE COMTE. Vraiment? Alors c'est bien simple. N'emportez rien, et achetez des poulets à Paris.

LA COMTESSE. Mais si j'y tiens, à mes poulets?

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Alors payez-en l'entrée.

LA COMTESSE. Vous êtes décidément d'une austérité..... ridicule.

LE COMTE.

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Merci. C'est ce que me disait M. Rolland tout à l'heure. J'ajoute encore un mot: Quel exemple vous donnez autour de vous !.....

SCÈNE IV.

LES PRÉCÉDENTS, RAOUL DE VERTEUIL, accourant essoufflé.

RAOUL. Je suis d'une colère, mon père ! Voilà tous nos projets manqués, et nous sommes sans cocher.

LE COMTE ET LA COMTESSE.

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RAOUL. Figurez-vous que j'ai surpris Picard en train de remplir de bouteilles d'eau-de-vie tout le coffre qui est sous son siége. Je lui ai adressé vivement des reproches; il m'a répondu que ma mère était plus riche que lui et en faisait autant. Naturellement je me suis emporté, il s'est emporté aussi. Il a brisé son fouet, s'est mis à dételer et à décharger la voiture, et réclame impérieusement son compte. Il crie que nous sommes des contrebandiers, et qu'il saura nous dénoncer aux gabelous.

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- Quelle insolence !

LE COMTE. Hélas! oui, quelle insolence ! Mais, ma chère amie, je vous parlais de l'exemple.....

LA COMTESSE.

-

N'allez-vous pas le défendre, maintenant? LE COMTE. Le défendre, non. L'excuser, peut-être. Il n'a pas notre éducation, ma chère amie. Essayez de lui faire comprendre que ce qui vous est permis lui est interdit! Il n'a rien à répondre, lui, à la barrière, il passe à la faveur..... de votre signe négatif, et notre pavillon couvre sa marchandise.

LA COMTESSE.

C'est trop fort, je ne puis pas en entendre davanlage, et je vais m'enfermer dans ma chambre. Mais débarrassez-moi au plus vite de cet homme, que je ne veux plus revoir.

LE COMTE. Il le faudra bien, et c'est dommage. - Un vieux serviteur, longtemps si attaché à la maison. Et notre départ impossible aujourd'hui. - Nos projets manqués.

Tout cela, grâce à vos malheureux poulets.

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Cette rencontre.....

LE COMTE. Oh! franchement, ma chère amie, je n'y suis pour

-

rien et ce n'est pas de ma faute.

LE COMTE.

SCÈNE V.

LE COMTE, RAOUL.

(La comtesse sort.)

L'anecdote n'est pas amusante. Je laisse à ce

pauvre Picard le temps de se calmer, avant d'aller lui donner son congé. As-tu été très-violent toi-même ?

RAOUL. Passablement, mon père, je l'avoue.

-

LE COMTE. Retiens une double leçon, mon cher Raoul. C'est un grand tort, fùt-il en lui-même léger, que de se donner le premier tort. On s'expose à d'amers regrets. Tu sais combien j'aime et j'honore ton excellente mère. Elle a cette petite faiblesse, bien communc chez les femmes, de croire qu'on n'est pas obligé de se gêner avec l'octroi. Tu vois où cela nous mène. Toi, tu as commencé par t'emporter. Tu vois aussi quelle a été la conséquence.

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