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LES ANCIENS HOPITAUX DE NANTES

HISTOIRE ADMINISTRATIVE DES ANCIENS HOPITAUX DE NANTES, par M. Léon Maître, membre de la société de l'Ecole des Chartes, officier d'Académie, archiviste de la Loire Inférieure, publiée d'après les documents originaux. Nantes, chez l'auteur, impasse Vignole, 1. In 8o, 6 fr.

Nous ne saurions trop nous applaudir de voir le trésor de nos archives tombé entre les mains d'un pionnier tel que M. Léon Maître, qui n'a point coutume de laisser les trésors enfouis. En moins de dix ans, il nous a donné un important ouvrage sur les Écoles épiscopales et monastiques de l'Occident, depuis Charlemagne jusqu'à Philippe-Auguste, un aperçu du Maine sous l'ancien régime, un Tableau de cette même province pendant les Assemblées de 1787 el la convocation des Etats Généraux, une Histoire des hôpitaux de Laval, une étude sur les Ecoles primaires du comté Nantais que n'ont point oubliée les lecteurs de la Revue, un Inventaire du trésor des chartes des ducs de Bretagne, etc., etc.

Aujourd'hui, M. Maître publie l'Histoire administrative des hôpitaux de Nantes. Convenons-en tout d'abord, le sujet n'est pas riche. Nantes, qui est certainement une des villes de France les plus pieuses et les plus charitables, et qui possède aujourd'hui de si beaux monuments de piété et de charité, en avait autrefois fort peu de remarquables. On peut même dire qu'au point de vue monumental, sa cathédrale méritait seule quelque attention; et cependant ce n'était qu'un assemblage bizarre de deux édifices disparates et dont aucun n'appartenait d'ailleurs aux grands siècles de

l'architecture religieuse, le XIII et le XIVe. Chartres, Bourges, Amiens, des villes de 20 à 30,000 âmes, avaient de royales basiliques, et Nantes, dont la population dépassait le chiffre de 70,000, n'avait pas même à leur opposer quelque grande abbaye comme le pouvait Caen, pas même quelque haute tour dominant la contrée, comme la petite ville de Saint-Pol, son Creisker, ou la petite ville de Bayeux, sa Tour du patriarche.

Nos hôpitaux n'étaient pas plus magnifiques que nos églises, par la raison qu'ils furent toujours assez mal dotés. A l'heure qu'il est, les hôpitaux de France ont encore pour 500 millions de propriétés foncières, indépendamment de valeurs mobilières considérables, et dans ce chiffre de 500 millions, les hôpitaux de Nantes ne figuraient, même avant la démolition des maisons du quai de l'Hôpital, que pour un revenu foncier de 23,000 francs, représentant à peine un capital de 500,000. Quant au revenu des valeurs mobilières, il dé. passait de peu 24,000 francs 1.

Les hôpitaux de Nantes ne se soutenaient réellement, dans l'ancien régime, que par le produit de certains droits et la ressource toujours éventuelle des quêtes; et aujourd'hui, ils ne se soutiennent que par les allocations municipales. Ces allocations du moins ne leur font pas défaut; elles ont atteint et dépassé le chiffre de 400,000 francs. Aussi, nos maisons de charité, si mesquines et insuffisantes autrefois, ont-elles aujourd'hui une majesté et une ampleur qui révèlent assurément les intentions les plus généreuses, mais, en même temps peut-être, des besoins plus nombreux et plus pressants.

Et il devait en être ainsi, non-seulement parce que la population a augmenté, mais encore et surtout parce que les Sociétés de secours mutuels qui, sous les noms de corporations ou de confréries, se partageaient la ville entière, ont disparu. M. Maître ne compte pas moins de vingt-neuf confréries à Nantes, dans l'ancien régime, indépendamment des corporations de métiers, qui étaient

1 En 1678, nous apprend M. Léon Maître, les hôpitaux de Nantes n'avaient que 3,952 LIVRES de revenu foncier.

aussi nombreuses que les métiers. Or ces pieuses associations formaient comme autant de familles où aucun des devoirs de la charité fraternelle n'était omis: travail à ceux qui pouvaient travailler, secours aux indigents, visites et soins aux malades. C'est ce qui explique pourquoi les plus anciens hôpitaux étaient bien plus des hôtelleries pour les pèlerins, les étrangers, les voyageurs, que des maisons destinées au traitement des malades. Les malades qui y venaient n'appartenaient presque tous qu'à la classe des gens sans aveu, c'est-à-dire sans avoué, sans famille naturelle ou morale, sans protecteur. Les textes mettent toujours les malades an troisième rang. Je me bornerai à en citer un, que j'emprunte à M. Maitre; il est relatif à l'aumônerie de Notre-Dame hors les Murs ou de Saint-Clément, le plus ancien hospice de Nantes: Assiduè peregrini pauperes et infirmi hospitantur, recipiuntur et pascuntur, medicantur, curantur ac, dum obeunt, sepeliuntur. « Les pèlerins, les pauvres, les infirmes y sont logés, nourris, soignés, guéris, et, s'ils meurent, ensevelis. » Le texte ajoute: « Les pauvres femmes enceintes, lorsqu'elles y accouchent, y demeurent jusqu'à leurs relevailles. Leurs enfants y sont confiés à des nourrices et instruits ensuite dans les professions pour lesquelles on leur reconnaît de l'aptitude. >>

Remarquons bien que cet hôpital était de la plus grande ancienneté. On le faisait même remonter au IXe siècle, et M. Maître se montre tout disposé à accepter cette opinion. On voit donc que dans ces temps, trop souvent qualifiés de barbares, si la science était moindre qu'aujourd'hui, la charité ne l'était pas. Dès le VIIIe siècle, au reste, un archiprêtre de Milan avait donné l'exemple d'une fonda. tion pour les femmes en couches et les enfants abandonnés. «Comme il arrive souvent, disait-il, que des malheureuses se laissent entraîner par la volupté, et, pour cacher leur honte, jettent ensuite le fruit de leur faiblesse, tantôt dans l'eau, tantôt dans des lieux im. mondes, leur faisant perdre et la vie et la grâce du baptême, je veux, etc., » et il ouvrait à ces malheureuses une maison pour leurs

couches; il donnait des nourrices à leurs enfants et décidait qu'ils seraient nourris, instruits et vêtus jusqu'à l'âge de sept ans 1.

L'aumônerie de Sainte-Marie avait également été fondée par le clergé, que l'histoire nous montre toujours à l'origine des institutions charitables. « Les abbayes, a dit Montalembert, avaient été fondées avec le patrimoine des riches pour servir de patrimoine aux pauvres. >>

La léproserie de Saint-Lazare, sur les Haut-Pavés, occupe le second rang pour l'ancienneté parmi les maisons hospitalières de Nantes. Elle se composait, nous dit M. Maître, d'une chapelle, d'un corps de logis avec chambres haute et basse, d'un cellier, d'une écurie, de deux jardins, d'un pré et d'une pièce de terre. » Située hors des faubourgs, sur un point élevé, elle offrait du moins toutes les conditions de salubrité possibles. Saint-Lazare faisait partie du fief de l'évêque et c'était l'official de la Cathédrale qui était chargé de la constatation de la lèpre. Me sera-t-il permis d'ajouter que, si les mesures de police qu'avait fait prendre cette terrible maladie étaient rigoureuses, l'Eglise du moins cherchait à les adoucir par le souvenir de Lazare et de Marie-Madeleine, les amis du Sauveur. Dans un temps où l'on considérait que les souffrances de ce monde étaient autant de gagné pour le ciel, on n'était pas loin de voir dans ces malheureux des prédestinés; les papes leur écrivaient : « A nos chers fils les lépreux » 2, et lorsque le prêtre les conduisait à leur cellule, il commençait par bénir tous les ustensiles à leur usage.<< Soyez morts pour la terre, disait-il, ressuscitez pour Dieu. >>

L'hôpital, ou plutôt, comme l'appelle très-bien M. Maître, l'Asile de Saint-Julien, offre le premier exemple, à Nantes, d'une fondation privée et d'une fondation d'un caractère tout spécial. La pieuse bourgeoise qui en avait eu l'idée s'était, en effet, proposé de venir en aide, bien moins aux gueux dénués de tout, suivant le mot de M. Maître, qu'aux pauvres aisés. Ce qui le prouve, c'est que chaque 1 Muratori. I, c. p. 187.

2 Dilectis filiis leprosis de Sabolio. Lettre de Clément II, citée par Montalembert.

nouvel hôte devait payer cinq sols au prieur et offrir aux habitués de l'hospice un dîner copieux, autant du moins que ses moyens le lui permettaient. Le nombre des places était de huit. Ceux qui les occupaient formaient une association et élisaient eux-mêmes leur prieur. M. Maître reproduit les statuts de cette petite république antérieure au XIVe siècle; ils sont des plus curieux.

L'aumônerie de Toussaint, sur les ponts, date de Charles de Blois et de 1362. C'est le premier exemple, à Nantes, d'une maison de charité de fondation ducale. Cette aumônerie se compose, dit un aveu du XVIIe siècle, d'une église avec cimetière, hôpital et hôtel-Dieu pour loger et héberger les pèlerins de Saint-Jacques en Galice et de Saint-Méen, allant et retournant de leur voyage . »

Ainsi le mot d'hôpital reprenait, cette fois encore, son sens primitif d'hospitalité. Toussaint était également ouvert aux affamés dans les temps de famine, et aux pauvres, en général, qui venaient y prendre leur logis et récréation, et y étaient, dit un procès-verbal, bien et honnestement reçus, hébergés, repus el pansés. Plus tard, il fut particulièrement affecté aux maladies de la peau et aux maladies honteuses.

Notre-Dame de Pitié, qui devint dans la suite l'Hôtel-Dieu, est mentionnée, pour la première fois, en 1357. C'est « la première institution de charité fondée et patronnée par les bourgeois de Nantes » 2. Etablie d'abord dans la rue du Port-Maillard, près du couvent des Jacobins, c'était, dit M. Maître, une espèce d'hôtellerie assez semblable à l'asile Saint-Julien, où quelques incurables venaient passer la nuit, après avoir mendié leur pain toute la journée dans les rues de la ville 3. »

Une chose qui surprend, c'est que la générosité des habitants s'intéressait si peu à cette fondation, qui cependant était leur œuvre, que pendant les deux siècles suivants elle ne lui constitua pas la moindre dotation. « Dans les nombreux testaments qui me sont

Léon Maître, p. 55. 2 Léon Maitre, p. 68. 3 Ibid., p. 69.

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