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départ approche. Nous avions fait en chemin de fer cette dernière excursion à Montorgueil. Il y a deux lignes de chemin de fer à Jersey, ce petit coin de terre si riche, si animé, si beau, et qui n'a pourtant que quatre lieues de long sur deux de large.

Nous ne pourrions guère parler avec connaissance des monuments de Saint-Hélier. Nous en avons seulement regardé l'extérieur, du haut des voitures ou en nous promenant dans ses rues, bien construites et bien aérées. C'est ainsi que nous avons vu, si cela s'appelle voir, ses principaux édifices: la cour Royale, la prison, les colléges, l'hôpital, constructions imposantes; les églises, gothiques pour la plupart, mais un peu basses. Plusieurs sont entourées de leurs cimetières, comme dans nos bourgs de Basse-Bretagne. La ville des bannis n'a pas encore voulu exiler ses morts. Nous sommes entré dans une église catholique, presque neuve, mais inachevée; au-dessus du maître-autel, nous avons lu cette inscription touchante : RESURREXIT SICUT DIXIT. Il est ressuscité, comme il l'a dit. Les rois et le peuple d'Angleterre s'étaient coalisés contre le Christ; ils avaient outragé son corps sacré, ils l'avaient crucifié, autant qu'il était en eux. Plus d'autels, plus d'hostie! Le Christ et son Église étaient morts; mais il est ressuscité! Et l'Église romaine, comme au temps des Apôtres, célèbre son éternelle victoire. Resurrexit sicut dixit. Alleluia!

Le monument qui attire le plus l'attention, c'est le château d'Élisabeth, bâti sur un îlot de rochers, à l'entrée de la baie, en face du port cette forteresse garde la ville et semble inspecter au loin les vaisseaux qui approchent. En 1551, sous le règne d'Édouard VI, époque où Jersey apostasia sur un ordre du sou verain, les cloches, les vases sacrés, les ornements de toutes les églises et chapelles de l'île, furent saisis et embarqués pour être vendus en France: les fonds réalisés devaient servir à la construction du château. Mais Dieu, qui commande aux vents et à la mer, en décida autrement; le vaisseau chargé de ces dépouilles sacriléges, sombra dans une tempête. L'origine du château remonte seulement au règne d'Élisabeth. Nous retrouvons encore ici le souvenir du royal exilé, Charles II, et d'un Carteret

digue de l'autre, sir Georges, fils de sir Philippe. Sous son commandement, le château d'Élisabeth fut la dernière des forteresses qui se soumit à Cromwel.

Un peu en avant du château, sur un écueil battu par les vagues, on aperçoit une humble cellule surmontée d'une croix. Lá vécut et mourut saint Hélier, l'ermite.

Nous extrayons de la Vie des Saints son admirable légende. « Hélier ou Hélibert naquit à Langres de parents païens (VI siècle). Devenu chrétien et aspirant à la perfection des anachorètes, il vint, par le conseil de saint Marcou (un autre pieux solitaire normand), dans l'ile de Jersey, où il ne trouva que trente habitants; il en guérit un qui était paralytique. Il fixa sa demeure sur un âpre rocher lavé de tous côtés par les eaux de l'Océan, et, pendant quinze ans, il y mena une vie plus angélique qu'humaine. Il y avait trois ans qu'il était là, lorsqu'il reçut la visite de saint Marcou. On dit que Notre-Seigneur, touché de l'admirable patience de son serviteur, lui apparut pendant qu'il était en oraison et lui annonça que dans trois jours il parviendrait à la récompense éternelle. En effet, le troisième jour, il vit venir des pirates, dont les barques entourèrent son rocher; il éleva la voix pour leur prêcher Jésus-Christ, mais ils le mirent à mort '. »

Le sang du martyr germa en quelque sorte sur ce roc stérile: bientôt l'on vit s'élever une riche abbaye à côté du pauvre ermitage. Attirés par la renommée et les miracles d'Hélier, les pèlerins affluèrent l'ile se peupla, et, sur les ruines de l'antique Césarée, Saint-Hélier grandit peu à peu. Le nom du glorieux conquérant a fait place à celui de l'obscur cénobite: les aigles de César s'enfuirent devant la croix.

C'est ainsi qu'à l'origine de presque toutes nos grandes villes d'Europe, ou retrouve la mémoire et les vertus d'un saint. Notre civilisation, si infatuée d'elle-même, doit tout au christianisme. La religion est le fondement des cités et des peuples. HIPPOLYTE LE GOUVELLO.

Vie des Saints, par le P. Giry, continuée jusqu'à notre temps par M. P. Guerin, 1. VI, p. 650.

UN BOURGEOIS DE PARIS

AUGUSTIN COCHIN, par le Cte de Falloux, de l'Académie française. Un beau volume in-18, avec portrait. Paris, librairie académique de Didier et Cie, 1874.

Les titres authentiques relatés dans l'Histoire de la ville de Paris, par Félibien, mentionnent un Cochin, échevin de Paris sous saint Louis, en 1268. Charles Cochin figurait en 1560 dans l'administration municipale de Paris. Quelques années plus tard, la lettre qui invitait aux funérailles de Claude-Denys Cochin contenait les titres suivants: « Messire Claude-Denys

Cochin, écuyer, doyen des anciens juges consuls, doyen des » anciens échevins de Paris, doyen des grands messagers jurés » de l'Université, doyen des quarante porteurs de la châsse de » sainte Geneviève, doyen des commissaires des pauvres, doyen » des marguilliers de la paroisse Saint-Benoît, etc. »

Henry Cochin fut, durant la première moitié du dix-huitième siècle, le plus illustre des avocats au parlement de Paris. L'un de ses fils, Jean-Denys Cochin, curé de Saint-Jacques du HautPas, fonda en 1780 un hospice pour les malades et les vieillards dont la première pierre fut posée par deux pauvres, choisis parmi les plus méritants. Cet hôpital avait reçu de son fondateur le nom des apôtres saint Jacques et saint Philippe; mais, en 1788, le conseil des hospices lui donna le nom d'Hôpital Cochin, qu'il porte encore.

Le grand-père d'Augustin Cochin fut maire du douzième arrondissement de Paris sous la Restauration, et signala son administration par plusieurs actes considérables. Louis XVIH

le créa baron, mais ni lui ni son fils ne portèrent ce titre, répétant tous deux : Mieux vaut être l'un des plus anciens parmi les bourgeois que l'un des plus récents parmi les nobles. Lorsqu'il se retira, en 1825, il eut pour successeur son fils, qui éleva à ses frais une maison d'instruction, fonda des salles d'asile, et pour en assurer le succès, fit pendant un an, en personne, la classe aux petits enfants. Son dévouement lors de la première invasion du choléra fut poussé si loin qu'une grande médaille lui fut décernée. Réélu sans interruption au conseil général et municipal de Paris, il fut envoyé à la chambre des députés par son arrondissement, en 1835, et ce mandat ne lui fut retiré que par la mort.

Tel fut le père, tels furent les ancêtres d'Augustin Cochin.

Il naquit à Paris, le 11 décembre 1823, dans une vieille maison de la rue Saint-Jacques, au sein de ce quartier tout plein du souvenir et des bienfaits de tous les siens. Élevé au collége Rollin, il en sortit en 1841, et se trouva presque au même moment, par la mort de son père, chef de famille à dix-sept ans. Son père était le bienfaiteur et l'appui de toutes les œuvres charitables du douzième arrondissement: Augustin Cochin les soutint, dès le premier jour, de son zèle, de sa précoce intelligence, de sa fortune, et les maintint dans les traditions qui avaient fait leur prospérité.

Il ne se borne pas à continuer les traditions paternelles ; il y ajoute, il agrandit chaque jour le champ où va s'exercer son infatigable charité. Avec quelques amis de collége, il fonde une conférence de Saint-Vincent de Paul dans le faubourg SaintJacques, et il en est élu président : il a à peine dix-huit ans. Un peu plus tard, il établit dans ce même faubourg Saint-Jacques une société de secours mutuels pour les ouvriers. Nommé encore président, il remplit cette modeste fonction jusqu'à la fin de sa vie, toujours fidèle, malgré les occupations les plus absorbantes, aux réunions mensuelles des associés. Il crée un patronage de jeunes apprentis et consacre à cette œuvre tous

ses dimanches. Ce n'est pas seulement un fondateur d'œuvres et un président, c'est surtout et avant tout un ami; il reçoit, il appelle chez lui les ouvriers, vient en aide à ceux qui sont dans le dénùment, place les fonds de ceux qui font des économies, éclaire de ses conseils ceux qui sont engagés dans quelque affaire difficile.

Lorsque Augustin Cochin faisait toutes ces choses, créait et soutenait toutes ces œuvres, il n'était encore qu'étudiant. Le voilà docteur en droit, avocat stagiaire au barreau de Paris. Un appel est fait à sa charité; il parle devant le jury et son début est un triomphe.« Maître Cochin, lui dit le président, vous portez un nom illustre au barreau de Paris, et vous le portez dignement. Recevez toutes les félicitations de la Cour, qui s'est estimée heureuse d'avoir à vous entendre. » Le ministère public ajoute: « Je m'associe volontiers à ces éloges : vous plaidez au début comme beaucoup de bons avocats ne le font pas au terme de leur carrière. »

Et cependant le descendant d'Henry Cochin ne sera pas avocat : son dévouement aux œuvres de charité et les exigences de ses études multiples le détournent peu à peu du barreau et bientôt l'en éloignent tout à fait.

En 1847, l'Académie des sciences morales et politiques met au concours l'Examen critique du système d'instruction et d'édu cation de Pestalozzi, considéré principalement dans ses rapports avec le bien-être el la moralité des classes pauvres. Augustin Cochin trouvait dans ce sujet un homme de cœur à faire connaître, un grand problème à résoudre et beaucoup de bien à développer. Ii concourut et publia son ouvrage en 1848, à la veille de la révolution du 24 février.

Au lendemain des journées de juin 1848, il fut nommé adjoint au maire du dixième arrondissement, où il avait alors fixé son domicile. L'année suivante, il était appelé par celui qui devait être son biographe, dans le sein de la commission chargée de préparer la loi sur la liberté d'enseignement. Il y trouva, à côté de M. de Falloux, M. de Montalembert, Mer Dupanloup, M. Cousin,

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