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Après quelques jours de travail dans les usines, ces ouvriers éprouvent de la gastralgie, des douleurs intestinales et une sensation pénible de gêne à la base du thorax. Bientôt ils accusent des symptômes d'irritation intestinale, de la diarrhée, des nausées et même des vomissements.

Sur la peau on observe encore des éruptions furonculeuses, qui cessent facilement par le changement de profession ou bien par l'emploi des topiques alcalins. En résumé, ces accidents sont encore mal connus, mais leur gravité est relative et leur thérapeutique se résume dans la médication alcaline. Voilà une nouvelle maladie professionnelle dont l'étiologie pourrait exercer utilement le talent d'observation des fonctionnaires employés à la surveillance officielle des établissements industriels (Ch. Éloy). Cette affection professionnelle peu connue et sur laquelle M. Stoquart vient de publier une note dans les Archives de médecine et de chirurgie pratiques de Belgique (octobre 1888) est une dermatite fréquente parmi les manouvriers qui travaillent le ciment de Tournai.

La dermatite des cimentiers.

Le ciment qui porte le nom de cette ville s'obtient avec un mélange de chaux, de verre pilé et d'eau et exerce une vive irritation sur la peau des doigts. Après trois ou quatre semaines on observe un soulèvement de l'épiderme, des vésicules et de véritables brûlures. Puis le pus se sécrète, forme des croûtes jaunâtres, et la dermatite se termine par une exfoliation épidermique.

Chez les ouvriers qui continuent leur travail, la maladie s'étend à la face dorsale de la main, et il en résulte une adénite épitrochléenne. Enfin, particularité sur laquelle M. Stocquart insiste, la face palmaire des doigts et de la main est respectée; il faut, d'après notre confrère belge, attribuer cette disposition de la dermatite à l'épaississement de l'épiderme palmaire toujours plus ou moins calleux. C'est là un fait sur lequel il y a lieu d'insister pour le diagnostic de cette forme spéciale de la dermatite professionnelle (Ch. Èloy).

Empoisonnement par la cocaïne, par le Dr HÆNEL (de Dresde). — Il n'est pas sans intérêt, aujourd'hui que les injections parenchymateuses de cocaïne sont devenues d'une pratique courante, de résumer le cas suivant, où le nouvel anesthésique a failli tuer une malade. Les empoisonnements légers par la cocaïne ne sont pas rares; d'un autre côté, on a employé volontiers des doses assez fortes, puisque Frankel (de Vienne) et Schmidt (de Francfort) ont injecté jusqu'à 08o,1 et 0o,2 de cocaïne sans avoir observé d'accidents fâcheux. Les injections de cocaïne sont fré

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quemment employées par les dentistes avant qu'ils ne procèdent à l'extraction d'une dent : c'est d'un fait de ce genre qu'il s'agit dans le cas du Dr Hænel.

Un dentiste avait fait à courte distance deux injections d'une solution de cocaïne dans la gencive d'une fille de dix-neuf ans, robuste, de bonne santé, mais peut-être un peu anémiée. Cette fille prétendait n'avoir pas mangé depuis deux jours et n'avoir pas dormi pendant deux nuits, à cause de ses douleurs dentaires; la quantité de cocaïne injectée était de 08,1125; la dent fut arrachéc sans douleur; la jeune fille se rinça la bouche, puis elle pâlit, tomba et fut prise de convulsions interrompues par de courtes pauses; on lui appliqua des compresses froides sur la tête, on employa le nitrite d'amyle, mais sans succès. Quand le Dr Hænel arriva auprès de la malade, elle était couchée sans connaissance, geignant et cyanosée, le tronc et les membres étaient agités par des convulsions cloniques violentes, qui durèrent cinq heures, avec des intermittences de plus en plus longues; les muscles du visage ne participaient pas à ces mouvements convulsifs; les pupilles étaient modérément dilatées, elles ne réagissaient pas; il n'y avait pas d'exophtalmos. La peau était chaude et sèche; la température prise à l'aisselle à la fin de la crise était de 38,2. Le pouls, impossible à compter d'abord, eut, après, une fréquence de 176; il y avait 44 respirations à la minute.

Quand les convulsions cessèrent, la malade resta encore deux heures sans connaissance : lorsqu'elle reprit ses sens, elle déclara avoir parfaitement eu conscience de la seconde injection, mais ne se souvenir aucunement de ce qui avait suivi; elle ne pouvait ni marcher, ni se tenir debout, ni se lever; elle ne pouvait s'asseoir et s'accroupir, était incapable de remuer les bras, de serrer la main, etc.; elle éprouvait de la photophobie, de l'anesthésie de la muqueuse des fosses nasales et de la bouche, avait perdu l'odorat et le goût; la sensibilité de la peau était diminuée; le pouls était à 132, la respiration à 28.

Les jours suivants il y eut de la cardialgie intense, de l'anurie qui dura vingt-quatre heures, de l'insomnie pendant trente heures; pendant quatre jours l'anorexie fut complète; la cardialgie dura six jours, et ce n'est qu'au bout de quarante heures que la malade put marcher, tout en chancelant.

Les compresses froides sur la tête, le nitrite d'amyle, l'opium à hautes doses n'avaient produit aucun effet; la malade prétend n'avoir jamais eu de convulsions; le cœur et les organes sont sains: les règles étaient normales. L'empoisonnement n'eut pas d'autres suites.

Les phénomènes d'intoxication observés sont corroborés par les expériences faites sur les animaux; ils doivent, en tous cas, rendre les médecins prudents dans l'administration d'un remède à la mode; il faudrait en tous cas fixer une dose maxima, que l'on ne devrait pas dépasser. Le Dr Hænel pense que l'on pourrait injecter jusqu'à 0,03, mais jamais plus. (Berliner Klinische Wochenschrift, 29 octobre 1888.) Dr R...

REVUE DES LIVRES

Étude sur la situation hygiénique des ouvriers en Russie, par Mme ALEXANDRE TKATCHEFF, docteur en médecine. Paris, 0. Doin, 1888. On est pris, en lisant la thèse de madame Tkatcheff, d'un immense sentiment de pitié pour les populations ouvrières de Russie. Tout leur manque à la fois : elles vivent dans l'encombrement, dans la saleté, dans une promiscuité déplorable; elles travaillent dans des conditions d'insalubrité exceptionnelles, elles sont mal nourries et mal payées. Nos ouvriers se plaignent amèrement de la situation qui leur est faite : ils vivent dans un Éden, en comparaison de leurs camarades moscovites.

Il y a actuellement en Russie, la Finlande et les provinces d'Asic exceptées, 33,815 usines ou fabriques qui occupent 932,000 ouvriers et mettent tous les ans 2 milliards de francs en circulation. Malgré l'accroissement incessant de l'industrie, il n'existe pas en Russie de législation spéciale régissant les droits et les devoirs mutuels des patrons et des ouvriers.

Il y a des règlements spéciaux pour certaines industries, mais ces règlements ne sont pas appliqués. Le gouvernement, les municipalités ont cherché à remédier à cet état de choses; des commissions ont été chargées d'élaborer des projets de loi, elles ont été unanimes à réclamer des réformes; mais la situation est restée la même.

La grande masse des ouvriers russes est formée par les paysans. La terre ne leur rapportant pas suffisamment, ils émigrent vers les villes. Madame Tkatcheff divise les ouvriers russes en permanents ou en temporaires, suivant qu'ils quittent définitivement la campagne ou qu'ils ne vont travailler dans les usines que pendant quelques mois de l'année, afin de gagner le complément des ressources que la terre ne peut leur fournir. Là où le sol est riche, l'émigration est moindre; plus la moyenne de la récolte est faible,

plus l'émigration augmente. Elle se fait à la fin de l'automne, après les récoltes. La plupart des émigrants ont été embauchés d'avance par des racoleurs qui voyagent à travers les villages pour le compte de telle ou telle usine. L'engagement se fait devant le maire du village; les prix sont débattus et quand le contrat est signé, le racoleur remet des arrhes, souvent la moitié du salaire total; mais cette somme est gardée par la commune pour le payement des impôts. Le contrat rend l'ouvrier esclave de l'usine; au jour dit, il faut qu'il soit rendu à destination. Le chemin de fer emporte ces malheureux aux frais du fabricant, parqués dans des wagons à bestiaux, surveillés et soumis à l'appel comme des forçats.

Les voilà à l'usine : quelle différence avec leur vie antérieure! Le minimum de la journée du travail est de 11 ou 12 heures. Dans certaines usines, la journée est de 13, 14, 15, 16 et même 18 heures! (Ces chiffres s'appliquent aux usines du département de Moscou.) Le repos est donc parcimonieusement mesuré aux ouvriers, qui ont souvent 2 ou 3 kilomètres à faire pour se rendre à leur travail. Dans beaucoup d'usines les ouvriers n'ont qu'un jour de repos par mois.

A ce surmenage physique viennent s'ajouter les influences du milieu. Les ateliers sont mal ventilés et trop exigus pour le nombre d'hommes qui y travaillent; l'air y est chargé de vapeurs délétères; aucune précaution n'y est prise pour diminuer les conditions nuisibles des opérations; les locaux sont sales; ce sont des foyers permanents d'infection. Aussi les maladies font-elles rage sur la population ouvrière. Les maladies professionnelles (fabriques d'allumettes, de produits chimiques, d'étamage de glaces, tissages, etc.) sévissent avec une rigueur exceptionnelle; l'anémie, la tuberculose, les affections contagieuses de toutes sortes sont la règle; la mortalité est excessive.

En dehors des maladies spéciales, les ouvriers sont sous le coup d'accidents par les machines, les explosions de chaudières, par infractions aux règlements sur la construc ion des ateliers, par insuffisance des moyens de prévention contre les incendies. Les causes de ces accidents sont le manque de culture technique, la négligence, la rapacité des fabricants et le défaut de surveillance administrative. Les fabricants, lorsqu'il se produit un accident dans leur usine, ne donnent en général qu'une indemnité dérisoire.

Les femmes et les enfants sont employés comme les hommes; chez eux les ravages, causés par le séjour dans ces ateliers infects et encombrés, sont bien plus effrayants encore.

L'auteur étudie ensuite les ouvriers en dehors de leur travail; dans les villes, ils logent dans des asiles de nuit (Saint-Pétersbourg

possède un asile de nuit pour 10,000 personnes; c'est un vrai cloaque), à moins qu'ils n'habitent les logements d'ouvriers dans les fabriques, grandes casernes divisées en dortoirs où tous couchent en commun, sans distinction d'âge et de sexe, dans la plus grande promiscuité et la plus grande saleté. Dans une usine du département de Moscou, un dortoir de 6m,40 sur 5,70 contenait quatrevingt-seize hommes sur des couchettes superposées comme celles d'un bateau. Ces dortoirs sont remplis d'ordures, on y prépare les aliments. MM. Erisman et Pogogni décrivent même des chenils, caisses en bois de 1,40 de long, 1,05 de haut, 1,05 de large, avec une ouverture de 60 centimètres de haut et de 11 de largeur; ce sont des logements d'été, installés dans les corridors de l'usine, et on y loge deux ou trois ouvriers par boîte.

La nourriture est mauvaise et peu abondante, et l'ouvrier est aussi mal vêtu qu'il est mal logé et mal nourri. En peut-il être autrement quand on voit qu'à Moscou, où l'existence est chère, un ouvrier gagne de 28 à 40 francs par mois? les femmes reçoivent de 24 à 16 francs par mois, mais souvent aussi 8 francs seulement. Les ouvriers s'endettent vis-à-vis des patrons, et leur situation précaire est encore aggravée par les amendes qu'on leur impose pour retard à l'appel, absence, ivresse, insoumission, négligence, infraction à la propreté (!) Ces amendes sont si excessives et imposées si brutalement que souvent elles déterminent des cas de révolte chez les ouvriers.

Une loi ordonne que toute usine employant plus de 100 ouvriers ait un médecin attaché à l'établissement; théoriquement, c'est bien; en pratique c'est impossible, car il n'y a que 16,000 médecins en Russie: en général les ouvriers malades sont mal soignés, la plupart du temps le patron les paye, les remercie et ne s'occupe plus de ce qu'ils deviennent. La syphilis fait des progrès incessants en Russie; la promiscuité dans les classes ouvrières y est pour beaucoup. La mortalité générale est de 36,8 p. 1,000 en Russie, elle est donc bien supérieure à celle de tous les autres pays de l'Europe.

Je regrette de ne pouvoir m'étendre davantage sur le travail de madame Tkatcheff; j'aurais voulu la suivre dans l'étude du travail des femmes et des enfants; je dirai seulement que les femmes et les enfants ne sont pas protégés, qu'ils participent au travail nocturne, qu'il n'y a pas de minimum d'âge pour l'entrée à la fabrique, et que la durée d'heures de travail est la même pour les enfants et pour les adultes; la femme enceinte ne jouit d'aucune protection; l'enfant ne peut recevoir d'instruction.

Il faut du courage pour révéler une situation pareille : félicitons

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