Page images
PDF
EPUB

qui déjà l'avait occupé plusieurs années. A peine eut-il conduit le récit dans la Revue jusqu'à la chute de l'empire, qu'il recommença son travail tout entier, entreprit de nouveaux voyages et de nouvelles recherches, et se mit à écrire une nouvelle Histoire romaine à Rome. Au premier récit, dont ne furent conservées qu'un très-petit nombre de pages, il substituait peu à peu une rédaction beaucoup plus développée, y donnant une part plus grande aux détails de l'histoire, aux arts, et particulièrement à l'archéologie. La mort surprit M. Ampère pendant l'une des veilles laborieuses qu'il employait à l'achèvement de cette seconde rédaction. Depuis plusieurs mois déjà, il préparait le tome premier de la seconde partie de son œuvre, intitulée: l'Empire romain à Rome; quatre chapitres en étaient écrits, et il allait, avec le cinquième, commencer le récit du règne de Tibère, lorsque, dans la nuit du 26 au 27 mars 1864, il fut enlevé à ses travaux et à ses amis. »

L'impression de l'Empire romain, que M. Servois a été chargé de préparer, a été faite conformément au vou exprimé par M. Ampère dans son testament: les quatre chapitres inédits sont publiés dans le premier volume, qu'ils remplissent presque entièrement; les suivants ont été extraits de la Revue des Deux-Mondes, où ils ont paru en 1856 ct 1857. Ainsi s'explique la juxtaposition, dans les deux volumes de V'Empire romain à Rome, de deux parties inégalement développées.

La dernière révision de l'auteur ayant manqué aux quatre chapitres inédits, M. Servois a dû« inscrire en leur place quelques noms laissés en blanc, compléter ou contrôler une partie des renvois et des citations, modifier çà et là ce qui, de toute évidence et de toute nécessité, exigeait une modification. » Ces légères retouches ont été faites avec beaucoup de soin, de réserve et de goût, et il était impossible de mieux remplir une tâche rendue encore plus ardue par les difficultés de lecture d'un manuscrit où texte et notes étaient, en quelque sorte, jetés pêle-mêle.

Ce que j'admire le plus dans le livre de M. Ampère, c'est le talent pour ainsi dire magique avec lequel il a rajeuni un sujet si souvent traité. On croirait en vérité lire l'histoire romaine pour la première fois, tant il a mis d'animation et d'intérêt dans tous ses récits, tant il a examiné toutes choses à un point de vue nouveau, tant il s'est le premier habilement aidé, pour expliquer les textes, de l'examen des lieux, des monuments, des statues et des médailles. Peu d'archéologues, on ne l'ignore pas, connurent jamais aussi bien que M. Ampère cette ville de Rome, dont il fut si longtemps l'explorateur non moins sagace que patient; et lui qui appelle (t. I, p. 246) un de ses émules les plus zélés « le presque infaillible M. Dyer, » ne s'est guère trompé non plus,même quand il a combattu des antiquaires tels que Nibby et Canina. Cette merveilleuse connaissance de la vieille Rome, de ses temples, de ses places, de ses rues, de ses ruines, de tous les objets d'art retrouvés

dans son enceinte, lui a permis d'éclairer d'une lumière toute particulière les pages de l'histoire romaine que l'on croyait connaître le mieux. Pour Jules-César, pour Auguste et pour tous ses successeurs jusqu'à Constantin; pour tous les personnages qui jouèrent quelque grand rôle politique ou militaire, depuis Brutus jusqu'à Bélisaire; pour toutes les femmes célèbres mêlées à l'histoire de Rome depuis Tullie, la gracieuse fille de Cicéron, jusqu'à Zénobie, cette reine de Palmyre dont Trebellius Pollion a célébré l'incroyable beauté; pour tous les écrivains qui ont été la gloire de l'Italie, depuis Salluste jusqu'à Stace et Juvénal, que de rapprochements curieux sans être bizarres, que d'aperçus ingénieux sans être subtils, que de remarques inattendues sans être paradoxales, en un mot que de précieuses révélations!

Après avoir rendu pleine justice au beau livre de M. Ampère, il est du devoir de la critique de relever certaines petites taches dont il faut dire, avec cet Horace dont l'auteur nous a si gracieusement parlé (t. I, p. 354-369): Non ego paucis offendar maculis. Quand M. Ampère (t. I, p. 311) s'exprime ainsi : « Souvent l'amour des lettres s'est associé à la cruauté, témoin Néron, Childéric et cet autre proscripteur, Charles IX, qui faisait aussi de beaux vers, » il oublie que l'authenticité des beaux vers du protecteur de Ronsard a été constestée pour de bonnes raisons. Quand (p. 432) il traduit la phrase de Suétone sur Tibère écrivain : Affectatione et morositate nimia obscurabat stylum, par: L'obscurité assombrissait son style, l'interprétation laisse quelque chose à désirer, et il me semble qu'il aurait mieux valu dire: I obscurcissait son style à force de recherches et de bizarrerie. Dans le récit de la mort de César (p. 65), M. Ampère ne me paraît pas avoir assez tenu compte des importantes pages de Nicolas de Damas, ces pages, dont M. Prosper Mérimée a si bien eu le droit de dire (Mélanges historiques, p. 369): « Toute cette relation a un caractère de vérité qui commande la créance; rien d'arrangé pour l'effet; mais tous les traits dénotent le bon sens et l'observation de l'historien. Ces qualités, à mon avis, distinguent à un haut degré Nicolas de Damas. Par exemple, M. Ampère n'aurait pas dû, malgré le silence de ce contemporain de JulesCésar, reproduire les très-douteux détails fournis par des écrivains postérieurs, tels que Salluste et Plutarque. Nicolas de Damas ne mentionne ni la demande adressée à César par le conjuré Cimber de la grâce de son frère, qui était banni; ni le cri poussé en langue grecque par sa victime, à qui Brutus portait un coup terrible : « Et toi aussi, mon enfant ! »> ni le geste que César, « pudique pour la première fois dans la mort,» aurait fait en s'enveloppant de sa toge pour tomber décemment. PH. TAMIZEY DE LARROQUE.

Les Chrétiens à la cour de Dioclétien, par M. l'abbé E. DARAS. Paris, Régis Ruffet, 1867. In-12 de vv-436 pages.

Ce livre présente un tableau de la persécution de l'Église sous Dioclétien, composé d'après le précieux témoignage des Actes des Martyrs, c'est-à-dire d'après des documents historiques rédigés sur des notes contemporaines ou d'après les souvenirs de témoins. M. l'abbé Daras a eu l'heureuse pensée de grouper les récits qui se rapportaient aux saints vivant dans le même temps, dans les mêmes lieux, et il a ainsi esquissé la lutte de Dioclétien contre sa famille, ses amis, ses patriciens et ses officiers les plus chers. La première partie du récit se passe à Rome. Dans le palais même de Dioclétien, S. Sébastien, capitaine de la cohorte prétorienne, visitait les prisons pour encourager les martyrs; S. Castulus, intendant des appartements royaux, cachait le pape S. Caius et les principaux chrétiens sous le toit même de l'empereur; S. Claude, S. Maxime, son frère, étaient les proches parents de Dioclétien; enfin, la femme de Dioclétien était une sainte, Ste Sérène, et sa fille une autre sainte, Ste Artémie. La seconde partie du récit nous transporte à Nicomédie, où Dioclétien s'était retiré lorsque les artifices de Galère l'entraînèrent à renouveler la persécution contre les chrétiens qui, cette fois encore, remplissaient son palais. M. l'abbé Daras, en fondant ensemble les récits de divers Actes de Martyrs, a peu accordé à l'imagination et n'a guère eu qu'à traduire pour retracer les scènes les plus dramatiques. Une foule de traits de courageuse abnégation, de généreux dévouement, se trouvent ainsi rappelés et, on peut le dire, révélés, tant l'ignorance sur ce point est HENRI DE L'EPINOIS.

commune.

OEuvres de Gerbert, pape sous le nom de Sylvestre II, collationnées sur les manuscrits, précédées de sa biographie, suivies denotes critiques et historiques, par A. OLLERIS, doyen de la faculté des lettres de Clermont. Clermont-Ferrand, Thibaud; Paris, Dumoulin. In-4 de ccv-615 p. (Publication de l'Académie de Clermont.)

Au sortir du xe siècle, où, sauf dans l'Allemagne, contenue par la main puissante des Othons, tout est confusion et anarchie, où, au milieu d'une corruption presque générale disparaissent les derniers débris de la société carlovingienne, en même temps que surgissent avec effort les germes d'une nouvelle organisation, à l'approche de ce mémorable an mil, apparaît comme un fanal pour les âges qui vont suivre une brillante pléiade de souverains pontifes, grands par le génie, la haute sagesse, les vertus les plus mâles. Parmi eux, un surtout intéresse vivement la curiosité de nos jours, friande de faits rares et piquants c'est le fameux Gerbert. Par son caractère ondoyant, déjà tout moderne et foncièrement français, par sa vie tourmentée, par l'éclat de son esprit, il mérite en effet une place à part.

Depuis une trentaine d'années, une suite de travaux remarquables ont été publiés sur Sylvestre II et ses écrits; ils viennent d'être dignement couronnés par l'édition excellente et définitive que M. Olleris nous donne des OEuvres de Gerbert. S'aidant avec tact et mesure des recherches de ceux qui ont touché à son sujet (et il les connaît tous, les Français comme les étrangers), M. Olleris a fait preuve d'un sens critique aussi sagace que judicieux dans l'établissement du texte de son auteur: il a consulté avec un soin minutieux les manuscrits disséminés dans toute l'Europe. Il a apporté de nouvelles et précieuses lumières dans la question si obscure de la chronologie des Lettres. Dans la partie des œuvres de Gerbert touchant les mathématiques, qui s'est accrue d'un traité, inédit jusqu'ici, la Regula de abaco computi, les difficultés relatives à l'introduction des chiffres prétendus arabes ont été élucidées avec bonheur; en cette matière, M. Olleris a été secondé par un savant des plus compétents, M. Michel Chasles, de l'Académie des sciences.

Enfin, dans une biographie de Gerbert, aussi complète que substantielle, et écrite d'un style sobre, grave, sans recherche, mais non sans effets, M. Olleris a résumé d'une manière attachante les travaux de ses devanciers, les rectifiant sur plusieurs points importants; il a mis dans leur vraie lumière les mérites du premier pape français, sans rien déguiser des faiblesses auxquelles une ambition, toujours noble du reste, entraîna le moine d'Aurillac.

Ainsi il est bien prouvé maintenant que Gerbert, en fait de sciences, n'a rien emprunté aux Arabes, dont il ne fréquenta jamais les écoles. Il est également établi que la renaissance des lettres qui, au x1° siècle, succède à la barbarie du x°, que le puissant mouvement intellectuel qui éclata au x1e, n'ont pas d'autre point de départ que l'enseignement et les travaux de Gerbert. « Ces titres, dit avec raison M. Olleris, suffiraient pour immortaliser son nom, pour le faire compter parmi les hommes d'élite qui ont le plus contribué aux progrès de la civilisation. >>

Mais la science et l'érudition que Gerbert avait puisées dans les livres n'avaient rien ôté à la souplesse, à l'habileté de son esprit, qui fit de lui un diplomate de premier ordre. M. Olleris a très-bien exposé son rôle actif et prépondérant dans les événements qui conduisirent au trône la dynastie de Hugues Capet. Il donne, en passant, le coup de grâce à la théorie d'Augustin Thierry, qui attribue l'avénement des Capétiens à une révolution provoquée par la haine de la race vaincue ou gauloise contre la race germanique ou conquérante.

Vient l'élection de Gerbert au siége de Reims. Après avoir défendu par de bonnes raisons l'authenticité du récit de Gerbert sur le concile de Saint-Basle, M. Olleris combat avec le même succès cette idée de deux historiens allemands, Wilmans et Gfrörer. que Hugues Capet

avait voulu, même au prix d'un schisme, établir en France une Eglise nationale, et que Gerbert était prêt à le seconder dans l'espérance d'obtenir le patriarcat.

Tout en notant dans la conduite politique de Gerbert les traits qui témoignent que, s'il avait su garder une pureté de mœurs exemplaire, il avait cédé à l'exemple de l'égoïsme peu scrupuleux de ses contemporains, M. Olleris ne manque pas de signaler que si Gerbert rechercha le pouvoir, ce fut toujours dans le but de faire le plus de bien possible.

Aussi le voyons-nous, dès qu'il a ceint la tiare, nourrir les projets les plus élevés. «Il songeait à ranimer dans le clergé le véritable esprit ecclésiastique, à créer un saint empire, à faire de Rome de nouveau la capitale du monde, la résidence du pape et de l'empereur. Son regard pénétrant embrasse toute la chrétienté, franchit même ses limites. Il voit le présent, il devine l'avenir. Arrêter les invasions des barbares et les civiliser par la foi; réunir en un seul peuple dans le sein de l'Église toutes les populations éparses de la chrétienté; les armer contre l'islamisme, pour lui arracher le tombeau du Christ, concilier le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, donner le gouvernement au plus digne, tel est l'idéal qu'il lègue à l'avenir. Et au milieu de ces vastes conceptions, il répandait ses revenus dans le sein des pauvres et des malheureux, il n'enrichissait point sa famille. »

En élevant un si beau monument à la mémoire de l'homme extraordinaire qui frappa les imaginations au point que la légende en fit bientôt un puissant magicien, M. Olleris a mérité la reconnaissance de tous ceux qui s'intéressent à la gloire de notre pays, et qui ont le culte des hommes qui honorent l'humanité.

ERNEST GREGOIRE.

Histoire de l'Eglise catholique en France, d'après les documents les plus authentiques, depuis son origine jusqu'au concordat de Pie VII; par Mgr Jager, camérier secret de Sa Sainteté, etc. Tome XIV. Paris, Adrien Le Clere, 1867. In-8 de 518 pages. Prix: 3 fr. le vol.

Cet ouvrage, qui doit avoir de 18 à 20 volumes et dont le quatorzième vient de paraître, n'est pas entièrement nouveau, tant s'en faut. L'auteur a pris pour fond l'œuvre du P. Longueval, connue sous le titre d'Histoire de l'Église gallicanne; il s'est proposé de la corriger, de la modifier dans son esprit, et de la continuer jusqu'au concordat du pape Pie VII; entreprise très-délicate et difficile, car le travail du P. Longueval et de ses continuateurs, les PP. Fontenay, Brumoy et Berthier, laissait beaucoup à désirer au point de vue des doctrines, et, partout, on y rencontrait les traces des étroits préjugés du temps où il a été composé. Le respectable correcteur de ce grand ouvrage a, trèscertainement, dans les volumes publiés jusqu'ici de la nouvelle édi

« PreviousContinue »