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un peu sévère pour l'ancien régime, pour la Restauration, un peu admirateur du temps présent; mais ce sont là de ces opinions libres qui n'altèrent pas l'impartialité de l'histoire. J'aurais seulement désiré, soit dans les éloges soit dans le blâme, trouver chez M. Levasseur un ton plus accentué, un peu plus de fermeté dans les jugements. On pourrait souhaiter également plus d'animation dans le style et une manière plus vive de présenter les événements.

R. DE LA SERRE.

L'Homme avant l'Histoire, étudié d'après les monuments et les costumes retrouvés dans les différents pays de l'Europe, suivi d'une description comparée des mœurs et des usages des sauvages modernes, par sir JOHN LUBBOCK. Traduit de l'anglais par EĎ. Barbier. Paris, Germer Baillière, 1868. In-8 de 312 p. avec 156 figures intercalées dans le texte. Prix: 10 fr.

Il y a un siècle à peine que la géologie a commencé à prendre son rang parmi les sciences naturelles. Les recherches géologiques appliquées à l'étude de l'homme primitif sont plus récentes encore. Une trentaine d'années, tout au plus, s'est écoulée depuis que M. Boucher de Perthes a signalé dans le bassin de la Somme l'existence d'objets en silex, travaillés de main d'homme et associés à des ossements d'animaux appartenant à des espèces éteintes. Pendant assez longtemps, ces découvertes passèrent inaperçues, ou du moins firent peu de sensation. Le monde savant s'en tenait à l'opinion de Cuvier, qui regardait comme dénuée de fondement l'hypothèse de la contemporanéité de l'homme et du mammouth ou du rhinocéros à narines cloisonnées. Cependant les recherches entreprises en Belgique, sur plusieurs points de la France et de l'Angleterre, contraignirent bientôt les géologues à modifier leur ancienne manière de voir.

Bien que les vestiges de l'homme primitif n'aient encore été retrouvés que dans un nombre fort restreint de localités, que les fouilles opérées dans le but de les ramener à la lumière se soient étendues seulement sur une partie de l'Europe occidentale et quelques portions isolées du nouveau monde, elles n'en ont pas moins amené des résultats considérables. Plusieurs ouvrages ont déjà paru, destinés à les faire connaître au public. Parmi ces derniers, nous citerons celui de Sir John Lubbock. C'est un des mieux faits qui aient été publiés jusqu'à ce jour et des plus complets. Il a de plus l'avantage de n'être point écrit dans un esprit hostile aux vérités révélées, et nous devons savoir d'autant plus de gré à l'auteur d'une telle disposition d'esprit, qu'elle ne se rencontre pas toujours dans les œuvres des géologues. Commençant par l'époque la plus rapprochée de nous, pour remonter le cours des siècles, l'auteur étudie en premier lieu l'emploi du bronze dans l'antiquité. Il nous rapFÉVRIER 1868.

Une autre révolution qui se produit dans le même temps vient des rapports étroits qui s'établissent entre la science et le travail : la science devient industrielle, et l'industrie cherche à devenir savante ; cette dernière y gagne des procédés nouveaux, des méthodes plus perfectionnées, des instruments, des agents de travail, qu'elle ne connaissait pas. L'influence de l'art sur notre industrie est beaucoup moins frappante; néanmoins le tableau des variations du goût dans l'architecture, dans les industries de luxe, les étoffes, l'ameublement, devait trouver sa place dans cette histoire du travail. Ce sujet touche aussi à la question de l'instruction et de l'éducation des ouvriers.

Ceci nous amène à parler de la partie la plus importante et la plus considérable de l'ouvrage : l'histoire des personnes, le tableau de la condition matérielle et morale des classes ouvrières. Quant à la condition matérielle, l'auteur ne doute pas (et sa conclusion ne sera guère contestée) qu'elle ne se soit améliorée; l'étude des mœurs populaires actuelles, comparées avec celles des générations précédentes, donne le droit d'affirmer que les classes ouvrières, aujourd'hui, vivent mieux que par le passé, plus largement, avec plus de besoins, mais par suite plus de jouissances. Une grande ombre, toutefois, existe à ce tableau: c'est le paupérisme, les crises et les chômages.

Quant à la condition morale, la question est bien plus complexe ; elle en renferme plusieurs, dont chacune mériterait une histoire spéciale. Là, en effet, se place le tableau, nécessairement abrégé, de ces fameux systèmes que vit éclore la fin de la Restauration, et qui semblent aujourd'hui, à nous qui les jugeons de loin et de sang-froid, si monstrueux et si étranges. Toutes les utopies des socialistes, SaintSimon, Fourrier, Proudhon, Cabet, ont leur place dans l'Histoire des classes ouvrières, ainsi que le lamentable dénoûment qu'elles ont eu dans les ateliers nationaux et dans la guerre civile du mois de juin 1848. Là aussi, quoique dans un autre ordre d'idées, doit se placer ce qui concerne le patronage et l'assistance, sous toutes leurs formes les sociétés d'épargne et de secours mutuels, les caisses de retraite, les fondations charitables, les associations ouvrières; puis la question de la moralité du peuple, toujours aux prises avec deux grands ennemis, l'ivrognerie et la débauche. Enfin c'est là aussi que se place la grande et capitale question de l'instruction populaire, dont l'importance a toujours été croissant parmi nous avec le progrès de la démocratie...

Un mot maintenant sur les tendances de l'auteur et sur sa façon d'écrire. Ses principes en matière d'économie et de politique sont ceux qui sont aujourd'hui admis par les économistes comme principes scientifiques. Il professe le respect de la liberté des échanges et du travail, la haine de la réglementation inutile, l'estime de tout ce qui forme l'esprit et élève le cœur du peuple. Il rend pleine justice en particulier aux efforts tentés en ce sens par la charité catholique. Il est peut-être

un peu sévère pour l'ancien régime, pour la Restauration, un peu admirateur du temps présent; mais ce sont là de ces opinions libres qui n'altèrent pas l'impartialité de l'histoire. J'aurais seulement désiré, soit dans les éloges soit dans le blâme, trouver chez M. Levasseur un ton plus accentué, un peu plus de fermeté dans les jugements. On pourrait souhaiter également plus d'animation dans le style et une manière plus vive de présenter les événements.

R. DE LA SERRE.

L'Homme avant l'Histoire étudié d'après les monuments et les costumes retrouvés dans les différents pays de l'Europe, suivi d'une description comparée des mœurs et des usages des sauvages modernes, par sir JOHN LUBBOCK. Traduit de l'anglais par ED. BARBIER. Paris, Germer Baillière, 1868. In-8 de 512 p. avec 156 figures intercalées dans le texte. Prix: 10 fr.

Il y a un siècle à peine que la géologie a commencé à prendre son rang parmi les sciences naturelles. Les recherches géologiques appliquées à l'étude de l'homme primitif sont plus récentes encore. Une trentaine d'années, tout au plus, s'est écoulée depuis que M. Boucher de Perthes a signalé dans le bassin de la Somme l'existence d'objets en silex, travaillés de main d'homme et associés à des ossements d'animaux appartenant à des espèces éteintes. Pendant assez longtemps, ces découvertes passèrent inaperçues, ou du moins firent peu de sensation. Le monde savant s'en tenait à l'opinion de Cuvier, qui regardait comme dénuée de fondement l'hypothèse de la contemporanéité de l'homme et du mammouth ou du rhinocéros à narines cloisonnées. Cependant les recherches entreprises en Belgique, sur plusieurs points de la France et de l'Angleterre, contraignirent bientôt les géologues à modifier leur ancienne manière de voir.

Bien que les vestiges de l'homme primitif n'aient encore été retrouvés que dans un nombre fort restreint de localités, que les fouilles opérées dans le but de les ramener à la lumière se soient étendues seulement sur une partie de l'Europe occidentale et quelques portions isolées du nonveau monde, elles n'en ont pas moins amené des résultats considérables. Plusieurs ouvrages ont déjà paru, destinés à les faire connaître au public. Parmi ces derniers, nous citerons celui de Sir John Lubbock. C'est un des mieux faits qui aient été publiés jusqu'à ce jour et des plus complets. Il a de plus l'avantage de n'être point écrit dans un esprit hostile aux vérités révélées, et nous devons savoir d'autant plus de gré à l'auteur d'une telle disposition d'esprit, qu'elle ne se rencontre pas toujours dans les œuvres des géologues. Commençant par l'époque la plus rapprochée de nous, pour remonter le cours des siècles, l'auteur étudie en premier lieu l'emploi du bronze dans l'antiquité. Il nous rapFÉVRIER 1868.

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pelle à ce sujet qu'Hésiode déclare l'usage du fer récent chez ses compatriotes. Homère associe ce dernier métal aux substances rares et précieuses, telles que l'or et l'argent. On peut conclure de ces faits que, vers le vir ou le 1x siècle avant notre ère, les Grecs ne faisaient que sortir de la période du bronze. L'on a donc toute raison de ne point faire remonter l'usage du fer dans notre Occident au delà de l'époque de la guerre de Troie. D'un autre côté, les relations étaient dès lors actives et fréquentes entre la Grèce et l'Orient. Si les Phéniciens avaient possédé ce métal depuis longtemps, ils n'auraient pas certainement attendu l'époque de Salomon pour en répandre l'usage dans leurs colonies méditerranéennes. Dans le nord et l'ouest de l'Europe, ce métal n'apparaît que beaucoup plus tard. Chez les Scandinaves, on ne trouve de traces de son emploi que vers le commencement de notre ère.

L'âge de bronze a donc duré fort longtemps. Autant que l'on en peut juger par l'épaisseur des couches du limon où se trouvent des armes ou ustensiles de bronze, les commencements de cette période devraient remonter au plus tôt à quinze ou vingt siècles avant notre ère. Elle fut précédée d'une époque où le métal fort rare, peut-être même complétement inconnu, était remplacé par la pierre polic. Cependant l'on a retrouvé, dans une des couches dites de la pierre polie, des cités lacustres de la Suisse, deux ou trois petits objets, soit en bronze, soit en or. En tout cas, l'homme connaissait dès ce temps-là la plupart des animaux domestiques, ainsi que la culture du blé, et la faune sauvage elle-même différait peu de ce qu'elle est aujourd'hui. Le zubr ou urus, qui hantait encore les forêts de la Germanie au temps de César, n'existe plus, il est vrai, à l'état sauvage; mais plusieurs zoologistes voient en lui la souche, le premier ancêtre de notre boeuf domestique. Les progrès de la civilisation et ceux de l'agriculture amenèrent sa destruction en tant qu'espèce sauvage. La même cause parait devoir entraîner sous peu la disparition du castor et du bison d'Amérique, si l'on ne s'avise de recueillir les derniers survivants de ces deux races dans nos jardins d'histoire naturelle.

Toutefois cette période de la pierre taillée, dont les débuts peuvent être reportés avec un degré suffisant de probabilité à trente-cinq siècles avant notre ère, n'est pas cependant celle où l'homme commence à habiter l'Europe. Le pasteur de l'âge de la pierre polie a été précédé par une population faisant usage d'instruments en os, en corne de renne ou en pierre simplement taillée. L'homme de cette époque vivait exclusivement de chasse ou de pêche, ne connaissait l'usage d'aucun animal domestique, sans excepter le chien. Le seul progrès un peu marquant qu'il eût fait dans la voie de l'industrie, c'était d'en être arrivé à connaitre l'art du potier. Encore la cuisson de l'argile ne paraitelle pas avoir été pratiquée chez toutes les tribus primitives. L'indi

gène de l'Europe devait donc, à plus d'un égard, se rapprocher de l'Australien ou du naturel de la terre de feu.

On a beaucoup discuté sur la durée qu'il convient d'attribuer à cette période de la pierre taillée. Les géologues partisans des causes lentes lui octroient libéralement plus de trois mille siècles, et sir J. Lubbock serait assez disposé à accepter ce calcul; d'autres plus modérés se contenteraient de trente mille ans. Heureusement il est ici bien permis de douter, et les deux chiffres que nous venons de citer ne sont pas plus certains l'un que l'autre. L'épaisseur des couches ne fournit plus un élément de calcul suffisant, dès que l'on admet un changement de climat. Les hivers étant beaucoup plus rigoureux alors qu'ils ne le sont actuellement (ce que prouve l'abondance des débris de renne), la fonte des neiges devait engendrer des cours d'eau supérieurs en puissance et en activité à ceux de nos jours. Les dépôts, par conséquent, se formaient avec une rapidité dont rien ne peut donner l'idée, et telle couche qui, dans l'état actuel des choses, exigerait pour se constituer des milliers d'années, a pu être le résultat d'un très-petit nombre de siècles. Enfin la race de la pierre taillée était, dit-on, brachycéphale et offrait un type mongoloïde suivant toutes les apparences; c'est d'elle que descend la race basque actuelle, puisque dans l'idiome euskarien les noms des animaux domestiques, et surtout ceux des métaux, ont une origine étrangère. Cependant l'on a trouvé sur les bords du Rhin, dans les couches regardées comme les plus anciennes de cette période, deux crânes celtiques, celui d'Engis et celui de Neanderthal. Les Celtes auraient donc, dès cette époque, commencé leur migration vers l'Ouest. Toutefois, la philologie nous apprend que cette race ne peut pas s'être détachée du rameau aryo-japhétique en des temps si reculés. Elle a d'ailleurs apporté en Europe la connaissance des animaux domestiques, peut-être celle de certains métaux. Si nous la trouvons sur quelques points contemporaine de la race de pierre taillée, tenons pour certain que cette dernière ne remonte ni à trois cents ni même à trente mille ans. A coup sûr, les cinquante ou soixante siècles généralement attribuésjusqu'à ce jour à l'apparition de l'homme sur la terre, ne constituent pas un article de foi, la Bible ne nous fournissant pas pour ces âges reculés un système de chronologie bien rigoureux; main enfin les éléments de calcul adoptés par les géologues sont loin eux-mêmes d'offrir une précision absolue. Il sera bon, pour savoir à quoi s'en tenir, d'attendre de nouveaux éclaircissements; d'autant plus que de nouvelles études sur les couches paléolithiques de l'Italie et de la France n'assigneraient, dit-on, qu'une ancienneté de neuf à onze mille ans à l'âge du renne et de la hyaena spelaea.

Nous regrettons de ne pouvoir consacrer un plus long examen à l'œuvre de sir J. Lubbock; le peu que nous en avons dit suffira pour faire juger de son intérêt. H. DE CHARENCEY.

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