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On comprend donc l'opportunité qu'il y avait à rétablir le vrai sens de la doctrine de l'Evangile et de l'Église sur cette question fondamentale. C'est ce qu'a réalisé le R. P. Lescœur avec une science, un talent et une netteté remarquables. Il n'avait qu'à choisir à travers les monuments multiples de l'Écriture et de la tradition, pour éclairer les points de savoir si Jésus-Christ et ses apôtres ont eu en vue un royaume matériel dans le temps, comment il faut interpréter à ce sujet les doctrines du chantre de l'Apocalypse, quelle est la valeur dans la tradition des arguments présentés par les principaux représentants de l'opinion millénaire, enfin ce qu'il faut penser des opinions qui ont cours aujourd'hui sur le règne temporel de Jésus-Christ avant la consommation des siècles.

Nous ne pouvons entrer dans le détail des démonstrations que l'auteur nous présente sur tous ces points; qu'il nous suffise de dire que la curiosité par lui éveillée est complétement satisfaite par la lecture de son livre.

Après avoir réduit à néant la thèse de M. Renan et vengé la royauté du Christ, après avoir montré le millénarisme ce qu'il est dans la réalité contemporaine, une question vidée et une théorie sans adhérents sérieux dans l'Église, le R. P. Lescœur, abordant le côté actuel de son sujet, passe en revue les conceptions plus ou moins divergentes et toujours libres que les chrétiens ont pu se faire de l'extension, de la durée ou de la prépondérance dans le monde présent du vrai royaume de Jésus-Christ, qui est l'Église.

Il faut lire ces pages qui, mettant l'Église en présence de la société moderne, font voir qu'elle n'a rien à redouter de ce que l'antichristianisme s'efforce de lui opposer, et qu'elle a des ressources de jeunesse et de vérité qui lui permettront de s'assimiler, en les disciplinant, les plus légitimes aspirations du présent et les plus enviables conquêtes de l'avenir. On se rappelle les idées éloquentes qu'a émises sur ce vaste sujet un autre philosophe, un chrétien aussi, mais séparé de la communion catholique. Nous ne craignons pas de le dire, à ce point de vue le R. P. Lescœur complète et rectifie M. Guizot: c'est un nouveau mérite de son livre. De tels écrits garderont le rang supérieur qu'ils prennent dès leur apparition dans les monuments de la controverse religieuse et historique du XIX siècle. A. DE RICHECOUR.

Le Credo de Bossuet. Exposition de la doctrine chrétienne recueillie des œuvres de Bossuet, sur le conseil de Mgr l'évêque d'Orléans, par le vicomte Ch. DE CAQUERAY, membre de l'Académie de Sainte-Croix d'Orléans. Paris, Ch. Douniol. 3 vol. in-12 de Liv-1150 p. Prix 9 fr.

Mgr Dupanloup a publié en 1835 un ouvrage, extrait des œuvres de Fénelon, sous ce titre : Le Christianisme présenté aux hommes du monde par Fénelon. Il projetait alors de donner un livre analogue, extrait des

œuvres de Bossuet. Sur les instances de l'évêque d'Orléans, un de ses diocésains s'est mis à l'œuvre et nous donne aujourd'hui le Credo de Bossuet.

M. de Caquerey, en exposant, avec le seul texte de Bossuet, les grandes vérités de la religion, a partagé son livre en trois grandes divisions: Dieu, Jésus-Christ, l'Église. Après une introduction où Bossuet proclame les droits imprescriptibles de la Vérité à l'attention, au respect, à l'amour, nous avons toute une théodicée chrétienne. L'auteur emprunte à la Connaissance de Dieu et de soi-même les preuves de l'existence de Dieu. Les Élévations, les Méditations sur l'Evangile, divers sermons, lui fournissent d'admirables développements sur les attributs de Dieu, sur la sainte Trinité, sur la création. Viennent ensuite trois livres sur la spiritualité et l'immortalité de l'âme, la liberté de l'homme, les devoirs de l'homme envers Dieu et le péché originel.

Jésus-Christ dans son incarnation, sa rédemption, sa résurrection et son ascension, tel est le sujet de la seconde partie, qui remplit le deuxième volume. L'éternité du Verbe, les prophéties sur la venue du Sauveur, sa conception, sa naissance, son enfance, sa vie cachée et publique, tout cela forme un exposé historique dont l'auteur a su rassembler avec art les divers éléments. Puis Bossuet nous raconte la passion du Sauveur, l'institution de l'Eucharistie, et nous fait contempler Jésus-Christ dans sa gloire, après nous l'avoir montré sur le Calvaire. Quel plus beau livre opposer aux déclamations qui ont retenti naguère, et dont l'écho affaibli se perd dans la grande voix de Bossuet, qui domine et illumine tout! Mgr Dupanloup a bien raison de parler de la « stupeur mêlée d'attendrissement » où plonge la lecture de ces pages.

Mais nous voici en présence de l'Eglise. « C'est là peut-être le triomphe de Bossuet, » dit encore Mgr Dupanloup dans sa lettre à l'auteur « Bossuet l'a vengée comme on venge une mère, avec un amour qui l'inspire: » Tout le troisième volume de M. de Caqueray est rempli par ces pages si puissantes, si tendres, si chaleureuses, et qui sont, en même temps que le plus bel hommage rendu à l'Eglise catholique, l'un des plus admirables monuments de la langue française. Le Saint-Esprit fondateur de l'Eglise; l'autorité, les caractères, les enseignements de l'Eglise; les fins dernières, telles sont les grandes divisions de cette troisième partie. M. de Caqueray recommande avec raison à l'attention des protestants ce que dit Bossuet du grand mystère de l'Eucharistie.

« Il faut bénir Dieu, dit Mgr l'évêque d'Orléans, que la plus belle langue française ait été consacrée à chanter Dieu, Jésus-Christ et l'Eglise, et ne puisse plus vivre sans porter désormais partout cette triple et sublime confession. » Nous ajouterons avec l'illustre évêque qu'il faut remercier M. de Caqueray de s'être imposé la tâche labo

rieuse de rassembler en un corps méthodiqne tant de fragments épars, et le féliciter d'avoir si bien rempli cette tàche : sa meilleure récompense sera dans le succès qui accueillera le Credo de Bossuet et dans la reconnaissance de tous les lecteurs. L. CAUBEROUT.

Caractéristiques des Saints dans l'art populaire, énumérées et expliquées par le P. Ch. CAHIER, de la Compagnie de Jésus. Paris. Poussielgue. 1867. Grand in-4o avec de nombreuses gravures intercalées dans le texte. Prix : 64 fr.

Cet ouvrage a pour but de réunir sous forme de dictionnaire, et dans l'ordre alphabétique, les représentations des saints, ainsi que les symboles et les attributs qui caractérisent chacun d'eux. Il est inutile d'insister sur l'utilité pratique d'un pareil recueil, qui est indispensable aux artistes, aux archéologues et à toutes les personnes que la piété porte à rechercher les moindres détails des légendes hagiologiques,

Ces études ont déjà fourni, en Allemagne et en Angleterre, des livres spéciaux en France, à l'exception du Dictionnaire iconographique de M. Guénebault, sur lequel je reviendrai dans un instant, on en était réduit à déplorer une lacune dans les bibliothèques. Le P. Ch. Cahier rappelle les noms de ses devanciers: M. Helmsdorfer, le général J.de Radowitz, J. H. Parker, W. Menzel, Mme Jameson. Citons aussi les travaux moins étendus de M. l'abbé Crosnier et, tout récemment, de M. l'abbé Gareiso.

Dès 1851, M. L. H. Guénebault annonçait la préparation des Caractéristiques des Saints. Lui-même, dans l'Encyclopédie Migne, avait fait suivre son Dictionnaire iconographique d'un Répertoire général et alphabétique de leurs attributs; mais il déclarait alors qu'il n'avait voulu que constater l'indication matérielle de ceux-ci, sans en expliquer les raisons et l'origine. C'est justement ce que le P. Cahier a voulu faire. Chaque représentation d'un saint, chaque attribut est commenté et expliqué si M. Guénebault a fait un album, le P. Cahier a fait le texte. Ajoutons que l'auteur des Caractéristiques signale un grand nombre de faits qui ne se trouvent pas dans le Répertoire général des attributs des Saints: plusieurs attributs relatés dans ce dernier ouvrage nous ont paru omis, sans doute volontairement, dans les Caractéristiques; le P. Cahier aurait peut-être dù les mentionner, et indiquer brièvement les motifs qui ne lui permettaient pas de les admettre.

Ce livre est orné d'excellentes et nombreuses gravures. S'il est permis de manifester un regret, c'est celui de voir un ouvrage aussi utile publié avec un luxe qui, en lui donnant un grand prix dans le commerce le rend inaccessible à beaucoup de lecteurs. Espérons qu'il y en aura plus tard une édition populaire. ANATOLE DE BARTHELEMY.

La Loi salique, d'après un manuscrit de la Bibliothèque centrale de Varsovie précédée d'une préface et d'une notice sur un manuscrit de la Lex emendata de la Bibliothèque imperiale de Saint-Pétersbourg, par Romuald HUBÉ, membre honoraire de l'Académie impériale des sciences de Saint-Pétersbourg. Varsovie, de l'imprimerie de la Gazette polonaise. Paris, A. Durand, 1867. in-8° de XXI-47 pages. Prix: 2 fr.

Les manuscrits de la Loi salique ne sont pas excessivement rares. Dans son bel ouvrage sur cet antique monument de notre législation, M. Pardessus en décrit soixante-cinq, dont trente-cinq en France, et sur le nombre, vingt-neuf appartiennent à la Bibliothèque impériale. Mais ces manuscrits sont de valeur très-inégale.

On peut distinguer quatre rédactions de la Loi salique. La premîère doit remonter au temps de Clovis; elle est entièrement païenne et se divise en 65 titres. La deuxième rédaction a la même division que la première, mais elle a été corrigée par une main chrétienne; ainsi on y trouve reproduites les dispositions d'un décret par lequel Childebert II, en 595, défendit sous des peines sévères les mariages prohibés pour cause de parenté par les lois ecclésiastiques. La troisième rédaction présente le même caractère chrétien, mais est divisée en 99 titres. La deuxième et la troisième rédaction appartiennent encore au droit mérovingien. La quatrième, connue vulgairement sous le nom de Lex emendata, ne date que de la période carlovingienne. Elle est le résultat d'une révision opérée, par ordre de Charlemagne, au commencement de son règne.

Le plus grand nombre des manuscrits ne donnent que le texte de la Lex emendata. Les manuscrits où l'on trouve les trois rédactions antérieures sont au nombre de quinze seulement. Ce sont pour la première rédaction, les manuscrits 1 de Paris, lat. 4.404, 2° de Paris, suppl. lat. 65, 3° de Volfenbuttel, coté Weissenburg, 97, 4° de Munich, coté Cimel, Iv. 3. g. (ils ont été tous quatre publiés par M. Pardessus, Loi salique, p. 3, 36, 161, 195); pour la seconde rédaction, les manuscrits. de Paris, lat. 4,403 B. et fonds Notre-Dame, 252. F. 9. (Ils ont fourni à M. Pardessus un texte unique édité par lui dans sa Loi salique, p. 69). Les mss. de la troisième rédaction se divisent en deux classes ceux qui sont glosés et ceux qui ne le sont pas. Les premiers sont les plus complets et les plus curieux; on en connaît trois : le n° 136 de l'école de médecine de Montpellier, le n° 4,627 lat. de Paris et le n° 731 de Saint-Gall. (M. Pardessus a publié le texte du premier avec les variantes fournies par les deux autres, Loi salique, p. 117). Ceux qui ne sont pas glosés sont au nombre de six: deux à la Bibliothèque impériale, les mss. lat. 4, 109, 4,629; le n° 729 de SaintGall; le n° 846 de la reine Christine, à la Bibliothèque vaticane; un ms. de a bibliothèque de Thomas Philips, à Middlehill, et celui que vient de publier M. Hubé. Ces deux derniers volumes viennent de la biblio

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thèque du collège de Clermont, qui appartenait aux jésuites et qui fut vendue en 1764, lors de la suppression de l'ordre en France. Le transport de ces deux manuscrits à l'étranger est un des avantages que nous avons retirés des mesures violentes prises par le parlement contre la célèbre compagnie.

Celui qui fait l'objet de la brochure de M. Hubé n'était pas connu de M. Fardessus, qui a publié son ouvrage en 1843. Mais en 1850 je le trouve signalé dans la Lex salica, de M. Merkel (p. vn). Il appartenait alors au professeur Keller, à la vente duquel M. Hubé l'a fait acheter. Il est maintenant devenu la propriété de la bibliothèque de Varsovie. Nous l'avons perdu pour toujours. Comme dédommagement, M. Hubé nous donne l'édition qui fait l'objet de cette notice.

Ce texte n'a pas le prix d'une leçon inédite de la première rédaction de la Loi salique, ni même d'une leçon glosée de la troisième; mais tel qu'il est, il a une réelle importance, puisqu'il n'a pas subi les corrections officielles de la période carlovingienne. Tous les savants qui font une étude spéciale de la législation barbare devront lui donner place dans leur bibliothèque, à côté de la Loi salique de Pardessus et de la Lex salica de Merkel.

Dans la préface, M. Hubé étudie en général les caractères de la troisième rédaction. Il émet l'opinion qu'elle a dû être faite dans la partie sud-ouest de la Neustrie, c'est-à-dire dans la Touraine ou l'Orléanais, et dans la seconde moitié du vir° siècle, bien que tous les manuscrits soient postérieurs. Puis il examine les caractères distinctifs du texte qu'il publie; il indique divers changements, inspirés par le désir d'être plus clair, plus bref, plus correct, et qui donnent au manuscrit de Varsovie une place à part parmi les manuscrits de la troisième rédaction; en quelques endroits mêmes ce manuscrit reproduit des leçons empruntées à la première rédaction, et qui manquent dans le texte de la troisième rédaction publié par M. Pardessus. M. Hubé termine sa préface par une notice sur le manuscrit de Saint-Pétersbourg, qui, contenant la Lex emendata et des capitulaires du Ix° siècle, est sans intérêt pour l'étude du droit mérovingien. Le texte du manuscrit de Varsovie vient ensuite. Il paraît établi avec grand soin. M. Hubé a fait imprimer en italiques tous les passages où ce manuscrit contient des leçons différentes de celles qu'a publiées M. Pardessus.

On ne peut que féliciter l'éditeur d'employer ainsi les loisirs que lui donnent sa fortune et la suppression du gouvernement de Pologne. Ce travail n'est pas le seul que nous lui devions sur l'ancien droit français. La Revue historique de droit donnait dernièrement un Mémoire du même érudit sur la formation de la loi bourguignonne. Le sénateur russe reconnaît noblement par ces publications l'accueil que dans ses voyages à Paris il reçoit des savants français,

H. D'ARBOIS DE JUBAINVILLE.

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