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la sainte Église; mais il est bien difficile, au milieu de la joie, et lorsqu'on est échauffé par la boisson et la bonne chère, d'être sur ses gardes, et de faire toujours assez attention pour ne pas être attrapé quelquefois.

(Encyclopédie monastique, pages 383-396).

MÉLANGES

Anecdotes et facéties.

Voici une lettre de Napoléon Ier si peu connue, qu'elle peut passer pour une découverte.

Peut-être nous saura-t-on quelque gré de reproduire une épître remarquable tracée par le premier empereur des Français; elle est enfouie dans le volumineux supplément de la Biographie universelle, et on n'irait pas la chercher dans une note consacrée au joyeux romancier Pigault-Lebrun.

La seconde édition de la Biographie, publiée par madame veuve Desplaces, sous le règne de Napoléon III, s'est bien gardée de reproduire ces lignes compromettantes. Nous n'avons point besoin d'ajouter que la lettre en question ne figure pas dans la Correspondance officielle que le gouvernement a commencé à mettre au jour en 1875.

Nous ne nous dissimulons point que l'authenticité de ce document pourra être révoquée en doute; mais, quoiqu'il en soit, la lettre et la réponse qu'elle provoqua, méritent d'être connues :

« Mon frère Jérôme Napoléon, roi de Westphalie, tout ce que j'apprends de vous me prouve que mes

conseils, mes instructions, mes ordres font à peine de l'impression sur vous. Les affaires vous ennuyent, la représentation vous fatigue. Sachez que l'état de roi est un métier qu'il faut apprendre, et qu'il n'y a pas de souverain sans représentation. Vous aimez la table et les femmes; la table vous abrutira et les femmes vous afficheront. Faites comme moi, restez à table une demi-heure; n'ayez que des passades et point de maîtresses. Le prince de Paderborn que je vous ai donné pour aumônier, écrit à mon ministre des cultes que vous ne vous entretenez jamais avec lui d'affaires ecclésiastiques. C'est mal; il faut vous occuper de tout, même de religion. Vous avez relégué votre chambellan Merfeldt à Hanovre, parce que, lui avez-vous dit, ses continuelles homélies sur l'étiquette vous fatiguent. Eh...! comment saurez-vous votre rôle de roi, si personne ne vous l'apprend? Rappelez Merfeldt comme si cela venait de vous. La reine est négligée par vous. Eh, polisson! n'est-elle pas assez grande dame pour vous ? Je n'entends point parler de sa grossesse, malgré l'importance que j'attache à avoir des rejetons de races mixtes.... Ce n'est pas le moyen d'avoir des enfants légitimes. Vous avez fait à la reine une mauvaise scène quand vous avez feint d'être jaloux du baron de Seckendorff. Je fais communiquer à mon ministre Siméon mes instructions ultérieures; il vous en instruira. »

Pigault était bibliothécaire du roi de Westphalie (qui ne lisait jamais) et il exerçait même auprès de lui un autre emploi, qui, certes, n'était pas mince. Ce fut à lui que Jérôme eut recours. « Pigault, dit-il, je « te garderai le secret, parole de roi; mais toi, qui es << un Protée littéraire, fais-moi le plaisir de répondre

<< à cette lettre en imitant le style de l'empereur; je << copierai sans examen ce que tu auras écrit. »

Pigault prit la plume et composa sur-le-champ ce que Jérôme copia et expédia sans délai :

<<< Mon auguste frère Napoléon, empereur des Français, j'ai reçu les conseils de V. M., je les respecte. Quant à ses ordres, je suis roi; je donne des ordres, je n'en reçois point. V. M. me reproche d'aimer la table; j'avoue que, comme je n'ai pas à me repaître d'une vaine fumée de gloire, je recherche une nourriture plus substantielle; je suis gourmand sans être glouton; c'est tout ce qu'on peut exiger d'un roi. Vous me dites d'avoir des passades et point de maîtresses; les passades sont bonnes pour ceux qui ne voient dans l'amour qu'une jouissance physique, et qui violent les femmes qu'ils ne peuvent ni séduire, ni acheter. V. M. se plaint de mes procédés envers la reine; V. M. a bien pu me forcer à l'épouser, mais à l'aimer, cela n'est pas en son pouvoir. N'estelle pas, me dites-vous, assez grande dame pour moi? Il n'y a rien d'assez grand pour le frère de Napoléon, voilà ce que vous m'avez répété mille fois... Je ne voulais pas d'une grande dame. V. M. le sait bien. Vous me reprochez de ne pas aimer la représentation; je ne l'aime pas; elle m'ennuie, et d'ailleurs je l'aimerais qu'elle ne va pas à ma taille, ma tournure, deux choses qui, dans notre famille, ne sont pas très-imposantes. Au reste, j'ai modelé ma cour sur la vôtre; je m'habille comme vous : que pouvez-vous exiger de plus? Le prince Paderborn me fait bâiller par ses éternelles homélies et ses longues messes; je dois le garder, puisque vous me l'avez donné; mais rien ne m'oblige à m'entretenir

à

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avec lui d'affaires ecclésiastiques auxquelles je ne connais rien, auxquelles je ne veux rien connaître; je renvoie le tout à votre ministre des cultes. J'ai nommé Merfeldt préfet de Hanovre, parce qu'il est un meilleur administrateur qu'un chambellan agréable. Je n'aime pas à employer des étrangers à mon service personnel; j'ai germanisé les noms de tous ceux qui en sont chargés...

« Signé : JÉRÔme Napoléon. »

Grande, on le croira sans peine, fut la colère de l'empereur en lisant cette impertinente missive. Le général Rapp, se rendant à Dantzig, porta à la cour de Westphalie, l'expression de ses volontés. Le roi était mis aux arrêts pour 48 heures; Pigault condamné à deux mois de cachot et ensuite envoyé en France sous bonne escorte. Napoléon avait appris, grâce aux espions dont il entourait son frère, que le romancier était le coupable auteur de l'insolente épître. Après une captivité sans adoucissement, Pigault jugea que les petits agissaient avec prudence en s'éloignant des grands; il revint en France, et des protecteurs, que ses récits croustilleux avaient amusés, lui firent obtenir la place d'inspecteur des salines, véritable sinécure.

Habent sua fata libelli. Comment se fait-il qu'il y a un très-grand nombre d'anecdotes fort peu piquantes et qui sont ressassées de siècle en siècle dans tous les recueils et dans tous les almanachs, tandis que bien d'autres plus originales sont passées sous silence? Qu'on veuille bien nous le dire. En attendant

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