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d'Angoulême. Ce que la modestie de l'évêque du Mans l'empêchait de prévoir et de désirer, la piété filiale bien éclairée de Mgr Sebaux l'offre aux nombreux fidèles des diocèses du Mans et de Laval qui ont conservé le culte des souvenirs honorables pour leur pays. Il n'y aura pas que les chrétiens de cette excellente province du Maine qui s'intéresseront à la biographie exacte et vraie de l'un des prélats qui ont le plus travaillé pour le relèvement de la religion en France durant la première moitié du siècle présent.

L'historien, qui connaissait Mgr Bouvier mieux que tout autre puisqu'il remplit durant plus de onze ans les fonctions de son secrétaire intime, et cela dans les dernières années de sa longue carrière, à une époque où les vieillards aiment à se reporter sur les années écoulées, l'historien, dis-je, aurait pu étendre et agrandir facilement ses récits; il lui reste entre les mains une quantité considérable de documents qu'il aurait pu reproduire; mais on ne saurait trop louer sa réserve. Hélas! nous avons trop d'écrivains qui accumulent les documents sans aucun profit réel pour l'histoire; combien de vies d'évêques qui sont gonflées de citations empruntées à des mandements ou à des correspondances qui ne présentent point un grand intérêt? Mgr Sebaux a évité avec soin ce défaut; les citations textuelles ne manquent pas; mais elles sont choisies avec goût. Sur l'affaire du différend avec le chapitre par exemple, un auteur, moins discret, moins bien inspiré, aurait écrit un chapitre long comme la moitié du volume; le lecteur cependant aurait-il mieux connu le caractère du prélat? Nous ne le pensons pas. Un autre trait caractéristique du livre que nous avons sous les yeux, c'est l'appréciation vraie de l'esprit et du cœur de Mgr Bouvier. Sous le rapport du cœur et de la piété on ne saurait trop louer celui qui, dès le commencement de sa carrière jusqu'aux derniers moments de sa verte vieillesse, fut un exemple de zèle, de régularité, d'application au travail le plus pénible et d'abnégation. Les détails dans lesquels entre Mgr l'évêque d'Angoulême devront être médités par tous les chrétiens sérieux et en particulier par tous les prètres, qui y trouveront un modèle parfait de la vie sacerdotale.

Sous le rapport des facultés intellectuelles, l'auteur ne cherche point à rehausser son héros au-delà des justes proportions. Mgr Bouvier était doué d'un esprit très juste et d'une connaissance rare des hommes. Dès le commencement il tourne son attention à l'application plus qu'à la démonstration métaphysique des principes. Deux hommes ont contribué au commencement de ce siècle à ramener notre pays des théories propagées par le jansénisme sur la pratique des sacrements: le cardinal Gousset et Mgr Bouvier. Mais le premier fait d'abord l'historique des maximes mises en avant au XVIIe et au XVIII° siècle, puis il fait voir que la doctrine soutenue par saint Alphonse de Liguori est

en tout conforme à l'enseignement ancien des docteurs et à la raison humaine. Mgr Bouvier avait pris de bonne heure pour guide le saint évêque de Sainte-Agathe-des-Goths, mais il suit ses principes sans s'arrêter à en démontrer la vérité. Personne plus que lui ne s'adressa avec simplicité à Rome pour obtenir la solution des cas difficiles. Aussi le pieux évêque éprouva une peine profonde lorsqu'il apprit que ses ouvrages théologiques étaient dénoncés à la congrégation de l'Index, comme contenant des principes dangereux sur la constitution de l'Église. Il avait été longtemps attaqué par Picot comme ultramontain. Pie IX eut égard à sa droiture, et le prélat exécuta avec candeur toutes les corrections demandées.

Mais ce n'est point principalement comme théologien, c'est surtout comme évêque que Mgr Sebaux présente Mgr Bouvier. Celui-ci ne fut pas seulement vingt ans le premier pasteur de l'un des plus grands diocèses de France, il avait eu la part principale dans l'administration durant l'épiscopat de ses trois prédécesseurs, et il forma, comme supérieur du séminaire, tout un clergé qui lui a fait honneur par ses lumières et sa régularité. Aussi les esprits sages s'accordent à regarder comme une bénédiction spéciale de la Providence, pour les diocèses du Mans et de Laval, d'avoir possédé très longtemps un homme qui a rendu de si importants services. Son souvenir est impérissable, surtout parmi les rares vieillards qui ont pu le connaître; grâce au livre écrit par Mgr l'évêque d'Angoulême, il revivra parmi les générations nouvelles, et ce sera assurément une faveur divine particulière pour les clercs qui aimeront à étudier ce digne modèle de la vie sacerdotale. DOM PAUL PIOLIN.

Vie de M. Le Prévost, fondateur de la Congrégation des Frères de Saint-Vincent de Paul. 1803-1874. Précédée d'une lettre de Mgr Charles Gay, évêque d'Anthédon, ancien auxiliaire du cardinal Pie, évèque de Poitiers. Paris, Poussielgue; Maison Saint-Vincent de Paul, rue de Dantzig, 3, 1890, in-8 de 428 p. Prix: 6 fr.

La vie de M. Jean-Léon Le Prévost est destinée, dans l'intention de l'auteur, à réjouir saintement les membres de la famille religieuse dont il est le père, et à édifier grandement tous les chrétiens. « L'esprit divin se fait sentir partout, dit Mgr Gay, dans le récit de cette existence admirable, et le parfum du cœur de Jésus s'exhale de toutes les pages où elle est racontée. »

Comment ne pas reconnaître dans cette carrière si remplie d'œuvres saintes le fidèle serviteur dont le divin Maître a tracé le portrait, plein d'abnégation pour tout ce qui le touche personnellement, dévoué sans mesure pour le prochain et le salut des âmes. Dès sa jeunesse, il est rempli d'ardeur pour les lettres et il entre dans l'Université à une époque où on pouvait encore s'y engager sans compromettre sa foi et

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son honneur. Il arrive à Paris et obtient une place au ministère des cultes sous Mgr Frayssinous; ce fut le seul moyen d'existence qu'il eut durant presque toute sa vie. Ses liaisons avec Victor Hugo et Sainte-Beuve lui furent funestes durant quelque temps, mais la société de Victor Pavie, et un peu plus tard de l'abbé de Mallet, fut un bienfait de la Providence. Docile à la voix qui se faisait entendre à lui, Léon Le Prévost se livra tout entier aux œuvres de la charité chrétienne. C'était par ce chemin qu'il devait faire de si rapides et de si admirables progrès dans la perfection. C'est toutefois en restant fidèle à tous ses devoirs extérieurs et sans empressement déplacé qu'il pratiqua ces ascensions vers le bien suprême et qu'il purifia de plus en plus son âme. Son âme, il nous la révèle toute entière dans cette parole: Notre vie, c'est Dieu en lui-même et dans la charité. » Il ne perd jamais de vue le besoin de s'unir de plus en plus au divin Maître par la contemplation de ses ineffables perfections, et en même temps il sait que tout acte accompli pour le service du prochain, surtout de celui qui souffre et est dans la nécessité, est un pas qui nous approche de celui qui est descendu du ciel pour racheter nos âmes. Bien convaincu de cette vérité, Léon Le Prévost rechercha toutes les occasions d'imiter Celui qui s'est peint à nous sous les traits du bon Pasteur. L'un des premiers dans la fondation des Conférences de Saint-Vincent de Paul, il y exerça une influence très grande dès l'origine. Tous ses confrères subirent promptement l'action de la grâce qui agissait par lui avec un attrait doux, puissant, irrésistible. C'est dans leurs réunions qu'il recruta les fervents disciples qu'il associa à ses œuvres diverses en les remplissant de son esprit d'abnégation et de charité. Mais quelles sont ces œuvres? Il serait long de les faire connaître toutes; contentons-nous de dire qu'il fonda des secours pour les jeunes détenus, les apprentis, l'assistance des prêtres infirmes; qu'il organisa la visite des pauvres, la caisse des loyers, une bibliothèque charitable et la Sainte-Famille de Saint-Sulpice, toujours prête à se porter où l'appelait la misère des corps, et surtout des âmes.

L'œuvre toutefois qui résume surtout la vie de Léon Le Prévost, c'est la fondation des Frères de Saint-Vincent de Paul, dont le but principal est d'établir et de maintenir les patronages d'ouvriers. Cet institut admirable ne refuse aucun autre genre d'entreprises charitables, mais il est principalement voué au service de la classe ouvrière. Comme tous les serviteurs de Dieu appelés à établir une nouvelle famille religieuse, Léon Le Prévost trouva dans cette entreprise une suite de déboires et de souffrances. Il était loin d'ailleurs de se proposer l'établissement d'un institut religieux; il voulait fonder une société spécialement dévouée au soulagement des orphelins et des apprentis; bientôt il reconnut que rien de solide ne se ferait si les

membres de la Société n'étaient liés par des vœux religieux. Luimême et ses associés avaient éprouvé des aspirations vers la vie parfaite, mais la Providence les y conduisit par une sorte de nécessité. Cette bonne Providence dénoua elle-même les liens qui retenaient le serviteur de Dieu dans le monde et lui permit de se consacrer d'une manière irrévocable au service de Dieu et du prochain nécessiteux. Au bout de plusieurs années et déjà parvenu à la vieillesse, Léon Le Prévost fut élevé au sacerdoce. Il eut aussi le bonheur de visiter Rome et d'être béni avec grande affection par le pape Pie IX, de sainte mémoire. Peu après son retour en France, il mourut saintement à Paris, ayant la consolation de laisser une famille religieuse approuvée par le Saint-Siège et remplie de l'esprit de ferveur qu'il avait su lui inspirer.

Il est regrettable que l'espace nous manque pour faire connaitre l'Institut des Frères de Saint-Vincent de Paul et son caractère spécial qui le distingue absolument de tout ce qui avait été fondé jusqu'alors dans l'Église catholique. Nous voudrions aussi dire un mot des coopérateurs de Léon Le Prévost, et spécialement de Clément Myionnet et de l'abbé Pierre Planchat. Par la mort glorieuse de ce dernier, le nouvel institut nous apparaît déjà orné des palmes du martyre. Il y aurait aussi beaucoup à dire touchant les révélations que la vie de Léon Le Prévost nous apporte sur une partie importante de la société contemporaine. Le lecteur aura profit à aller les chercher dans le beau livre que nous annonçons ici : il y trouvera le tableau fidèle d'une vie toute consacrée à Dieu, toute dévouée aux œuvres de la charité telles que notre temps les a rendues nécessaires. L'auteur anonyme est évidemment un fils tendre et reconnaissant; il laisse souvent la parole à son vénéré père et à ses coopérateurs, mais quand il décrit lui-même les personnes ou les événements, il le fait avec un talent incontestable. DOM PAUL PIOLIN.

Histoire résumée de l'Allemagne et de l'Empire germanique. Leurs Institutions au moyen âge, par JULES ZELLER. 2° édition. Paris, Perrin, 1889, in-12 de vi-729 p., accompagné de 5 cartes. Prix : 7 fr. 50.

Ce livre, comme l'auteur nous l'apprend dans son avant-propos, est le résumé des cinq volumes qu'il a consacrés à l'histoire de l'Allemagne pendant la première moitié du moyen âge, c'est-à-dire qu'il va depuis les origines jusqu'à la chute des Hohenstaufen et au grand interrègne. En écrivant le mot fin au bas de la dernière page, M. Zeller semble indiquer l'intention de ne pas nous donner de sitôt le second volume que le premier appelle en quelque sorte, et cela diminue singulièrement l'utilité de son résumé, qui ne peut atteindre le public auquel il est destiné qu'à condition d'être complet. Dû à une plume qui s'est

vouée d'une manière spéciale, pendant nombre d'années, à l'étude des annales de l'Allemagne, l'ouvrage a plus d'un titre à l'attention du lecteur; œuvre d'un Français sur l'Allemagne, et destiné à former les idées d'une partie du public scolaire, il sera lu avec curiosité, même en dehors de la France, par tous ceux qui s'intéressent à l'avenir des relations entre deux grands peuples. A ce dernier point de vue, je dirai d'abord que l'auteur ne me semble pas avoir atteint le degré de sérénité qui était indispensable ici, et que la rancune nationale, le désir de plaire à des compatriotes en leur disant du mal de l'ennemi, ont trop souvent altéré la rectitude de son jugement. Le peuple allemand est, aux yeux de M. Zeller, incapable d'arriver par lui-même et sans impulsion extérieure à une vraie civilisation. M. Zeller découvre dans son caractère national l'instinct de l'obséquiosité et du servilisme; il se persuade qu'il n'a été tiré de la barbarie que par un souffle de civilisation parti de la France. Ne lui objectez pas les Francs, peuple germanique qui a fondé la civilisation moderne, car les Francs, selon lui, ne sont pas des Germains; ce sont, au contraire, les ennemis des Germains, et l'empire de Charlemagne, que des Français éminents, comme Guizot et tant d'autres, ont considéré comme le produit de la réaction germanique et chrétienne contre le despotisme des Mérovingiens romanisés, est, au contraire, une réaction du peuple gallofranc contre les Germains (p. 121). Voilà des affirmations qui feront plaisir à certains lecteurs français, mais qui ne contribueront pas à son éducation morale, et que tous les sincères amis de la France seront les premiers à déplorer. J'ajoute à regret que, plus d'une fois, dans le manuel de M. Zeller, l'Église n'est pas mieux traitée que le peuple allemand.

J'aurais à relever un nombre assez considérable d'erreurs et d'inexactitudes, mais je ne veux pas abuser de la patience du lecteur, et je n'en signalerai ici que quelques-unes pour justifier mon appréciation. Page 132, M. Zeller écrit à tort qu'Éginhard était peut-être le gendre de Charlemagne : il y a beau temps qu'on a cessé de croire à la légende d'Imma. Page 133, il parle de « la nuit de Walpurgis, une ancienne reine qui n'est plus qu'une sorcière» en réalité saint Walburge n'avait de commun avec les sorcières que la date de sa fête, qui était aussi celle de leur sabbat sur le Brocken (1er mai). Page 138, il soutient que saint Anschaire s'appelait de son vrai nom Anscha, affirmation absolument erronée; page 147, il dérive le nom de Lotharingie d'un Lotherrègne qui n'a jamais existé; page 150, il dit que le recueil des fausses décrétales est sous le nom d'Isidore de Séville; il fallait dire d'Isidore tout court; page 196, un important passage de Widukind sur le trouble jeté dans l'armée du duc Gisebert, en révolte contre Otton Ier, par des Saxons qui savaient le wallon, est rendu inin

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