Page images
PDF
EPUB

ou chirurgien sait lire et interpréter exactement une radiographie. M. le D' Lucas Championnière (1), dans un article sur les Erreurs et difficultés d'interprétation de la radiographie des fractures, disait : « Nous sommes ainsi bien loin de la facilité, je dirais même du sans-gêne avec lequel on accepte les radiographies de fractures. On les voit interpréter en justice et surtout dans les familles avec la plus redoutable ignorance. J'ai vu des médecins donner leur avis sans avoir jamais examiné une radiographie de fracture avant celle qu'ils discutaient. » Pour ma part, dans un mémoire sur « l'articulation de l'épaule en radiographie » (2), je signalais une erreur d'interprétation qui consiste à considérer comme pathologique la silhouette d'un humérus normal. Le 13 décembre 1909, je faisais à la Société de médecine légale une étude détaillée des erreurs en radiographie, de leurs causes, et j'accompagnais cette étude de certaines considérations intéressantes au point de vue des expertises et de la médecine légale. Ces erreurs sont beaucoup plus fréquentes qu'on ne semble le croire. Elles sont dues le plus souvent à ce que l'on attache de l'importance à une ombre, à une tache dont on ne connaît pas l'origine. Ces erreurs d'interprétation sont dues principalement à ce que celui qui veut interpréter la radiographie d'une région pathologique ne connaît pas les différentes silhouettes de cette même région à l'état normal.

L'observation que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui est une preuve de ce que je viens de dire et, ajoutée à beaucoup d'autres, elle me paraît intéressante.

Voici cette observation:

Le 2 juillet 19..., le nommé X... reçoit, de la hauteur d'un premier étage, un fauteuil sur la tête. Le cuir chevelu fut entamé sur une longueur de 5 centimètres au niveau de la région pariétale droite. La plaie a été suturée le 3 juillet et s'est réunie par première intention.

(1) Lucas Championnière, Journ. de méd. et de chir. prat., 25 déc. 1909. (2) Maxime Ménard, Rev. d'orthop., juill. 1907.

Le 16 août, c'est-à-dire un mois et demi après son accident, le blessé va consulter un deuxième médecin et se plaint de violentes douleurs dans les muscles de la nuque, principalement quand il veut orienter la tête à gauche ou à droite. De son examen, le médecin donne les conclusions suivantes : 1o La chute du fauteuil a déterminé un accident beaucoup plus grave que la plaie qui a été suturée ;

2o Il existe en réalité une luxation de la colonne vertébrale (deuxième ou troisième vertèbre cervicale);

3o Le malade n'a reçu aucun soin pour cet accident; il présente encore une raideur très accusée de la nuque, et on note l'existence d'une corde musculaire nettement appréciable.

Une radiographie aurait été faite à ce moment et montrait, paraît-il, l'existence de la luxation. Cette radiographie n'était pas versée au dossier. Le 20 août, le médein décide de présenter son malade à un chirurgien.

Celui-ci constate un certain degré de luxation de la colonne cervicale, résultant d'un glissement de la tête en avant au niveau de la deuxième ou troisième vertèbre. L'exploration digitale de la colonne cervicale par la paroi postérieure du pharynx fait constater la saillie osseuse, qui est la preuve clinique de la luxation.

Une nouvelle radiographie fut faite; elle montrerait l'existence d'une luxation (Voy. radiographie no 1).

Le traitement auquel fut soumis le malade est le suivant: Réduction de la luxation par la suspension à l'aide d'une poulie et de l'appareil de Sayre, aussitôt suivie de l'immobilisation de la tête et du thorax par un appareil plâtré laissé en place pendant cinquante-deux jours. L'appareil plâtré ayant été enlevé, on constate alors que le redressement de la tête est bien maintenu, que la corde musculaire et les douleurs spontanées ont disparu. Toutefois les mouvements de flexion de la tête sont très difficiles, mais ceux de rotation de la tête à droite et à gauche sont exécutés avec une plus grande facilité qu'avant le traitement.

Une expertise << en conciliation » eut lieu alors, et l'expert concluait que la radiographie no 1 ne semble pas montrer qu'il y a luxation des vertèbres cervicales.

[graphic][subsumed][merged small][merged small]

Le blessé n'étant pas satisfait du résultat de l'expertise continue la procédure et va consulter un quatrième chirurgien. Celui-ci demande une nouvelle radiographie. Quelques jours après, le chirurgien établit, d'après la clinique et d'après la radiographie n° 2, le diagnostic de «<luxation bilatérale et antérieure de la troisième vertèbre cervicale ».

Quelques mois après ce dernier examen, l'affaire venait de nouveau devant le tribunal et, en compagnie de MM. les Drs R... et B..., j'étais commis en qualité d'expert.

Les questions posées par le tribunal étaient les suivantes :
Y a-t-il eu luxation de la troisième vertèbre cervicale?
Y a-t-il encore luxation de la troisième vertèbre cervicale?
Les radiographies 1 et 2 étaient jointes au dossier.

Les certificats des différents médecins ou chirurgiens qui avaient été appelés à soigner ou à examiner le blessé, les radiographies 1 et 2 sont les seuls documents qui nous per

[graphic][merged small][merged small]

mettent de répondre à la première question y a-t-il eu luxation de la troisième vertèbre cervicale ?

D'après les certificats, le doute n'est pas permis; il y avait eu luxation de la troisième vertèbre cervicale. D'après la radiographie no 1, à notre avis, il n'y a pas luxation de la troisième vertèbre cervicale, pas plus d'ailleurs qu'il n'y a luxation de l'une des vertèbres cervicales. La radiographie

[merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small]

no 1 montre la colonne cervicale du blessé dans l'orientation dite « de profil », et la silhouette de cette colonne cervicale est semblable à celle de tout sujet normal, c'est-à-dire que chacune des vertèbres cervicales est normale soit au point de vue de son architecture, soit au point de vue de ses rapports respectifs.

Le désaccord entre la clinique et la radiographie est donc complet.

Toutefois, au point de vue des luxations comme au point de vue des fractures, nous savons que la radiographie permet, aussi bien et souvent mieux que la clinique, de montrer, quand elle est bien interprétée, si une luxation existe ou n'existe pas. C'est pourquoi, d'après la radiographie no 1, nous disons qu'il n'y a pas eu luxation de la colonne cervicale.

La radiographie no 2, faite après l'expertise en conciliation, est d'une interprétation délicate, mais, d'après le chirurgien qui l'a interprétée et qui a rédigé le certificat, elle montrerait << une luxation bilatérale et antérieure de la troisième vertèbre cervicale ». C'est une erreur grossière.

Nous avons eu l'occasion, à plusieurs reprises, soit dans nos communications aux sociétés savantes, soit dans nos différents mémoires, d'attirer l'attention du corps médical sur les renseignements indispensables à connaître de la part de celui qui veut interpréter une radiographie, en particulier sur les conditions d'orientation réciproque de la plaque sensible, de la région à radiographier et du tube de Crookes. Or aucun renseignement sur la technique du radiologiste n'accompagne la radiographie no 2.

Elle montre que la silhouette de la clavicule gauche et celle de la clavicule droite, au point de vue de leur forme et de leurs rapports, sont semblables avec les silhouettes des mêmes os sur la radiographie d'un sujet normal placé

dans le décubitus dorsal ou dans la station verticale.

Les apophyses transverses de la première dorsale et des septième et sixième cervicales sont visibles et symétrique

« PreviousContinue »