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1o Les buées de teinture sont inoffensives pour la santé de l'ouvrier;

2o C'est de l'opacité seule des buées qu'il y a lieu de se préoccuper, et cela plutôt même dans l'intérêt du chef de l'établissement que dans celui du personnel;

3o Dans l'état actuel de la science, il n'est pas possible, en toute circonstance, d'arriver à faire disparaître les buées; 4o Pour les petits établissements, l'élimination des buées entraînerait des charges excessives et hors de proportion avec les résultats obtenus jusqu'ici.

Nous allons essayer de montrer combien ces conclusions sont peu en rapport avec les données de la science et combien les résultats obtenus dans le grand centre textile de Roubaix et environs conduisent à formuler sur la question une opinion diamétralement opposée.

Mais, avant d'étudier l'influence sur l'organisme demilieux sursaturés de vapeur d'eau, donnons ici une définis tion aussi exacte que possible de ce que l'on doit entendre par le mot buées

On sait que, pour chaque température, l'air peut contenir une quantité déterminée de vapeur d'eau ; cette quantité est d'autant plus grandé que la température est plus élevée, sans toutefois croître proportionnellement. Ainsi, d'après H. Rietschel, 1 mètre cube d'air saturé renferme, en grammes, les quantités de vapeur d'eau ci-après, aux températures indiquées (en degrés centigrades):

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Pour chaque température de l'air, il y a une pression maxima de la vapeur d'eau qui le sature, et ces tensions s'expriment généralement en millimètres de hauteur de mercure. On trouvera la valeur de ces forces élastiques dans les

tables déduites des expériences de Regnault. On voit que, lorsqu'on se tient dans les limites habituelles de température de nos climats, on peut, sans grande erreur, prendre les chiffres qui indiquent en millimètres de mercure la pression de la vapeur, pour ceux faisant connaître le poids de cette vapeur d'eau saturant un mètre cube d'air à une température déterminée.

Ainsi, à la température de 20o C., 1 mètre cube d'air saturé renfermant 17,177 de vapeur d'eau, nous dirons que la tension de celle-ci est d'environ 17 millimètres en hauteur de mercure.

Ceci étant exposé, prenons un atelier clos et couvert, dans equel, par un moyen quelconque (évaporation, jet de vapeur, etc.), on répand de la vapeur dans l'air. Faisons cette hypothèse que les calories dégagées dans le milieu compensent à peu près exactement les pertes par rayonnement, filtration de l'air du dedans au dehors, etc., de façon à pouvoir maintenir, pendant un temps déterminé, une tempéIrature à peu près constante. Au bout d'un certain temps la vapeur d'eau se dégageant dans ce local fermé deviendra saturante pour l'air à cette température T. Nous dirons que la température T représente la température du point de rosée ou du point de saturation de l'air. La vapeur d'eau continuant à se dégager dans l'espace fermé ne pourra plus être dissoute par l'air : elle prendra, dans des conditions déterminées, la forme vésiculaire, et c'est alors que l'on observera la production d'un brouillard opaque, se répandant dans toutes les parties du local. C'est à ce brouillard que l'on donne le nom de buée.

Certains physiciens ont prétendu que le phénomène de la formation du brouillard ne pouvait se produire que si, au sein de la vapeur d'eau produite, il y avait des grains microscopiques de poussières; chacun de ces grains arrive à condenser la vapeur d'eau, en formant un noyau de condensation. Le physicien anglais John Aitken (d'Édimbourg) démontre en outre que si, dans l'air, il n'y avait pas de fines

particules de poussières, l'atmosphère n'aurait ni vapeur, ni nuage, ni brouillard, ni pluie (1).

L'expérience suivante, qu'il est facile de répéter, vient à l'appui de cette thèse :

Avec de l'eau, on remplit un ballon de verre de 2 à 3 litres de capacité; puis on fait écouler le contenu de façon à ce que l'air qui remplace le liquide soit saturé de vapeur d'eau. Si, rapidement, on provoque le refroidissement de l'air renfermé dans le ballon, par exemple, en aspirant à l'aide de la bouche dans un tube fixé au bouchon du vase, observe la formation d'un nuage dans l'intérieur de ce récipient, nuage déjà visible à la lumière ordinaire du jour, mais qui devient encore plus apparent si l'on examine l'expérience à travers un pinceau de lumière pénétrant dans l'intérieur d'une chambre obscure.

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on.

Si, après, l'on refait l'expérience de la façon suivante, en munissant le goulot du flacon d'un bouchon doublement perforé un trou pour recevoir un syphon permettant la vidange du récipient, et un autre, pour un tube rempli d'ouate épaisse, on n'observe plus de brouillard après refroidissement rapide du contenu du vase. La ouate a retenu les plus fines poussières de l'air, et, ainsi, la vapeur d'eau de l'intérieur du ballon ne peut pas se condenser, mais sculement celle qui est en contact avec les parois intérieures.

Les fines poussières de l'air (microscopiques) remplissent donc un rôle important dans la nature; car, si l'air en était purifié, lorsqu'il se refroidirait au-dessous de son point de saturation, la vapeur d'eau se précipiterait: nos vêtements seraient bientôt comme mouillés et les murs des maisons, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, laisseraient ruisseler l'eau ; les planchers, les meubles et autres objets seraient mouillés.

Ces fines poussières d'Aitken forment donc un véritable noyau de condensation pour la vapeur d'eau ambiante et

(1) John Aitken, Transactions of Royal Society of Edinburgh, vol. XXXV, p. 1; ct Proceedings of Royal Society of Edinburgh, vol. XVI, p. 135.

permettent aux vésicules de se former; celles-ci, grâce aux forces capillaires dont elles sont le siège, se produisent à une ténsion qui, théoriquement, doit être voisine de celle qui correspond à la pression maxima de la vapeur d'eau, pour la température du milieu considéré.

Cependant, contrairement à l'opinion émise tout d'abord par John Aitken, il ne faudrait pas considérer que la présence dans l'air des fines poussières (microscopiques) soit une condition sine qua non pour la production de la buée ou du brouillard. Déjà, en 1875, Coulier avait observé que, en poussant assez loin la détente adiabatique de la vapeur d'eau, il obtenait la réapparition des phénomènes dus à la condensation, même en l'absence de tous germes et de toutes poussières.

C'est seulement au cours de ces dernières années qu'une explication de ce phénomène a été donnée, grâce à la théorie de l'ionisation de l'air.

La vapeur d'eau ne se condense pas seulement sur les germes et les poussières maintenus en suspension dans l'air, mais encore sur les ions; les gros ions forment noyaux de condensation, même pour la vapeur d'eau simplement saturante; les ions ordinaires peuvent condenser la vapeur d'eau sursaturante.

Ainsi que Lord Kelvin (1) l'a démontré, la charge électrique a pour effet d'équilibrer la tension superficielle, laquelle est cause de l'accélération de la vitesse d'évaporation. Cette charge électrique va accroître la faculté de condensation des ions, au point que les fines gouttelettes se montreront dans l'air (buée visible) bien avant que la fraction de saturation de l'air n'atteigne l'unité. Ainsi, nous avons fréquemment observé que, dans les teintureries de Roubaix, il fallait abaisser l'état hygrométrique jusqu'à environ 85 p. 100 pour pouvoir enregistrer l'entière dissipation du brouillard formé dans les locaux de travail.

(1) Kelvin, Applications of Dymamics to Physics and Chymistry, p. 164.

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Comme effet de la charge électrique provoquant une précipitation des gouttelettes d'eau en suspension dans l'air, signalons que, dans certaines régions, il n'est pas rare de voir tomber la pluie, bien que l'humidité relative de l'air soit inférieure, et souvent de beaucoup, à l'état de saturation (1). Exemple à Marseille, le 15 mars 1910, bien qu'une pluie fine tombât depuis la veille, nous avons relevé plusieurs fois, entre cinq et six heures du soir, un état hygrométrique variant de 71 à 72 p. 100. Ce n'est qu'à sept heures trois quarts du soir que, ce jour-là, la fraction de saturation de l'air atteignit seulement 83 p. 100, malgré la persistance de la pluie. Ces relevés d'état hygrométrique ont été faits par l'emploi du psychromètre à aspiration et avec tous les soins désirables. La température a varié de 12o,2 C. à 9o,5 C. La pression barométrique était de 757mm,5.

Dans un atelier de teinture, lorsque le déficit de saturation (2) de l'air est peu élevé (ce qui se présente habituellement, dans nos climats, près de cinq à six mois par an), la vapeur d'eau provenant de l'évaporation de l'eau chaudet des bacs à teinture s'élève dans l'air, et, comme l'air humide (toutes choses égales d'ailleurs) est moins dense que l'air sec (3), il s'ensuit qu'il gagne la partie supérieure de la salle, pour s'échapper ensuite au dehors par les ouvertures. Il s'établit un renouvellement incessant de l'air; mais, comme cet air a une capacité hygrométrique limitée, il ne tarde pas à recevoir, à une température déterminée, la quantité de vapeur d'eau qu'il réclame pour être saturé au point de voir apparaître le brouillard. Dès que cet état de saturation relative est produit, l'excédent de vapeur d'eau non dissous

(1) Pour plus amples développements sur ce point, on peut lire l'article l'Elimination des buées, par M. Frois, paru dans le Bulletin de l'inspection du travail, 1909, p. 279.

(2) On peut définir le déficit de saturation de l'air, la quantité de vapeur d'eau qu'il peut absorber, à une température déterminée, avant d'être complètement saturé.

(3) Cela résulte des lois de Dalton et de la densité de la vapeur d'eau, qui est les cinq huitièmes de celle de l'air.

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