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tion. « La province, disait l'un d'eux, ne s'intéresse pas à ces divisions. » Un très grand nombre de syndicats avaient donné à leurs représentants des mandats très larges, afin de pouvoir trancher amiablement la question de discipline. Les désacords théoriques n'avaient rien d'insoluble. Bien peu d'efforts réciproques, la bonne volonté, quelques concessions mutuelles eussent suffi. Mais la séparation se fit néanmoins, parce qu'elle était prête, parce qu'elle était désirée. De part et d'autre on voulait rompre, et, par-dessus tous les désaccords théoriques, ce fut la grande raison pour quoi l'on rompit.

Il est manifeste que la majorité broussiste de Saint-Etienne était résolue d'avance, et quoi qu'il arrivât, à exclure Guesde et ses amis. Mais, d'autre part, Guesde et ses amis, dès le mois de janvier 1882, prévoyaient et souhaitaient « la coupure ». Et l'Egalité accueillait la résolution de Saint-Etienne par un article intitulé: « Bravo! » où Gabriel Deville affirmait que la division était une garantie de développement sain, de même que l'amputation d'un membre gangrené sauve le corps malade.

Mais Brousse et Malon, tout en excluant les guesdistes du parti organisé, comprenaient que le nouveau groupement aurait, lui aussi, sa chance de développement et de succès. « Il ne dépendra que d'eux, avait dit Brousse, que toute polémique cesse et qu'un développement parallèle ait lieu entre le groupement marxiste et le parti ouvrier. S'ils ont raison, ils grandiront et deviendront le parti; s'ils ont tort, ils s'étio

leront. » Et encore : « Si les marxistes ont raison, les travailleurs iront à eux. Les marxistes, deviendront le Parti ouvrier. »

Ainsi possibilistes et guesdistes, au plus fort de la lutte, gardaient pourtant conscience qu'ils poursuivaient, les uns et les autres, le même but; que leur action séparée pourrait rester parallèle. Et ainsi, dans ces heures de querelle aigre ou violente, les causes de l'unité future semblaient leur apparaître clairement.

« Les éléments incompatibles se sont séparés, écrivait à ce sujet Frédéric Engels (20 octobre 1882). Et cela est bon...

» Il semble que chaque parti ouvrier d'un grand pays ne puisse se développer que par une lutte intérieure... Le parți allemand est devenu ce qu'il est dans les luttes des gens d'Eisenach et des Lassalliens, où les rixes mêmes jouaient un rôle important. L'union ne fut possible que lorsque les A. B. et Cie se furent épuisés. En France, les C. D. et Cie doivent aussi s'user, avant que l'union soit de nouveau possible. »>

ANNÉES 1883-85

Ces années marquèrent le temps d'apogée de la République opportuniste. Les partis républicains d'extrême-gauche absorbaient la plus grosse part des forces démocratiques. D'autre part, la division des partis socialistes ne faisait encore sentir que ses malheureux effets. Il suit de là que les années 1883-85 ne furent point une période d'activité socialiste.

7° CONGRÈS NATIONAL, FÉDÉRATION DES TRAVAILLEURS SOCIALISTES, PARIS, 1883. Le Congrès national annuel du Parti possibiliste se tint à Paris du 30 septembre au 7 octobre 1883. Ce fut une réunion tranquille et administrative. Le Congrès vota un blâme énergique à Rouanet et à Fournière pour avoir manqué, dans la campagne législative de Narbonne, à la discipline du parti. Il repoussa le projet d'une manifestation au Père-Lachaise avec le drapeau rouge, et déclara « qu'il n'y avait qu'il n'y avait pas lieu d'organiser par des mesures publiques les forces révolutionnaires du parti ».

Par une heureuse innovation, il prescrivit à tous les membres du parti de se faire inscrire à leurs chambres syndicales ou groupes corporatifs respectifs.

Des propositions de conciliation » furent discutées. Mais le Congrès maintint la décision de Saint-Étienne, et se borna, d'une part, à conseiller aux groupes dissidents « de reprendre leur place dans le Parti qu'ils doivent mettre au-dessus des questions de personnes » ; d'autre part, à inviter « tous les groupes, à quelque école ou à quelque parti qu'ils appartiennent, à observer entre eux une neutralité absolue, et à diriger toutes leurs luttes contre tous les partis bourgeois sans distinction de nuance ».

Les résolutions les plus importantes du Congrès furent prises sur les questions d'organisation du Parti.

1o Le Comité national, formé de 20 membres, fut désormais élu au scrutin de liste par les fédérations (bien que la plupart d'entre elles n'eussent encore qu'une existence fort chétive ou presque nominale).

2o Un article du règlement (l'art. 21) qui interdisait aux élus du Parti l'accès du Conseil national fut rapporté.

Ces deux mesures sont à retenir, en ce sens qu'elles devaient prendre une sérieuse importance dans l'histoire du Parti possibiliste.

3o Le titre du Parti ouvrier socialiste révolu

tionnaire fut modifié probablement pour éviter la confusion avec le titre du nouveau groupement marxiste (Parti ouvrier). Tout en laissant aux fédérations régionales la faculté de conserver comme sous-titre le titre ancien, le Congrès donna à l'ensemble du Parti le nom de « Fédération des Travailleurs socialistes >>.

7o CONGRÈS DU PARTI OUVRIER, ROUBAIX, 1884. A Roubaix, du samedi 29 mars au lundi 7 avril 1884, le Parti ouvrier tint son premier Congrès depuis le schisme de Roanne.

On peut voir, par le titre même du Congrès de Roubaix, que les guesdistes n'entendirent point inaugurer une série nouvelle et distincte dans l'histoire des assemblées ouvrières. Ils se constituèrent en héritiers directs de la tradition. Ils ne voulurent pas renoncer au bénéfice des Congrès de Marseille et du Havre, dont ils avaient été en effet les véritables organisateurs. Se tenant pour les représentants légitimes du Parti ouvrier, ils continuèrent son histoire.

Le Congrès de Roubaix réunit seulement 26 délégués français représentant environ 60 groupes, cercles et chambres syndicales. Il tint dix séances privées et sept séances publiques, organisa sept meetings à Roubaix, Tourcoing, Lille, Gand et Paris. Il s'était ouvert « par une quadruple adresse de sympathie aux partis socialistes révolutionnaires de tous les pays, à la citoyenne Louise Michel et aux autres détenus de la République bourgeoise, aux grévistes d'Anzin, et au citoyen Henri Carrette, secrétaire de la fédération du Nord ». A côté des délégués français, on y vit deux représentants de la Democratic Federation d'Angleterre et d'Écosse Ernest Belfort-Bax et Quelch.

Dès le début, s'affirmait le souci du Parti ouvrier d'établir avec le mouvement socialiste international des relations fortes et régulières. Les adresses des socialistes étrangers, les ré

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