Page images
PDF
EPUB

OEUVRES

DE

MOLIÈRE

anal.

NOUVELLE ÉDITION

REVUE SUR LES PLUS ANCIENNES IMPRESSIONS

ET AUGMENTÉE

de variantes, de notices, de notes, d'un lexique des mots et locutions remarquables,
d'un portrait, de fac-simile, etc.

PAR MM. EUGÈNE DESPOIS ET PAUL MESNARD

TOME DIXIÈME

PARIS

LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie

BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79

-

1889

[merged small][merged small][ocr errors]

NOTICE BIOGRAPHIQUE

SUR MOLIÈRE.

Paul Mesnard.

Le nom de Poquelin est celui que le grand poète comique de la France a reçu de sa naissance. Au théâtre, il en prit un autre : MOLIÈRE sera toujours pour la postérité le vrai nom de ce fils de ses chefs-d'œuvre, le seul qui ne la désoriente pas. Derrière Molière toutefois Poquelin n'a pas entièrement disparu, non plus qu'Arouet derrière Voltaire.

C'est grâce au comédien qui a déserté leur boutique héréditaire, que les bons tapissiers Poquelin sont connus. Ils auraient pu lui dire, s'ils avaient parlé la langue poétique de la Fontaine :

Nos noms unis perceront l'ombre noire.

Cette famille d'honnêtes bourgeois, qui doit à Molière sa petite place dans le souvenir du monde, a été l'objet de patientes recherches1.

On l'a trouvée établie dès le quatorzième siècle à Beauvais, où elle ne s'éteignit qu'en 1787. Vers la fin du seizième siècle, des branches s'en étaient détachées, qui devinrent

1. Voyez au tome I, p. LXXIII des OEuvres de Molière (édition d'Auger), Paris, 1819, la Généalogie de Molière, dressée d'après les indications de Beffara; Jal, Dictionnaire critique de biographie et d'histoire au nom POQUELIN; et deux opuscules de M. E. Révérend du Mesnil, publiés à Paris, chez Isidore Liseux, 1879: la Famille de Molière, et les Aieux de Molière à Beauvais et à Paris.

MOLIÈRE, X

I

[ocr errors]

parisiennes. A l'une d'elles, dont la vie fut un peu moins longue que celle de la tige demeurée à Beauvais, et ne dépassa pas l'an 1723, appartient notre poète.

Un Jean Poquelin, marchand et bourgeois de Beauvais, qui fut échevin de sa ville en 1566 et en 1568, eut, entre autres enfants, un fils de son premier mariage, nommé, comme lui, Jean, qui alla s'établir à Paris, rue de la Lingerie1, près du cimetière des Innocents. Il y fut marchand tapissier. Sa boutique avait pour enseigne l'image de Sainte Véronique. Ayant épousé le 11 juillet 1594 Agnès Mazuel, fille et sœur de Violons du Roi, il en eut dix enfants. L'aîné de ces enfants (encore un Jean Poquelin), né en 1595, fut le père de notre Molière.

Ce Jean Poquelin, deuxième du nom, si l'on n'a égard qu'aux Poquelins de Paris, dont nous venons de parler, fut, comme son père, marchand tapissier; il est qualifié tel dans le contrat de son premier mariage, daté du 22 février 1621. Ce mariage fut célébré le 27 avril 1621*. La femme qu'il épousait était Marie Cressé, fille d'un tapissier, Louis Cressé, ou, comme il signait, Louis de Cressé, et de Marie Asselin, nièce d'un tapissier. Ainsi l'hérédité de cette profession dans la famille Poquelin était encore renforcée par les alliances,

1. Voyez, dans les Recherches sur Molière, par Eud. Soulié, le contrat de mariage entre le père de Molière et Marie Cressé, P. 127.

[ocr errors]

2. Ibidem. Dans l'acte de baptême de Molière, son petitfils et filleul, il est dit « porteur de grains ». C'était le titre d'une charge ou office, dont le titulaire faisait exercer le métier de porteur par des ouvriers à ses gages.

3. Ibidem, p. 128, et Dissertation sur J.-B. Poquelin-Molière, par Beffara (1821), p. 5. On a fait remarquer (voyez Molière inconnu, par Auguste Baluffe, Paris, 1886, p. 11) que cette aïeule maternelle de Molière, Agnès Mazuel, morte seulement en 1644, avait pu donner des soins à l'éducation de son petit-fils lorsqu'il eut perdu sa mère. M. Baluffe reconnaît que c'est problématique; nous n'ajouterons pas comme lui : « quoique probable ». Catherine Fleurette était là dès 1633. C'était à cette seconde mère qu'il appartenait de gouverner l'enfant.

4. Voyez aux Pièces justificatives, no 1.

ce qui était très conforme aux mœurs du temps. Molière se trouvait enfermé dans un cercle étroit dont il était invraisemblable qu'il sortît jamais.

On s'est beaucoup inquiété de connaître exactement l'emplacement, dans le vieux Paris, de la maison de ses parents, à l'époque où il naquit. Il y aurait peut-être malséant dédain à traiter de vaine une curiosité que le culte de la mémoire des hommes illustres rend très naturelle. Il est seulement permis de dire que savoir Molière né à Paris, c'est tenir l'essentiel. C'est pour nous autres Parisiens un honneur auquel nous ne sommes pas indifférents; c'est quelque chose de plus encore : il ne semble pas chimérique de trouver là une explication de quelques traits saillants de l'esprit de notre poète. Beaucoup l'ont bien senti, entre autres un récent et très acharné détracteur de sa gloire, que son parti pris d'hostilité nous dispensera généralement de citer. Mais cette fois M. Louis Veuillot doit être entendu : « Molière, a-t-il dit1, est le premier en mérite des écrivains célèbres nés à Paris. Après lui on cite Regnard, qui vint au monde sous les piliers des halles ; Voltaire, place du Harlay; Beaumarchais, près de la rue des Lombards; Béranger, rue Montorgueil, et enfin Scribe, rue Saint-Denis : tous aux environs des halles, tous, à différents degrés, dans la bourgeoisie active, et tous dans la boutique, ou à peu près. Il existe entre eux un air de quartier, un air de famille. On cite encore, parmi les Parisiens, Rutebeuf et François Villon, qui sont si bien de la même lignée. » Voltaire, Parisien «< ou à peu près3», aurait réclamé contre l'autre à peu près, celui de la boutique. A part cette inexactitude, que l'on croirait volontaire et d'un trop grand seigneur, la remarque est vraie et non sans portée. La lignée à laquelle Molière a été très justement rattaché par M. Veuillot, était aux yeux de celui-ci fort peu recommandable; mais il était trop fin lettré

1. Molière et Bourdaloue (1 volume in-12, 1877), p. 14, à la

note.

2. Rutebeuf est un Parisien au moins douteux. On le croit plutôt Champenois.

3. Il est né à Châtenay, près Paris.

« PreviousContinue »