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un degré de vérité et de perfection qui est mieux et plus que la nature. Il y avait là des têtes toutes de caractères différens; je n'ai jamais rien vu de beau et de vrai à ce point-là

En février, Duplessis présentait à l'Académie "deux estampes gravées d'après lui du portrait de M. Gluck, Musicien célèbre, pour obtenir la jouissance du privilège accordé à l'Académie par l'Arrest du Conseil d'Etat du Roy du 28 juin 1714, ce que l'Académie a accordé „ (Procès-verbal du 25 février).

Cet hommage officiel une fois fait à ses illustres confrères par le portraitiste, la gravure de Miger fut immédiatement mise en vente, et annoncée en ces termes dans le "Mercure de France, du mois de mars:

“Portrait fort ressemblant de Christophe Gluck, en médaillon, gravé avec beaucoup de soin et de talent, d'après le tableau de M. Duplessis, Peintre du Roi, par M. Miger; prix 2 1. 8 s. A Paris, chez Miger, Graveur, rue Montmartre, au coin de celle des Vieux Augustins.

On lit ces vers au bas du Portrait:

De l'art d'aller au cœur par des accords touchans,
Nul autre mieux que lui n'a montré la puissance;
Et de tous ses rivaux, c'est le seul dont les chants
Ayent charmé son Pays, l'Italie et la France, (1).

Ce portrait du Salon de 1775, dont les contemporains ont parlé abondamment, avait fait, de la part du consciencieux Duplessis, l'objet d'un grand nombre d'études; on en connaît plusieurs, du plus grand intérêt pour l'iconographie gluckiste; les unes sont peintes à l'huile, les autres sont des pastels très poussés, et qui peuvent être considérés comme des œuvres définitives.

"Parmi les préparations de cette toile, poussées jusqu'au point où elles sont elles-mêmes accomplies, écrit l'érudit biographe de Duplessis, M. Belleudy, il y a une sanguine qui montre un Gluck en quelque sorte inédit, qui ne ressemble ni au pastel qui a appartenu à M. Doisteau, ni au portrait à l'huile acquis par M. le docteur Tuffier, et exposé en dernier lieu à Berlin :

(1) Mercure de France,, mars 1775, pp. 195-196. Le graveur Miger, né à Nemours en 1736, mourut à Paris en 1820.

c'est l'auteur d'Orphée en méditation, grave et abstrait. Le pastel qui a atteint le prix de 71,000 francs à la vente de la collection Doisteau est manifestement une esquisse du grand portrait qui est au musée du Belvedere, un Gluck inspiré et composant au clavecin.

"Cet homme laid, assis dans un fauteuil de velours rouge,

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enveloppé dans une robe de chambre à ramages, avec un foulard passé autour du cou, et les deux mains croisées sur les partitions reliées d'Iphigénie et d'Orphée; ses petits yeux un peu obliques sont bridés par une forte patte d'oie, mais sa bouche est regulière et d'un pur dessin, son front est proéminent, et l'ensemble est sérieux et pensif; c'est Gluck dans l'intimité.

"Le même homme, vêtu d'un habit bleu vif à reflet saumon, les yeux levés au ciel, aux traits qui portent l'empreinte de l'âge et sont comme sillonnés par tout le labeur d'une vie, au front bombé, aux lèvres entr'ouvertes, c'est Gluck à son clavecin, transfiguré par l'inspiration et dominé par le démon de l'harmonie. C'est une interprétation, une mise en scène de Gluck,

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pour ses admirateurs, le petit groupe artistique qui entoure Arnaud; c'est l'étude qui a servi à la composition d'un des rares portraits de genre qu'ait peints Duplessis, celui de ce salon de 1775, que mademoiselle de Lespinasse est allée voir chez le peintre avec ses familiers et qui a excité leur enthousiasme. Dans ces deux toiles, Duplessis a déployé toutes ses facultés. Rivista musicale italiana, XXV.

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et employé toutes ses ressources et il a réussi à nous présenter le même personnage dans une heure de repos, de détente et de paix et dans une heure de création, de joie et d'inspiration „ (1). Le portrait du chevalier, exposé en même temps que celui de Louis XVI jeune (qui devint le portrait officiel du roi), excita la curiosité générale et l'admiration presque unanime des connaisseurs et des critiques.

sont

"Les portraits, écrivait le rédacteur de "Mercure toujours en grand nombre au Salon. Le concours des spectateurs s'est arrêté devant le beau portrait de S. M. Louis XVI, peint à l'huile par M. Duplessis. Ce portrait, ainsi que ceux de M. Allegrain, Sculpteur, et de M. Le Chevalier Gluck par le même Artiste, sont rendus avec une vérité dans les couleurs, une fermeté dans la touche et une finesse dans la partie des détails, qui ne laisse rien à désirer. C'est la nature même; mais la nature animée et saisie dans son moment le plus heureux. On a pu remarquer dans la tête du célèbre Musicien Allemand l'expression du génie inspiré,, (2).

"..... On voit que l'auteur s'est complu à tracer celui de M. Le Chevalier Gluck, tête de caractère, où il a voulu faire passer tout le génie de ce grand musicien, dit le continuateur des Mémoires secrets de Bachaumont. Il le représente assis, devant son clavecin, au moment de la composition. Il ne lui donne point cet air d'énergumène, ces tons forcés et violens qui annoncent plus l'impuissance que la véritable fécondité. Il a cette chaleur douce et soutenue qui produit sans effort. Tout ce que j'y critiquerois, c'est la perruque, accessoire dans le costume, sans doute, mais non essentiel. Il n'auroit pas été contre l'usage de le montrer la tête nue, ou enveloppée simplement d'un mouchoir, attribut plus pittoresque, (3), que nous retrouvons dans certain portrait célèbre de Chardin.

"Toutes les vérités de la nature sont rendues avec un art infini; on voit de plus dans cette tête l'expression d'un génie

(1) J. BELLEUDY, J.-S. Duplessis, Chartres, 1913, p. 49-50.

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inspiré,,, juge l'auteur des Observations sur les Ouvrages exposés au Salon du Louvre ou Lettre à M. le Comte de ** (1).

"On aime à voir M. Gluck, peint dans un moment d'inspiration, ajoute Lesuire, et l'on pense que le peintre, qui en a donné à cette figure, devait en sentir lui-même, (2).

Dans une autre critique du temps, la Lanterne magique aux Champs-Elysées, ou l'Entretien des grandes Peintres sur le Salon, le dieu Mercure conduit Rigaud et l'Argillière devant la toile de Duplessis; ce dialogue s'engage entre les deux ombres de ces illustres peintres :

"L'Argillière. - Par mes pinceaux! Je voudrais pour beaucoup qu'Orphée fût ici! Quelle âme! Quel feu! Quel naturel dans cette tête!

"Rigaud. Je vois la vérité de ce qu'on m'a dit. L'ami Duplessis est long à opérer. Voyez-vous comme cette main paroît fatiguée?

"L'Argillière.

Morbleu! C'est une furieuse envie de critiquer que de prendre garde à cela! Pour moi, la tête m'empêche de voir la main. C'est un portrait superbe!

"Rigaud. Eh bien! ne voilà-t-il pas l'Argillière qui s'emporte comme une soupe au lait!

"L'Argillière. - Hum! je ne sais qu'en dire... „.

Cette critique des mains du Gluck de Duplessis se retrouve sous la plume d'un peintre, Gabriel Bouquier, dont M. Belleudy cite des appréciations, encore inédites, sur le Salon de 1775:

"Le portrait du chevalier Gluck est un chef-d'œuvre digne d'entrer en comparaison avec tout ce que Van Dyck a fait de plus beau, écrit Bouquier: personne n'a rendu avec plus de vérité les différentes étoffes, le linge, les dentelles et les accessoires; mais les mains sont incorrectes; que Duplessis s'en corrige et il obtiendra le titre de roi du portrait,

Diderot de même, tout en constatant que les portraits exposés par le maître de Carpentras, en 1775, étaient de toute beauté,; ajoutait: "mais, disons tout, cette main du chevalier Gluch (126) n'est pas digne de lui „ (3).

(1) Par Jean-François Colson, dit Bachaumont.

(2) Coup d'œil sur le Salon de 1775, par un Aveugle, p. 15.

(3) Diderot, Œuvres complètes, édit. Assézat-Tourneux, t. XII, p. 21

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