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tions, contribuera à rendre plus fréquents les échanges d'idées et relèvera le taux vénal de la terre. Bien que le libre échange ait fait du bien à l'agriculteur et du mal à la culture, si dans la culture on introduit une sole à betteraves, la terre sera mieux travaillée; par suite, on cherchera à l'acquérir. Descendons la vallée limitée par l'Aubet, de Guéry, et la Seine, de Mantes à Meulan. Là nous trouvons, pour les villages des environs de Théméricourt, bien exposés au sud, des terres dans lesquelles la moisson est plus avancée. On recherche l'achat de ces terres chaudes et hâtives, mais on devrait revenir à faire des moutons; au moins le capital engagé avec ces animaux ne le serait pas pour six mois, un an au grand maximum. Ne multiplions pas ces spécimens.

Il y a chez le cultivateur du Vexin une espèce de superstition: Ne pas placer son argent, mais essayer d'acheter de la terre. Faire au moins deux récoltes par an. Peuvent-ils acheter? Oui. Prenons Arthies. Si l'ouvrier veut acheter petit à petit un lot de terre, ce sera à force de privations. Qu'aura-t-il comme terres, me demandera-t-on? Les mauvaises. Les efforts seront-ils couronnés de succès? Oui, certainement, s'il a l'écorce robuste et fortement trempée, si la réserve de patience et de résignation que rien ne peut ébranler, sous laquelle gémissaient nos pères que dix-neuf siècles d'efforts et de tentatives de toute sorte n'ont pas amenés à bénéficier des avantages matériels et moraux de la solidarité. Mais pourquoi, dira t-on, les mauvaises terres seront-elles sans partage? Étudions le territoire d'Arthies autrefois: les barons d'Arthies, les Ursulines de Gisors, le fief de Flumesnil avaient toutes les bonnes terres. Si quelques bonnes parcelles restaient, le petit cultivateur n'avait pas la prétention d'avoir les grands morceaux qui aboutissent sur les chemins. Pourquoi? Parce que les parents ne voulaient pas entendre parler de placements d'argent et le prix en était trop élevé.

L'effort de la population rurale pour acquérir la terre est une tâche noble sanctifiée par la sueur, mais aussi elle doit être éclairée par la science.

Conclusion: La France a dix fois plus de propriétaires fonciers que l'Angleterre. Elle en a autant que l'Autriche et l'Italie réunies et elle en a près de vingt fois plus que la Russie, qui occupe 5,770,000 kilomètres carrés, sans parler de ses possessions asiatiques, et qui surpasse en étendue tout le reste de l'Europe. Plus nous avancerons, plus la propriété a tendance à s'agrandir.

Il ne s'agit donc pas de développer en France la petite propriété, mais simplement d'alléger ses charges.

Les chiffres suivants sont à méditer, afin de ne pas jeter le découragement dans l'âme des paysans vexinois qui aspirent à être de petits propriétaires. Nombre de propriétaires fonciers avant la Révolution : pas tout à fait 4 millions;

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Ce chiffre de 8 millions est un minimum. Il est probablement inférieur à la réalité. Un grand nombre d'auteurs le portent jusqu'à 12 millions. Le contraire dans le xx siècle va se produire.

Si l'on classe les cotes d'après la superficie à laquelle elles correspondent. le calcul, portant sur plus de 14 millions de cotes, fournit les chiffres sui

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D'où il résulte que, sur le total de 14,074,801 coles, les 9/10 de coles se rapportent à des propriétés d'une contenance de moins de 6 hectares et les 3/4 à des propriétés de moins de 2 hectares.

Le régime dotal; ses avantages et ses inconvénients;

les régions où il prévaut et les modifications qu'il pourrait comporter.

C'est dans le pays de l'acre, c'est-à-dire dans le Vexin normand, que se retrouve la coutume du régime dotal, coutume usée depuis vingtcinq ans dans le département de l'Eure, mais qui persiste dans le Calvados et l'Ille-et-Vilaine. Fait à signaler: dans le Vexin français, nous ne connaissons aucun village où le régime dotal s'est pratiqué. Sans se réfugier dans de lointaines considérations, nous pouvons dire qu'avec le régime dotal on meurt avec son bien. Comme avantages, nous n'en voyons qu'un, et encore est-il permis d'appeler cela un avantage? il empêche le mari de gaspiller la fortune de sa femme. Avec ce système, que préconisait, en 1886, M. Charles Bachelier, conseiller général du canton de Magny-en-Vexin, on arriverait vite à la dépopulation.

Les modifications qu'il pourrait comporter se résument ainsi, d'après l'enquête sur place à laquelle nous nous sommes livré. On a dit quelque part que ce sont les idées qui gouvernent le monde. Alors, si on peut accepter pour les grosses fortunes le régime dotal, on ne peut pour quelques billets de mille francs le supprimer. Toutes les exceptions qu'on invoquera

(1) Acre: mesure de 22 pieds en général, car il y a la «petites et la grande acre". Donc l'acre de 22 pieds équivaut à 82 ares ou 160 perches.

ne feront que

cane.

confirmer la règle et les notaires n'y verraient que de la chi

Les loyaux serviteurs de l'agriculture s'appellent légion, et, quand, ces temps derniers, M. Georges Maurin a fait passer sous nos yeux tous les médaillons de ces vieux serviteurs dont la vie peut se résumer en ces deux mots labeur et devoir, il a su manier chacun de ses portraits de touches délicates, nous intéresser à la vie de ces humbles et nous faire partager l'émotion profonde et sincère qu'il a éprouvée lui-même dans la fréquentation de ces braves gens. Oui, mais ils n'étaient pas de Paris, n'y étaient peut-être jamais venus, et, comme tant d'autres, ils avaient payé leur part à la construction de l'Opéra et n'ont même pas dansé devant!

Pour retenir les jeunes à la campagne, il leur faudrait une construction qui les engageât à rester chez eux et non à aller à la ville manger ce que leurs parents ont gagné par économie, car, à bien regarder, on ne gagne que ce que l'on économise. Et pour avoir cette construction, on reconnaît, en même temps, qu'il importe de donner aux jeunes filles une éducation qui les prédispose à les armer pour la vie conjugale, qui les familiarise avec leur prochain rôle de femme et de mère. La Belgique l'a bien compris en créant des cours spéciaux pour les ménagères. L'Angleterre l'a imitée. A Paris, le conseil municipal est entré dans la même voie.

Il est certain que les jeunes hommes ne resteront pas indifférents à la certitude qui leur sera offerte d'un intérieur où tout sera ordonné et arrangé pour rendre la vie tranquille et douce.

Mon Dieu! mon fils, il n'y a point de serviteurs sans défauts, et vous savez qu'il faut maintenant de grandes précautions pour les gens que l'on prend. Ces paroles de Béline, dans le Malade imaginaire), nous amènent tout naturellement à présenter notre Étude sur le taux des salaires des ouvriers de ferme dans le Vexin pendant le x1x siècle.

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Ces notes et le tableau que nous présentons à la section des sciences économiques et sociales du 37° Congrès des sociétés savantes ne peuvent se parer du nom de mémoire. Encore moins prétendraient-elles être une réponse à l'importante 10° question du programme. Nous disons importante, à dessein, car toutes les sciences qui ont l'homme pour objet, soit dans l'exercice de la pensée ou dans l'appellation de ses joies, doivent se proposer pour but son bonheur et sa dignité. Séparées de cette tendance, les connaissances humaines restent vagues et sans influence; elles sont dans la région des idéalités. Les sciences économiques et sociales peuvent surtout prendre leur part de ce reproche.

L'étude des causes régulatrices du salaire a appelé depuis longtemps l'attention des économistes. Leurs conclusions n'ont pas toujours été les mêmes.

(1) Acte Ier, scène vi.

SCIENCES ÉCONOM.

N° 1.

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ils ont proposé, les uns le fond des salaires, les autres la concurrence, d'autres la productivité, etc. M. Levasseur, dans son rapport si lumineux, si magistral, fait ici même il y a deux ans, croit qu'il n'y a pas une cause, mais des causes diverses et qui se résument à la fois de l'offre et de la demande. Celle-ci n'est ni un truisme ni une tyrannie, comme on l'entend dire parfois; elle est simplement la constatation d'un rapport.

La productivité du travail la concurrence, le prix de la vie, la richesse générale du pays sont au nombre de ces causes").

Il faut distinguer le salaire nominal qui est le prix du travail payé en argent et le salaire réel qui importe surtout (2). Mais cela ne suffit pas; il faut, en outre, connaître le pouvoir social de l'argent, c'est-à-dire la somme de marchandises qu'il faut consommer et, par suite, la somme d'argent qu'il faut dépenser pour occuper un certain niveau social. L'ouvrier, comme le bourgeois, dépense beaucoup plus aujourd'hui que dans le commencement du siècle, non que la masse des produits manufacturés ait augmenté, mais parce qu'il a plus de besoins et, partant, plus de bien-être. L'ouvrier anglais ou américain dépense beaucoup plus que l'ouvrier français.

Quant aux machines et aux perfectionnements de l'outillage, c'est surtout ce qui augmente la productivité de l'ouvrier et, en même temps, son salaire nominal, et plus encore son salaire réel, ceci est exact pour les Vexins.

Le siècle qui va finir marquera dans l'histoire du monde par le nombre et l'importance des questions économiques et sociales qu'il aura vues éclore: application de ce qu'écrivait Stanley Jevons: «Le degré de civilisation et de prospérité d'un pays se mesure au nombre de ses lois sociales réglementant les rapports économiques.» «Il n'y a pas de question sociale, disait Gambetta, il n'y a que des questions sociales. Cette vérité se confirme chaque jour.

A plus forte raison, l'État ne doit-il pas persister dans cet esprit de tyrannie qui lui a fait jusqu'ici désavouer les départements et les communes qui avaient pris l'initiative de sages et prévoyantes mesures d'économie sociale et voter au plus tôt le projet de loi sur les conditions du travail dans les chantiers de l'État, des départements et des communes, actuellement soumis aux délibérations du Parlement. Le Parlement doit le voter, sous peine de mentir à toutes les espérances qu'il a fait concevoir, à tous les principes dont il se réclame, et suivre la voie où sont entrés les États-Unis (3),

(2) L'Ouvrier américain, par LEVASSEUR.

(1) En 1900, on ne payé plus du tout en nature et, certes, l'ouvrier y trouve son avantage: tels les boulangers, les charcutiers nomades.

(3 Notons qu'aux États-Unis le patron est plus tyrannique que le patron vexinois, à grus près» selon une expression locale.

qui ont, en ce sens, tant sous le rapport des salaires que sous le rapport des heures de travail, une législation très nette et très formelle.

Nos parlementaires devront se rappeler la réponse du syndic des marchands de Paris à Colbert, qui disait que le roi voulait faire fleurir le commerce et l'industrie et qui demandait les moyens de réaliser cette idée :«Ne nous entravez pas. "

Cela est certainement bien vrai, malheureusement. Le peuple, avide de jouir des richesses qu il a acquises, dépense en jeux et en banquets le temps qu'il peut enlever au travail.

Il y a aussi une question: Autrefois les domestiques faisaient partie de la famille; les maîtres étaient servis et pouvaient compter sur une fidélité, bien rare aujourd'hui. Sur dix servantes, quatre sont des voleuses. Il est triste d'avoir incessamment l'oeil ouvert sur ses domestiques, et l'on peut dire qu'à Paris il ne règne aucune confiance entre le maître et les serviteurs (1-98).

Mercier nous montre les servantes accoutumées à faire leurs paquets, passant de maison en maison, en baptisant du nom de baraque celle dont la cuisine est maigre et surveillée de trop près.

Nous terminerons l'exposé de cette question en disant, avec M. Albert Barbeau, qu'il ne faut pas prêter aux domestiques toutes les vertus d'un prétendu âge d'or; il faut encore moins les gratifier de tous les vices d'une civilisation corrompue. La moralité du serviteur dépend beaucoup de celle du maître. Dans la noblesse de cour, chez les hommes de finance où le plaisir et le gain formaient les seules règles de la conduite, il était naturel qu'il y eût des valets débauchés et cupides. Au milieu des classes inférieures de Paris, il était vraisemblable qu'il y eût des servantes infidèles et légères. Dans la petite bourgeoisie de province, économe, régulière et sévère dans ses mœurs comme dans ses principes, la domesticité conservait un caractère d'honnêteté et de dévouement plus difficile à rencontrer dans les grandes villes. Ce même en l'an 1900.

Pour conclure, nous dirons que la question des salaires est une des questions les plus graves et les plus complexes, et, de plus, douloureuse entre toutes. Ce problème intéresse plus de 10 millions de travailleurs français; il s'affirme menaçant au seuil du xx siècle, car il nous faut rejeter impitoyablement les écrits de Mercier dans son Tableau de Paris.

L'enquête particulière qui nous a permis de dresser ce tableau prouve bien que les salaires sont naturellement proportionnels à l'intensité de la culture. Nous allons en augmentant le salaire du double. Notre tableau met en pleine lumière la vie rurale d'un coin de la France. Ces notes, prises à leur origine même, font saisir l'une des grandes fluctuations et, par suite, un énorme malaise du pays; ce tableau et les monographies de ferme qui ont porté sur ce point constatent unanimement ce phénomène que la hausse des salaires semble avoir été plus rapide que celle des fer

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