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Il est intéressant de remarquer que son adoption a provoqué certaines résistances de la part des socialistes. Au lieu d'accepter franchement ce principe que tout travail doit être envisagé juridiquement de la même manière, ils ont, au cours de la discussion, tenté d'introduire des distinctions qui, si elles eussent été acceptées, auraient été vraiment un recul et non un progrès. Les députés Frohme et Stadthagen proposèrent notamment de restreindre le principe dont je viens de parler au contrat de louage de service comportant un travail domestique ou impliquant contrat de travail (Arbeibsvertrag) pour un but industriel entre patrons et ouvriers. On aurait soumis à un autre régime le louage ou la prestation des autres services. Cela aurait fait l'objet d'un autre contrat: Werkvertrag.

En d'autres termes, les socialistes ont protesté contre l'assimilation que la majorité des députés a admise entre le travail manuel et le travail de l'esprit, voulant mettre systématiquement dans une usine l'ouvrier qui fait tourner une machine ou qui donne un coup de marteau au-dessus de l'ingénieur et du patron. Ou du moins, pour eux, le travail intellectuel ne devrait être rémunéré que s'il réussit, s'il correspond à quelque chose d'utile, tandis que le travail manuel doit être rémunéré dans tous les cas, même quand il n'aboutit effectivement à rien. Les socialistes ont complété leur pensée en disant que le travailleur intellectuel ne devait être payé qu'au moment où son travail entrait dans la circulation, au moment de l'enlèvement de son œuvre, au moment où il était manifeste qu'elle avait réussi, tandis que l'ouvrier a droit au payement immédiat du travail qu'il a effectué. En d'autres termes, le travailleur intellectuel seul, et non le travailleur manuel, a des risques à courir. L'idée de Klassenkampf a été nettement formulée dans ce débat, et les députés qui ont pris la parole au nom du parti ouvrier n'ont pas dissimulé leur désir d'opposer la classe des ouvriers aux autres classes sociales; ils ne semblent pas s'être demandé si leur motion ne tendait pas à reconstituer une classe de privilégiés et à faire œuvre de réaction dans un très mauvais sens du mot. Après une proposition semblable, les socialistes ont mauvaise grâce vraiment à reprocher à leurs adversaires de faire une œuvre de parti, une Parteigesetzgebung, une Klassengesetzgebung. Ce sont eux, manifestement, qui voulaient faire une législation de classe.

Le nouveau Code civil n'a réglé d'ailleurs que dans ses grandes lignes le contrat de travail.

C'est aux législations territoriales, aux Landesrechte, qu'il appartiendra de combler certaines lacunes du Code, par exemple de régler la situation des employés ou des professeurs de diverses catégories.

Il existe, en outre, des lois spéciales qui ne sont pas abrogées et dont les dispositions doivent se combiner avec celles du Code: je veux parler du Code industriel ou Gewerbeorduung qui concerne les ouvriers de la grande indu

(1) Stenogr. Berichte. Séance du 22 juin 1896, p. 2792-2800.

SCIENCES ÉCONOM. N° 1.

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strie, du Code de commerce dont plusieurs articles concernent les employés de magasin, du Seemansordnung qui parle des matelots et bateliers. Il existe enfin une loi spéciale (Gesindeordnung) pour les domestiques, qui n'est pas abrogée, mais qui est complétée par les articles 616 et 617 du nouveau Code, articles renfermant des dispositions nouvelles fort importantes, aux termes desquelles le domestique a droit au payement de ses gages pendant quelques jours de chômage, droit soit contre le maître, soit contre la caisse d'assurances. Ces prescriptions se rattachent étroitement à l'ensemble de la réglementation ouvrière allemande dont je ne peux parler ici.

Je me contenterai d'ajouter, à cette esquisse bien incolore, deux brèves indications.

Plusieurs des dispositions concernant la location de maisons ou logements ont un grand intérêt pour les ouvriers, notamment l'article 544, qui a été manifestement édicté dans l'intérêt des classes ouvrières et s'exprime ainsi : Lorsqu'une maison ou un logement est disposé de telle sorte que son séjour est dangereux pour la santé, le preneur peut dénoncer (c'est-à-dire annoncer qu'il quitte) sans oberver les délais habituels, et cela quand même il aurait connu cette situation au moment où il a passé le contrat, et quand même il aurait renoncé à faire valoir ses droits à ce sujet.»

La question des habitations ouvrières, la Wohnungsfrage, a une grande importance dans cette Allemagne qui s'industrialise de plus en plus. L'article 544 renferme une disposition importante. Il prouve que le législateur s'est préoccupé de la santé du locataire et de sa famille (préoccupation qui ne hantait guère le cerveau de notre législateur de 1804). On pourrait même rapprocher cette disposition de celle que je mentionnais précédemment concernant l'usure. On a entendu lutter contre cette usure en matière de logements dont les classes ouvrières sont si souvent victimes. Et en même temps, en déclarant que l'article serait applicable même au cas de renonciation au moment du contrat, on a voulu empêcher toute manœuvre captieuse de la part du loueur; on a même, sur la demande des socialistes, déclaré que le principe formulé dans l'article 544 serait applicable aux logements où on travaille, comme à ceux où on habite.

Je dois mentionner, en second lieu, une autre disposition également intéressante pour l'ouvrier. C'est celle de l'article 559 aux termes duquel le bailleur d'un immeuble a, pour sûreté de ses créances résultant du bail, un droit de gage sur les objets apportés par le locataire. Mais ce droit de gage ne s'étend pas sur les sommes qui peuvent être dues ultérieurement pour indemnités ou pour des loyers dépassant l'année en cours ou l'année sui

vante.

Gette restriction du droit du bailleur est plus exacte que celle du droit français. Elle n'a pas été admise sans discussion. Le premier projet étendait le droit de gage à tous les loyers actuels et futurs.

A la suite d'intéressantes propositions des députés Auer et Frohme, qui voulaient supprimer complètement le droit de gage du propriétaire, puis du député du centre Graber, on a limité le droit de gage à un double point de vue au point de vue des choses sur lesquelles il porte, et au point de vue de la façon de l'exercer. Il importe de remarquer que ce sont seulement les choses appartenant au locataire qui sont l'objet du gage.

Ce n'est pas seulement au point de vue des ouvriers en général que le Code civil allemand renferme des dispositions nouvelles et importantes. Il y aurait aussi une étude à faire sur les dispositions qui concernent plus spécialement les ouvrières; sur certaines réformes matrimoniales, sur le droit laissé à la femme par les articles 1366 et 1367 qui lui réservent non seulement ses effets d'habillement, ses instruments de travail, mais ce qu'elle gagne par l'exercice personnel de son industrie; sur la façon dont on entend protéger la jeune fille séduite, etc.

J'aurai l'honneur de présenter bientôt à la Société de législation comparée, et de consigner, dans un chapitre du livre que je prépare sur la question ouvrière en Allemagne, des renseignements plus complets.

Je n'ai pu aujourd'hui que vous donner un aperçu de l'intérêt que présente le nouveau Gode civil allemand pour tous ceux qui sentent l'importance de certaines solutions législatives pour ces masses ouvrières qui tiennent une si grande place dans nos sociétés contemporaines.

M. LE PRÉSIDENT remercie M. Blondel de sa très intéressante communication. Il indique l'importance considérable du particularisme allemand et l'effort de codification qui s'accomplit sur un seul point: l'augmentation des salaires et des honoraires. M. le Président indique que le travail de M. Blondel aurait besoin d'être précisé.

M. BLONDEL explique que le Code civil allemand a laissé la rémunération de ces deux genres de travaux à l'appréciation des tribu

naux.

M. DE LA MENARDIÈRE pense que la différence entre deux ordres de travaux s'imposera toujours: premièrement, ceux qui peuvent être comparés à d'autres travaux d'une même nature ou pour lesquels existent, à l'égard d'autres travaux, les éléments d'une commune mesure; et, secondement, les travaux qui de leur nature sont sans commune mesure avec la rémunération pécuniaire à laquelle ils peuvent conduire.

Mais, en plaçant sur le même plan tous les ordres de travaux au point de vue de leur noblesse ou de leur mérite moral, la législation exprime une idée juste en elle-même et utile en ce sens surtout qu'elle répond à une analyse insuffisante et à un préjugé de quelques écrivains socialistes.

SÉANCE DU JEUDI 7 JUIN 1900.

SOIR.

PRÉSIDENCE DE M. PASCAUD,

CORRESPONDANT DU MINISTÈRE.

Assesseur M. Charles Lucas, de la Société centrale des architectes français.

Secrétaire M. Léon SALEFRANQUE, de la Société de statistique de Paris.

La séance est ouverte à 2 heures 1/4.

M. Léon SALEFRANQUE, de la Société de statistique de Paris, lit le mémoire suivant sur La fortune privée en France.

L'Administration de l'enregistrement a publié, il y a quelques mois, les résultats de l'enquête qu'elle a effectuée en 1898 sur les valeurs, classées par nature de biens, qui ont été comprises au cours de cette année dans les donations et les successions.

Nous nous proposons d'examiner l'économie de cette enquête qui mérite d'autant plus de retenir l'attention que, cette fois, l'Administration est sortie du domaine purement fiscal et qu'elle s'est attachée à réaliser une statistique économique. Nous en analyserons les résultats généraux et nous rechercherons les indications qu'ils sont susceptibles de fournir au point de vue de la répartition de la fortune privée dans notre pays.

On sait que les comptes définitifs des recettes, annuellement rendus par le Ministre des Finances, font connaître, pour l'ensemble du territoire et pour chaque catégorie de bénéficiaires, le nombre des perceptions effectuées en matière de donations et de successions, le montant des droits constatés au profit du Trésor, l'importance des capitaux assujettis à l'impôt (1).

Les constatations sont dépouillées, au jour le jour, dans les bureaux de recette, tant en nombres qu'en sommes, dans l'ordre des articles du tarif. Quant aux valeurs taxées, elles ne résultent pas d'un dépouillement direct, elles sont calculées, après coup, sur l'ensemble des droits perçus au même taux.

(1) Budget général, S 1", Impôts: Article 3, Produits de l'enregistrement,

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