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prend les précautions prises par ceux qui l'entreprenaient. Les trois cent quarante lieues qui séparaient Paris du sanctuaire vénéré étaient pleines d'embûches Saintonge hérétique, navigation périlleuse (à Blaye, à Bordeaux), Landes humides, Biscaye inhospitalière, froid intense au mont Étuves, sans compter les hôteliers voleurs et assassins, les bandits aux aguets, ni les influences morbides du manque d'hygiène dans des contrées aux températures changeantes et funestes.

Des choses nécessaires

Il faut être garni,

A l'exemple des Pères
N'être pas défourni

De Bourdon, de Mallette,
Aussi d'un grand Chapeau;

Et contre la tempête

Avoir un bon Manteau.

Ainsi s'exprime l'auteur de la Chanson du devoir des Pèlerins.

Et plus loin, parlant des montagnes qu'il faut traverser :

En ces tristes demeures

Vous n'aurez pas souvent
Pain et vin à vos heures,
Quand n'aurez de l'argent
De coucher sur la dure

Ne vous ennuyez pas...

Une chanson du même cru (Histoire arrivée à deux Pèlerins), fait une discrète allusion aux contrats dont j'ai cité des exemples:

Ces chers Pèlerins François,

Tous deux se promirent la foi,

De vivre et mourir l'un pour l'autre
Dans toute adversité,

Qui viendroit l'un à l'autre

En leur nécessit

Une autre chanson nous montre un pèlerin exerçant l'assistance jurée :

Quand nous fûmes à Montserrat,

Mon compagnon devint malade,

Dont j'eus cœur très dolent,

Du pain de ma malette,

J'en donnai le plus blanc,

J'allais le réconfortant.

Quand nous fumes à la Ravelle,

Mon Compagnon fut mis en terre,
Dont j'en ai le cœur dolent,

J'ai cherché dans sa pochette,
Je n'y ai trouvé qu'un blanc,
C'est pour écrire une lettre
Pour porter à ses Parens...

Les chansons des Pèlerins de Saint-Jacques, imprimé à Compostelle (à Troyes), s. d. (permission de 1718). Bibl. de Troyes.

III. Contrat Girardon-Simon.

Du treizie iour de may gvj soixante auant midy en lestude de Vynot, no". Fut put Jean Girardon, marchand mercier, deme a Troyes, fils de Nicolas de Blaismes Girardin (sic), ses pere et mere, deux licentiée et authorisée pour leffect des pñtes dvne part, et Guillaume Simon, marchand mercier, deme aud Troyes, lesquelles partyes reconnurent sestre associez lun auec lautre a perte et a gain au proffict de leur negoce, lequel ilz feront conioinctement lvn auec lautre dans toutes les villes et provinces quils jugeront a propos daller et de le pure volonte et mutuel consentement, et en cas de maladie de lvn ou de lautre demeure le conualescent dans le lieu ou autre sera detenu malade pour le soulager et sera neammoing le gain que lautre pourra faire pendant la maladie de lautre avec luy commun, moye laquelle association led. Simon sera tenu et a promis et promet de faire entrer en lad. societé et donner en marchandise la valeur de soixante et seize liures dix sols, et de la part dud. Girardon led. Girardin a promis et promet de luy donner en marchandise la valeur de la somme de cent liures par advancement dhoirie et de tout ce qui pourra luy appartenir de la succession de ses pere et mere, et lacquitera de toutes debtes jusques a pñt, lesquelles sommes de cent et soixante et seize liures dix sols entreront dans la societe et sera commune entre eux pour traffiquer a perte et a gain comme dit, et en cas de mescontent de lvn ou de lautre, pourront se departir de lad. association sans quil puisse pretendre aucuns despens dommages et interests Ivn avec lautre; ce faisant, reprendront chascun ce qu'ils auront apporte en lad. societe, et quand aux gains, se partageront par moitie et soufriront pareille la perte. Promettans oblige renons et ont signe a reste dud, Girardon fils qui a declaré ne scauoir signer de ce interpelle et notiffie de faire sceller.

Nicolas GIRARDON.

VYNOT.

Guillaume SIMON.

[Étude Champeaux.]

M. LE PRÉSIDENT remercie M. Louis Morin de sa très intéressante communication qui pourrait avec avantage être publiée avec la copie de certains des contrats analysés en annexe.

La parole est donnée ensuite à M. pe BEYLIÉ, de l'Académie delphinale, correspondant du Ministère, pour la lecture de ses mémoires 19 l'Esprit d'association dans les Alpes dauphinoises; ao Statistique et situation des corporations en Dauphiné pendant la deuxième mpitié du XVIIIe siècle.

Le premier de ces mémoires est ainsi conçu :

Si j'entreprends, à propos de l'esprit d'association en France, d'appeler l'attention sur ses manifestations dans les Alpes dauphinoises, ce n'est pas seulement parce que ce sujet n'est plus familier, c'est surtout parce que, sur la surface du territoire français, les montagnes constituent l'une des zones privilégiées où cet esprit montre le plus de vitalité.

A quoi la supériorité que je signale tient-elle?

Le titre même que j'ai donné à mon sujet peut le laisser deviner. J'y mets à dessein en vedette ces deux expressions «l'Esprit d'association et les Alpes, parce que je veux faire paître l'impression qu'une corrélation existe entre elles. Je veux indiquer, dès le début, que les suggestions de la montagne ne sont pas étrangères au développement de l'esprit d'association dans la région des Alpes.

Assurément ce n'est pas la montagne qui engendre cet esprit; it tient à l'essence de la nature humaine; il existe dans tous les pays du monde, les plats comme les montagneux, il est vieux comme le monde, mais il se développe plus ou moins suivant le milieu, et je crois que la montagne est up milieu qui lui est particulièrement favorable, comme il est également favorable, le prouver serait facile, au développement des sentiments de bienfaisance et d'indépendance, à tout ce qui tient à l'esprit de solidarité. Mais je ne veux pas sortir de mon sujet, et sur ce dernier point je me bornerai à une simple affirmation.

En ce qui concerne l'esprit d'association, nous allons parcourir rapidement les faits positifs et nombreux sur lesquels cette démonstration s'appuie.

Un auteur contemporain jouissant d'une grande notoriété dans le monde des études sociologiques, M. Demolins, a soutenu avec éclat l'opinion que j'adopte à mon tour en y apportant l'appui de quelques arguments nouveaux. Il a exposé sa thèse dans un ouvrage relativement récent intitulé: Les Français d'aujourd'hui.

Le principe de l'influence des milieux est comme tous les principes: poussé à l'extrême, il peut prêter à de faciles railleries.

M. Demolins y a donné prise par des déductions peut-être trop absolues, résumées en des formules à l'allure paradoxale.

A force de diviser et de subdiviser les milieux, il en arrive à affirmer qu'il y aurait un homme du châtaignier, un autre de la navigation fluviale, un troisième du pâturage, etc.; immédiatement on a plaisanté sur le rôle

d'éducateurs des châtaigniers, des fleuves et du foin, et vous voyez d'ici tous les quolibets auxquels on pouvait aboutir. Et pourtant l'auteur n'a point dit une sottise. A vrai dire, il ne suffit pas de vivre à l'ombre du châtaignier, au sein des pâturages, au bord des fleuves pendant une année scolaire pour en revenir avec des mœurs nouvelles, mais il est évident que certaines cultures, comme certaines industries, peuvent engendrer, par les usages qu'elles comportent, des habitudes intéressantes au point de vue social, développer des sentiments particuliers chez ceux qui les pratiquent longtemps.

La part de la plaisanterie faite, il n'est pas douteux que le milieu, non pas seulement moral, mais géographique, mais professionnel, exerce une influence sur les mœurs, c'est-à-dire sur l'éducation de l'homme. Et la montagne notamment est un milieu avec lequel on doit compter.

Pour en revenir à l'influence qu'elle exerce sur le développement de l'esprit d'association, voici à la suite de quelle série d'observations M. Demolins y conclut

:

Ayant étudié entre autres types ceux des Français des Hautes-Pyrénées et des Basses-Alpes, pays de montagnes et en même temps de pâturages, il constata que les habitants de ces régions avaient une tendance particulière à l'association.

Il attribua ce fait à l'exploitation pastorale qui, pendant de longs siècles, a été l'exploitation dominante dans ces contrées. Il se fondait sur ce que l'exploitation pastorale est par essence communautaire, qu'il s'agisse des pâturages des montagnes ou de ceux des steppes immenses de l'Asie et de l'Afrique.

L'herbe, disait-il, est un produit spontané; le pasteur n'a pas le même motif que le cultivateur pour revendiquer l'appropriation du sol herbu. Il lui suffit de pouvoir faire pâturer ses troupeaux librement et collectivement.

Les parties herbues de la montagne demeurent à l'état de bien commun, l'exploitation communautaire à laquelle elle donne lieu favorise la constitution de la famille patriarcale, sorte de tribu où les collatéraux vivent réunis sous le même chef avec toute la descendance directe. Ce type de famille survécut même parfois par la force de la tradition à l'exploitation pastorale intense.

Témoin les familles que le grand économiste Frédéric Le Play put observer encore en 1856 dans les environs de Cauterets et dans la vallée d'Ossan, dans les Pyrénées, et qu'il a rendues célèbres dans le monde des sociologues par ses études.

Toutes ces familles se sont, depuis, désagrégées sous l'empire des conditions nouvelles de la vie et du contact de plus en plus fréquent avec la civilisation moderne.

Mais, de même que la famille patriarcale survécut longtemps à l'âge de l'exploitation pastorale intense, de même Demolins observa que les membres

des familles précédemment décrites et dont il avait pu retrouver les traces avaient conservé de l'habitude de la société familiale une certaine propension à l'association, bien qu'elles fussent désormais moins unies, et sa remarque, à cet égard, s'étendit à l'ensemble des familles de la région explorée par lui.

Ainsi les hasards des circonstances ayant amené un courant d'émigration de la région de Cauterets et de la vallée d'Ossav (Pyrénées) vers la République Argentine, M. Demolins a noté que les émigrants partaient en groupes organisés et que, une fois arrivés à destination, ils se formaient en associations de travailleurs, offrant leurs services, à la façon des Artel russes, grandes exploitations agricoles ou pastorales.

aux

Les observations du même auteur sur la région de Barcelonnette dans les Basses-Alpes l'amènent aux mêmes conclusions.

Le pays de Barcelonnette est un pays où le pâturage et l'exploitation pastorale jouent encore un rôle important. Mais, comme partout, les familles ont dû se disperser. Eh bien, ceux des habitants qui sont amenés à émigrer agissent d'une façon analogue à celle dont se comportent les Pyrénéens.

Depuis environ cinquante ans, une partie de l'émigration des gens de cette région surnommée les Barcelonnettes a pris la direction du Mexique. Les Barcelonnettes ont accaparé, là-bas, presque tout le commerce des tissus et des articles de Paris. Ils y possèdent cent trente-deux établissements faisant annuellement plusieurs centaines de millions d'affaires.

Or, de même que les Pyrénéens, les Barcelonnettes partent en bandes encadrées, dirigées par des chefs. Arrivés au Mexique, ils sont recueillis par leurs compatriotes, avec lesquels ils vivent et travaillent en communauté, qui les forment et les dirigent, jusqu'au jour où ils peuvent voler de leurs propres ailes; dans ce cas on leur avance les fonds nécessaires pour monter une nouvelle maison.

Il y a, de plus, une fédération entre les différentes maisons de commerce fondées par les Barcelonnettes pour se soutenir entre elles.

Ces faits tendent à démontrer que la montagne, par nécessité de l'exploitation de ses pâturages, a développé chez ses habitants l'aptitude à s'associer; je n'y contredis pas.

Mais je trouve que, dans ses conclusions, M. Demolins est, d'une part, trop absolu (dans la montagne le pâturage n'est pas le seul facteur de l'esprit d'association); il est, d'autre part, trop réservé; chez les montagnards, une fois la communauté familiale détruite, l'esprit d'association n'attend pas, pour se réveiller sous une autre forme, qu'ils aient émigré en Amérique, dans la République Argentine ou au Mexique, non, il se transforme sur place, et très certainement M. Demolins, dans les régions qu'il observe, aurait faire facilement d'intéressantes remarques à ce sujet, du genre de pu celles que j'ai pu faire sans me déplacer.

J'ai pu, au cours de mes recherches sur les Alpes, constater, comme par surcroit, que, dans les Pyrénées, ce n'est pas seulement au centre du massif,

SCIENCES ÉCONOM.

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