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portant, est celui de la jouissance, pendant le mariage, des biens propres de la femme.

Le résultat de l'évolution décrite, c'est que son avenir n'est ni dans le sens du régime dotal, ni dans celui de la communauté, si nous prenons l'ensemble des pays, mais dans celui de la séparation de biens. L'extension du divorce est parallèle. Des époux qui ne doivent plus nécessairement vivre toujours ensemble ne peuvent confondre non plus tous leurs biens définitivement; au contraire, la communauté semblait le corollaire de l'indissolubilité. Si ce point est atteint, il y aura confluent de tous les régimes, comme au commencement. Les idées croissantes d'autonomie de la femme y poussent irrésistiblement. Est-ce à dire que la séparation soit le meilleur des régimes? Nullement. Mais elle semble actuellement le point terminus.

Nons verrons bientôt quels dangers elle présente; cependant, au point de vue évolutif, il faut nous y arrêter et finir par elle. Mais auparavant nous avons situé, ce qui était indispensable, dans le temps et la logique le régime dotal.

CHAPITRE II.

ÉTAT DE DROIT Et de fait du régime dotal à l'étranger.

Cette description sera courte, car le régime dotal est peu répandu. On peut dire que les peuples germaniques l'excluent en principe; les peuples latins l'ont seuls conservé, mais partiellement.

Parmi les peuples latins, outre la France, le régime dotal s'est conservé en Italie, en Espagne, en Portugal, mais il s'y est très atténué: il a presque disparu dans les républiques hispano-américaines. La Belgique l'admet et le réglemente par imitation ou plutôt par adoption du Code français. Il a subi, d'ailleurs, des modifications importantes.

En Italie, le Code de 1865 admet et organise deux régimes parallèles; celui de la société d'acquêts et le régime dotal; on peut, du reste, cumuler les deux. Il n'y a pas de régime légal. A défaut de convention, tous les biens sont paraphernaux, ce qui se rapproche de la séparation de biens. Cependant il résulte du texte que le régime fondamental est resté le régime dotal, sauf la présomption de paraphernalité, et qu'il est le régime présumé, la communauté d'acquêts n'est que permise. Ce régime a donc en Italie conservé une grande importance.

Le mari a seul l'administration et la jouissance de la dot, mais il peut être convenu que la femme touchera une partie de ses revenus sur sa simple quittance. Au cours du mariage, le mari, en cas de mauvaise fortune, peut être contraint de donner caution (art. 1400) ce qui évite la séparation de biens. Il est propriétaire de la dot mobilière estimée, mais non des immeubles. L'inaliénabilité de la dot n'est point adéquate à celle édictée en France; l'immeuble peut être aliéné ou grevé du consentement des deux

époux, et avec l'approbation du tribunal qui ne la doit donner que dans des cas de nécessité ou d'utilité évidente, mais ces cas ne sont ni limités ni même indiqués; le remploi est obligatoire. L'inaliénabilité persiste, d'ailleurs, après la séparation de biens. Enfin, la dot peut être saisie, après la dissolution du mariage pour les dettes contractées par la femme pendant son

cours.

En Espagne, il y a aussi deux régimes: celui de la communauté d'acquêts et le régime dotal. Ici c'est la dotalité qui est la règle, et la paraphernalité l'exception. Le mari ne devient propriétaire de la dot que si elle est estimée, et elle est garantie par une hypothèque spéciale. Il en a l'usufruit. La femme peut aliéner et grever, avec le consentement de son mari ou de justice, ses immeubles dotaux, on voit que la dotalité est très faible. La femme conserve la jouissance de ses paraphernaux.

Au Portugal, le mari a le droit d'aliéner les meubles compris dans le régime dotal. Les inmeubles sont inaliénables, sauf les mêmes exceptions qu'en droit français. Voici les dispositions remarquables qui s'éloignent de celles de notre droit : 1° lorsque la vente est autorisée, elle ne peut avoir lieu que par adjudication aux enchères publiques: 2° lorsqu'il s'agit de vendre pour doter un enfant commun, la valeur aliénée ne doit pas excéder la réserve de l'enfant qu'il s'agit de doter, augmentée de la quotité disponible; nous verrons qu'en droit français, au contraire, l'aliénation pour doter n'est soumise à aucune limite; 3° la revendication, en cas de vente non autorisée, peut avoir lieu contre les tiers acquéreurs, même en ce qui concerne les meubles, par une action nécessaire, ou en cas de mauvaise foi ou de titre gratuit; 4° enfin la femme ne possède pas d'hypothèque pour la restitution de ses paraphernaux.

Les républiques hispano-américaines semblent ignorer le régime dotal; en tous cas, elles ne le réglementent pas dans leurs codes. C'est ainsi que l'article 1252 du Code argentin déclare la dot aliénable du consentement des deux époux, en ce qui concerne les immeubles, et par le mari seul pour les meubles; la dot a le même sens que celui de biens propres. Du reste, les époux peuvent établir une société conjugale.

Cependant, au Mexique, la dot immobilière est inaliénable d'une certaine manière. C'est le mari qui a l'administration et la jouissance de la dot, il a le droit de disposer des meubles; il ne peut aliéner les immeubles ni les grever, à moins qu'il n'assure la restitution du prix par une hypothèque constituée sur ses biens, pourvu que la constitution n'interdise pas cette aliénation. La femme peut aliéner ou hypothéquer les immeubles ou les meubles précieux dotaux pour doter ou établir ses enfants d'un autre lit. Enfin les deux époux peuvent aliéner: 1° pour doter les enfants communs; 2° pour donner des aliments à la famille; 3° pour payer les dettes de la femme ou des constituants, antérieures au mariage et constatées par un acte authentique: 4° pour sortir de l'indivision; 6° pour échanger ou remployer:

7° en cas d'expropriation pour cause d'utilité publique; la vente doit alors se faire aux enchères. Que si la vente n'excède pas cent pesos, on n'exige aucune formalité. La femme peut agir en annulation de la vente du fonds dotal, même pendant le mariage et même si elle y a consenti, mais s'il s'agit de meubles précieux, elle ne peut recourir que contre le premier acqué reur ou le tiers de mauvaise foi.

Au Pérou, le mari a l'administration et la jouissance de la dot, mais il ne peut ni aliéner, ni hypothéquer les biens dotaux sans le consentement de sa femme, si ce n'est avec l'autorisation de justice dans les cas suivants : 1° pour fournir des aliments à la famille; 4° pour les réparations nécessaires : 5° en cas de partage de biens indivis; 6° pour employer à l'exercice d'une industrie avantageuse; 7° quand les immeubles sont éloignés et qu'il est avantageux de vendre pour acquérir des biens plus rapprochés; le juge, avant d'accorder l'autorisation, devra entendre la femme; si le mari ne possède pas des biens suffisants pour répondre, le juge ne pourra accorder, sans le consentement de la femme, que pour doter les filles ou établir les fils. Mais nulle disposition ne défend de vendre avec le consentement réciproque du mari et de la femme; il n'y a donc pas véritable régime dotal. Il faut, et cela suffit aussi, le consentement mutuel pour aliéner les paraphernaux. Une règle curieuse, c'est que, s'il n'y a pas de dot constituée, la moitié des paraphernaux est remise au mari et lui sert de dot.

Le système dotal ne semble pas régner en Suisse, ni dans les cantons français, ni dans les cantons allemands; on ne le trouve pas non plus en Hollande.

Nous avons vu que la dotalité n'existe point en Angleterre, dans le sens du régime dotal, mais que cependant la femme peut appliquer l'inaliénabilité absolue qui en résulte à certains biens, au moyen de la clause de restriction against anticipation.

Dans le groupe germanique, le régime dotal n'est pas indigène; il n'existe que par importation, depuis l'époque de la réception du droit romain; il n'apparaît que par massifs détachés, entourés de pays de com

munauté.

Cependant il devient quelquefois assez fort pour constituer le régime légal; ailleurs, il devient le droit commun du mariage, applicable subsidiairement à défaut de contrat de mariage ou de loi locale. Il est régime légal en Hanovre, dans une grande partie de la Hesse électorale, au duché de Luxembourg, dans celui du Brunswick, dans la plus grande partie du Mecklembourg royal, et ailleurs très sporadiquement; enfin, en Bavière. C'est surtout dans les grandes familles qu'il est usité.

Mais dans tous ces pays il a subi des modifications importantes, notamment les suivantes: 1° la dot peut être constituée ou modifiée pendant le mariage, ce qui est absolument contraire aux principes de notre droit; 2° la femme a une action contre ses père et mère pour réclamer une dot,

et souvent l'immeuble dotal peut être aliéné moyennant un consentement sous serment de la femme; en Hanovre, il faut de plus l'autorisation judiciaire; en Bavière, le mari est dispensé d'autorisation, s'il y a avantage évident: 4° la dot échappe à l'action des créanciers de la femme, même de ceux dont la créance est antérieure au mariage.

Toutes ces législations disparaissent devant le Code fédéral allemand qui entrera en vigueur à partir de 1900. Ce code est muet sur le régime dotal; il ne reconnaît donc pas l'inaliénabilité de la dot contraire au droit commun. Les régimes qu'il organise sont le régime légal (ehelicher güterrecht), la communauté universelle et celle d'acquêts.

Le régime matrimonial est, en Russie, celui de la séparation de biens; on n'y connaît pas le régime dotal.

Tel est le bilan des législations étrangères. On voit que le régime véritable, celui qui proclame l'inaliénabilité de la dot, même du consentement des deux époux, est tout à fait exceptionnel et que le monde juridique se partage entre les régimes de la communauté, sans communauté et de séparation de biens.

C'est la France, du moins le midi de la France, qui reste le domaine classique du régime dotal, mais il y est en pleine décroissance; c'est ce que nous allons constater tout à l'heure. Il faut y ajouter, dans le Nord, la Normandie, mais avec les modifications importantes que nous avons signalées. Aucune carte géographique du régime dotal en France n'a encore été dressée, mais la démarcation est sensiblement la même que celle entre le droit coutumier et le droit écrit dans l'ancienne France. Au contraire, cette carte a été dressée très exactement pour l'Allemagne, dans l'ouvrage de MM. Braun et Schweig. L'espace restreint du présent mémoire nous empêche de la reproduire. Il résulte de cette inspection que ce régime n'y forme pas un massif comme en France, mais y apparaît entrecoupé par les autres régimes matrimoniaux.

CHAPITRE III.

ÉTAT ACTUEL DE FAIT ET DE DROIT DU RÉGIME DOTAL EN FRANCE.

Avant de formuler les critiques favorables et défavorables que ce régime comporte, il importe de le décrire, non dans ses détails, mais dans ses lignes essentielles, d'examiner sa situation; ce n'est qu'ensuite que nous pourrons savoir s'il est encore viable. Mais il n'est pas moins nécessaire de faire aussi appel à la statistique pour connaître son état de fait, son avance ou son recul dans les pays qui sont les siens. C'est le quantitatif à côté du qualitatif.

1o État de fait.

Pour connaître la proportion en France du régime dotal vis-à-vis des autres régimes, nous ne pouvons mieux faire que de citer une statistique récemment publiée par l'Administration de l'enregistrement pour l'année 1898.

Voici le nombre des contrats sous les différents régimes:

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En outre, les contrats de mariage, de 1895 à 1897, s'élèvent à 290,000, formant le tiers du nombre des mariages, et le régime dotal ne s'y rencontre que pour le huitième.

Gette statistique est très instructive. Il en résulte que, sur 82,346 contrats, le régime dotal sans mélange, c'est-à-dire celui qui ne renferme pas d'adjonction de séparation de biens (paraphernalité) ni de société d'acquêts, ne s'élève qu'à 2,703, et celui de tous les régimes dotaux mélangés ou non, à 10,112; le premier de ces chiffres est infime; le second est encore très faible, puisqu'il ne donne qu'un huitième du total, et en outre, dans le mélange, la paraphernalité ou la société des acquêts peuvent l'emporter. Le régime dotal n'est pas encore dans notre pays une quantité négligeable; c'est une quantité très inférieure. Le régime dominant à une énorme majorité, c'est celui de la communauté des acquêts, 67,288. Si l'on suivait cette sorte de plébiscite, le régime dotal serait condamné; mais le régime de la communauté légale ne le serait pas moins, puisqu'il atteint un chiffre beaucoup plus faible, 866. Il est vrai que ce chiffre peut être infiniment rehaussé, si on y ajoute le régime des époux qui ne font pas de contrat. Mais on peut les éliminer au point de vue qui nous occupe, ces époux n'ayant pas et ne devant pas avoir probablement de fortune. Il est très curieux que, si le régime

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