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contemporains. Constatons donc ce qui est : les Vallées sont placées, non sous un système d'union ou de protectorat ou sous une forme quelconque actuelle d'organisation internationale, mais sous le régime du paréage primitif. L'Andorre constitue aujourd'hui un anachronisme, une conception féodale égarée dans le xIx siècle, un souvenir des âges disparus, semblable à ces empreintes qui datent des temps reculés et apparaissent tout à coup à la suite de quelque découverte archéologique. Sans doute, on a dû, dans l'application, moderniser quelque peu cette forme vieillie et renoncer à ce qu'elle avait de trop féodal dans sa manière d'être. Mais le contrat de 1278 est resté debout, et c'est en lui qu'il faut encore aujourd'hui chercher la base de la condition internationale de l'Andorre.

M. LE PRÉSIDENT remercie M. Mérignhac et constate tout l'intérêt de sa communication.

La séance est levée à 11 heures trois quarts.

SÉANCE DU VENDREDI 7 AVRIL 1899.

MATIN.

SOUS-SECTION DE PHILOSOPHIE.

PRÉSIDENCE DE M. DARLU.

M. LE PRÉSIDENT donne la parole à M. Besairie, professeur de philosophie au collège de Castres, qui lit un travail sur la persistance, dans l'œuvre de François Bacon, des idées du moyen âge.

M. BESAIRIE a voulu tout particulièrement insister sur des textes de Bacon rarement signalés dans les histoires de la philosophie et cependant fort importants parce qu'ils montrent :

1o Que la conception que Bacon se fait de la science et de son but ne diffère pas sensiblement de celle des alchimistes. Le but de la science est tout pratique, c'est la transmutation de toute matière

en or;

2° Que Bacon, dans l'exposé de sa méthode, reste imbu de l'esprit scolastique;

3o Que la plupart des idées qu'il présente comme nouvelles se trouvent très nettement exprimées dans les œuvres de savants antérieurs.

Une discussion s'ouvre sur les résultats de ce travail. Y prennent part MM. Goblot, professeur de philosophie au lycée de Toulouse; Ogereau, proviseur du lycée de Toulouse; Rauh, maître de conférences suppléant à l'école normale supérieure ; Lary, professeur de philososophie au lycée de Toulouse; Besairie.

M. GOBLOT croit qu'on ne saurait faire un grief à Bacon d'avoir eu sur la constitution de la matière les mêmes idées que les alchimistes du moyen âge et d'avoir admis la possibilité de transmuer les métaux en or. C'est seulement à partir de Lavoisier que l'on a posé la théorie des corps simples irréductibles. La théorie de La

voisier ne fut pas reçue sans résistance. En 1804, Priestley protestait encore contre ces idées nouvelles.

M. OGEREAU pense que ce qui caractérise surtout Bacon et en général le génie anglais, c'est la préoccupation utilitaire. Il est, d'ailleurs, d'accord sur ce point avec M. Besairie. Le but principal de Bacon, c'est de trouver des moyens pratiques d'invention et non de constituer la science au sens où nous l'entendons aujourd'hui.

M. RAUH ne nie pas que par beaucoup d'endroits Bacon ne se rattache au moyen âge, mais il faut reconnaitre qu'il rompt nettement avec la philosophie scolastique en refusant de considérer le syllogisme comme un instrument de découverte. La défiance de Bacon à l'égard du raisonnement syllogistique est telle qu'il n'a pas compris la nécessité de ce que Claude Bernard a appelé le « raisonnement expérimental».

La déduction en est un moment nécessaire.

M. LARY cherche, lui aussi, à déterminer en quoi Bacon est ancien, en quoi il est moderue. Bacon appartient encore au moyen âge, parce qu'il ne distingue pas, comme l'ont fait ensuite les cartésiens, les qualités secondes des qualités premières. Il n'a pas le sens de la traduction mathématique et quantitative des phénomènes physiques. Il repousse même nettement toute application des mathématiques à la physique. Mais, d'autre part, c'est un moderne et il se sépare des anciens alchimistes en ce qu'il n'admet pas dans l'explication des phénomènes naturels l'intervention de causes surnaturelles. Il fait en quelque sorte descendre les causes du ciel sur la terre.

Sur une observation de M. Besairie qui fait remarquer, en citant plusieurs textes, que Bacon a considéré comme légitimes des pseudo-sciences telles que la magie et l'astrologie, MM. Rauh et Lary rappellent que certains philosophes, Senèque par exemple, ont essayé de prendre, par rapport aux problèmes qu'elles soulèvent, une attitude scientifique. Il est possible en effet de prendre cette attitude tant qu'on ne s'est pas aperçu de la vanité de ces recherches et que les préjugés courants ont une force telle qu'ils s'imposent à l'attention des esprits les plus réfléchis.

La discussion est close.

M. GOBLOT donne lecture du mémoire suivant de M. TERAILLON, professeur de philosophie au collège de Béziers, sur la notion de l'âme dans la philosophie de Plotin.

Nous nous proposons de rechercher brièvement quelle est, dans la doctrine de Plotin, la notion précise de l'Âme. En considérant la diversité et même l'opposition des qualités qu'il est obligé d'attribuer à cette hypostase, nous serons amenés à nous demander si Plotin, dans cette partie de son système, n'aurait pas dévié de la direction moniste, et si, pour résoudre d'apparentes contradictions, il n'aurait pas fait appel à un principe irréductible à l'Un primitif: la Matière. L'Âme ressemble en effet, d'après les expressions mêmes de notre philosophe (Enn. IV, vII, 5), à une chaine dont les premiers anneaux sont suspendus au ciel, tandis que les derniers traînent à la surface de la terre. Elle est à la fois une et multiple, à la fois impersonnelle et individuelle, à la fois intelligible et sensible; elle a un double rapport à ce qui est au-dessus d'elle et à ce qui est au-dessous : Пãσa γὰρ ἡ ψυχὴ καί τι τοῦ κέτω πρὸς τὸ σῶμα καὶ τοῦ ἄνω πρὸς νοῦν (Enn. IV, VIII, 8). Nous serons donc conduits à examiner d'abord l'essence de l'Âme dans son union avec le Premier, le dieu suprême, et ensuite les caractères par lesquels elle se manifeste dans son contact avec le monde sensible, nous comparerons ces deux points de vue et nous tenterons de montrer qu'ils ne sont pas incompatibles.

Dans la philosophie de Plotin, le principe divin ne peut être posé comme une essence déterminée ou simplement concevable. Cause première et éminente de tout, il est absolument inconditionné, infini et par conséquent insaisissable et ineffable; il est essentiellement l'absolu tò avτaρxes, supérieur même à l'être, éñéxeiva övtos, du moins à l'être tel que nous le concevons et qui est en fait une limitation.

Mais cette unité suprême et indéfinissable doit nécessairement contenir d'une façon en quelque sorte surabondante les qualités et les manières d'être de tout ce qui existe. Il serait contradictoire qu'il n'y eût pas dans le créateur infini ce qu'il y dans la créature finie; aussi, de même que c'est une loi universelle que tout être donne naissance à un autre être, que tout phénomène soit la cause d'un effet, de même le premier doit engendrer. Par une sorte de rayonnement (παράλαμψις, έλλαμψις), il fait sortir de son immensité ce qui y était déjà contenu sans pour cela s'amoindrir : ce premier produit de l'Un c'est le Koopos vontòs, le monde des idées qui sont des parties de l'Un, qui le constituent sans l'épuiser, mais qui ne se manifestent qu'au moment où elles prennent conscience d'elles-mêmes sous forme d'Intelligence ou de pensée qui se pense (vous); et d'ailleurs ce monde intelligible, qui se connaît lui-même, n'est pas une multiplicité; car chaque essence y contient l'intelligible tout entier; chaque idée y est absolue et figure le tout.

Comme le Premier, l'Intelligence, ou second principe, doit nécessairement créer : elle donne naissance à l'âme. L'Ame, produite par le Nous, va conserver bien des caractères de son principe. Elle est, comme le Nous, une, simple, indivisible (Enn. IV, 1, 1); elle est soustraite aux lois de la durée (Enn. IV, II, 1 et 1, 1, 8); mais elle ne saurait être identique à l'Intelligence; en vertu de la loi même de toute production, elle doit en être une image, mais une image affaiblie (Enn. V, 1, 7). Émanation du Nous, elle ne peut se retourner uniquement vers son principe sous peine de se confondre avec lui, de se résorber en lui; elle doit donc nécessairement tendre vers une réalisation qui ne peut être qu'étrangère et inférieure à l'Intelligence. En d'autres termes, le Nous obligé à créer donne naissance à un principe qui l'imitera sans l'égaler. Et c'est ainsi que la Yux≫ se définit comme une sorte de Nous privé de son état de repos, incapable de continuer à se contempler lui-même, avide de se mouvoir, mais ne pouvant changer que par une déchéance.

Et cependant, ce mot de déchéance est bien fort et Plotin hésite à le prononcer. L'Âme dans sa pureté et telle qu'elle vient du Nous n'est pas encore tombée, elle n'est qu'une tendance à déchoir; on ne peut pas dire qu'elle soit actuellement divisée; elle n'est pas soumise aux limitations d'une personnalité; Plotin lui refuse, en effet, la réflexion tò λoyíčeσ02: (Enn. IV, IV, 10 sqq.), le souvenir (Enn. IV, IV, 6) et la sensation (Enn. IV, IV, 24) en disant qu'une pensée absolument homogène et parfaite ne saurait faire un retour sur elle-même, ni se souvenir des choses passées, ni rechercher l'inconnu, puisque, en dehors d'elle et des principes qui la produisent, il n'y a rien d'extérieur, et qu'en elle il n'y a pas de durée. L'Ame est donc, d'après cette déduction, une intelligence qui, lasse de se penser elle-même, est disposée à sortir de cette contemplation. Quel sera l'objet que cette activité latente va prendre pour fin de son développement?

En nous plaçant au point de vue du sens commun, il semble bien que ce soit la matière corporelle que l'Âme se propose de faire vivre, sentir ou agir. En effet, l'organisme de l'Univers, aussi bien que celui des êtres particuliers, réclame un principe de vie, distinct des propriétés de la matière; et ce principe nous apparaît avec les caractères essentiels de l'Âme telle que nous venons de la décrire. C'est dans la IV Ennéade que Plotin a marqué avec la dernière précision la distinction de l'âme et du Corps et la nécessité de la présence d'âmes dans la matière. Les corps vivants se présentent à nous comme simples; or la nature matérielle exclut la simplicité; cette qualité ne peut donc venir que d'un principe qui la posséderait essentiellement et la simplicité est précisément l'attribut de l'Ame. Comment expliquer d'autre part l'unité de la vie et surtout l'unité de la pensée, cette forme supérieure de la vie, si l'existence résulte uniquement d'une combinaison d'atomes? Le corps, par sa nature est, de plus, toujours en mouvement et s'écoule dans un perpétuel devenir: la mémoire qui exige un temps d'arrêt

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