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nier gagnait 6 sous par jour, un charretier fournissant charrette et cheval, 14 sous: un surveillant de chantier, 3 sous; un arpenteur, 6 sous: un auditeur des comptes des levadors, 6 sous; un macip accompagnant un consul en voyage, 3 sous. Lorsque les consuls se déplaçaient, ils recevaient 24 sous pour leurs dietas. La solde d'un capitaine d'arbalétriers et du porte-étendard était de 3 sous par jour, outre la nourriture; le simple arbalétrier touchait dans les mêmes conditions 9 deniers.

Il existe une relation étroite entre les salaires et le prix des choses.: un ouvrier de 1360 devait et pouvait vivre avec 3 sous par jour, comme l'ouvrier d'aujourd'hui vit avec 50 sous. Les salaires seraient donc l'étalon exact de la valeur de l'argent, si les conditions de l'existence n'avaient pas varié, et l'on pourrait dire que 3 sous, en 1359, correspondent à 50 d'aujourd'hui, c'est-à-dire que, depuis cinq siècles et demi, la valeur de l'argent aurait subi une dépréciation égale au quotient de la division de 50 par 3, soit 17. En d'autres termes, il faudrait 17 de nos francs pour égaler une livre de 1360. Or, d'après M. le vicomte d'Avenel, la livre tournois, entre 1351 et 1360, valait 7 fr. 26 de notre monnaie. Nous pensons que cette évaluation est trop faible, puisque le salaire d'un ouvrier, soit 3 sous, représenterait seulement 1 fr. 089. On peut admettre que les nécessités de la vie ont créé à l'ouvrier d'aujourd'hui des dépenses absolument inconnues du moyen âge, et que ces dépenses diminuent d'un sixième son salaire quotidien ("); les salaires actuels ne sont donc diminués de ce fait que de o fr. 40 environ et descendent de 2 fr. 50 à 2 fr. 10. Il n'y a donc pas parité, toutes proportions gardées, dans la situation faite aux ouvriers aux deux époques. Pour la rétablir, il est d'absolue nécessité de hausser, dans une large mesure, de doubler presque la valeur que M. d'Avenel donne à la livre. Cette conclusion s'impose d'autant plus que les salaires doivent suffire à toutes les exigences de la vie. Or les Comptes consulaires d'Albi établissent indiscutablement que la dépense de bouche d'un homme, en 1359, s'élevait à 3 sous par jour(2). Il est vrai que, dans l'espèce, il s'agit d'un arbalétrier en expédition, faisant quatre repas par jour; que la dépense, en famille, est de beaucoup inférieure. Mais il est évident que les 3 sous du chef de maison suffisaient à peine à toutes les exigences de la vie quotidienne et que, pour y faire face, la femme et quelques-uns des enfants devaient, comme aujourd'hui, chercher dans le travail un supplément de salaire.

Il reste donc acquis que l'évaluation donnée à la livre tournois par M. le

:

(1) Voici les dépenses qui peuvent servir de base à ce calcul tabac, 50 francs; sucre, 18 francs; café, 20 francs; journal et livre, 20 francs; divers, 29 francs; soit une dépense annuelle de 130 francs sur un budget de 750 francs, soit 300 journées de travail à 2 fr. 50 l'une.

(2) Pagner per las despessas dols (20) servens, la sabde sanh, a Carcassonna,

vicomte d'Avenel est de beaucoup trop faible, puisque 3 sous de 1360 équivalent à 2 fr. 10 d'aujourd'hui. On peut, sans hésiter, porter jusqu'à 14 francs cette évaluation.

Ce sera notre conclusion.

M. ROCHETIN indique, à propos de la communication de M. Vidal, l'ancienneté des contrats d'assurance. Il rappelle que, sur une stèle exposée au musée du Louvre, on trouve trace d'une institution d'assurance sur la vie entre les soldats des légions romaines. S'il fallait remonter aussi aux communautés germaniques, au x1° siècle, on constaterait encore qu'il est fait mention de divers contrats d'assurance dans de très anciennes chartes. Il ne faut pas laisser s'accréditer cette idée que l'assurance est d'origine relativement moderne; elle est, au contraire, de la plus haute antiquité.

M. MÉRIGNHAC, professeur à la Faculté de droit de Toulouse, membre de l'Académie de législation de Toulouse et de la Société de législation comparée de Paris, lit le mémoire suivant sur la situation actuelle et les rapports de l'Andorre, de la France et de l'Espagne.

Le Livre des Rois contient un verset ainsi conçu: Endor, locus juxta montem Thabor, ubi filii Israel, ad bellum preparantes, contra infideles castra posuere. C'est en réminiscence de ce passage de l'Écriture que Louis le Débonnaire, prince très versé dans la connaissance des livres saints, aurait, suivant la légende, baptisé du nom d'Andorre les vallées arrosées par l'Embalire, qu'il venait de délivrer du joug des infidèles "". Le fils de Charlemagne continuait l'œuvre de son père qui, déjà, à la demande des Wisigoths poursuivis par les Maures dans les montagnes arides où ils s'étaient réfugiés après la ruine de la Catalogne et de l'antique cité d'Urgel, avait franchi les Pyrénées et conquis la partie septentrionale de l'Espagne. Le départ de Charlemagne ayant été suivi de nouvelles expéditions des Maures contre les Chrétiens, Louis le Débonnaire descendit à son tour en Catalogne, et, après avoir délivré Urgel qu'il donna au comte Sicfrid, écrasa l'ennemi sur les bords de l'Embalire, au lieu appelé Mas del Dumenge.

Ayant ainsi chassé l'envahisseur, le monarque franc établit dans les

Cette étymologie plus que douteuse est donnée par l'auteur du recueil andorran intitulé le Politar, dont nous parlerons plus loin. A ceux qui ne l'accepteraient point, l'auteur en question suggère que le terme d'Andorre» pourrait également venir d'une pythonisse qui aurait laissé dans les Vallées un renom égal à celui de la célèbre pythonisse d'Endor.

Vallées par lui délivrées un certain nombre de ses soldats, qui mêlés aux Wisigoths primitifs, formèrent le premier noyau de la population andorrane. Pour prouver sa bienveillance aux nouveaux habitants du pays, il les affranchit de tout tribut ou impôt et leur donna pour chef le comte Sicfrid. I leur accorda même, par une charte de 805, une indépendance pleine et entière, ne retenant pour lui que le titre plus nominal que réel de su

zerain.

Telle est la légende très accréditée sur les bords de l'Embalire (1). Malheureusement l'impitoyable critique historique, qui poursuit la légende partout où elle la rencontre, affirme que la charte de 805 est tout à fait apocryphe, car elle n'est mentionnée par aucun des savants qui ont compulsé les archives de la région, et diffère essentiellement des formules couramment employées dans les actes de même nature (2). On est donc autorisé à douter de l'existence ou de l'authenticité de la charte de 805, comme de tous les diplômes similaires, tels qu'un acte de concession de l'empereur Charlemagne à l'évêque Possidonius en 802, tant que ceux qui en argumentent ne les auront pas publiés et soumis à un rigoureux contrôle. Au surplus, la proclamation de l'indépendance des Vallées est rendue absolument invraisemblable par les données politiques en vigueur à l'époque impériale.

La légende écartée, l'histoire, reprenant ses droits, nous apprend que Louis le Débonnaire n'a personnellement jamais livré bataille dans les Vallées et qu'il s'est borné, tout comme Charlemagne son père, à couvrir de sa protection les Espagnols qui, pour fuir la domination sarrasine, s'étaient réfugiés dans les Pyrénées. Les deux princes accordèrent à ces fugitifs l'égalité des droits, des immunités fiscales; et, considérant l'Andorre comme incorporée à leurs domaines, la placèrent directement sous l'administration impériale. Mais, peu à peu, la féodalité s'établissait en Europe; et la création de la propriété bénéficiaire, qui en était le prélude, transportait aux évêques et aux comtes d'Urgel les attributs utiles de la souveraineté dans les Vallées.

(1) L'Andorre, par M. Victorin Vidal, p. 53.

(2) La charte est mentionnée dans le Manual et dans le Politar cité à la note précédente. Elle est indiquée dans la dissertation de M. de Trias dont il sera question plus loin. Elle figure dans le recueil dit Décret de Catalan de Ocon, rédigé par un évêque d'Urgel. Mais M. Brutails fait observer qu'elle n'est visée par aucun des auteurs qui ont écrit sur la matière. (Étude critique sur les origines de la question d'Andorre, dans la Revue des Pyrénées, t. III, année 1891, p. 971.) M. Baudon de Mony ne la mentionne pas non plus dans sa thèse de l'École des chartes de 1886. Enfin la renommée affirmait que la charte se trouvait dans la fameuse armoire de fer des Vallées. (Conf., à cet égard, Vidal, loc. cit., p. 89 à la note.) Or ceux qui ont été admis à visiter l'armoire mystérieuse ont éprouvé une déception complète que narre avec humour M. l'avocat général Moras dans un discours sur l'Andorre, prononcé à l'audience solennelle de rentrée de la cour d'appel de Toulouse du 3 novembre 1882, p. 17.

Des actes de 819 et de 843 montrent déjà investis le comte Sicfrid et l'église d'Urgel. Bientôt, grâce à la faiblesse du pouvoir central, les comtes et les évêques s'efforcèrent de s'affranchir de la suzeraineté devenue purement nominale des successeurs de Charlemagne et de Louis le Débonnaire. Mais, indépendants en fait sinon en droit, les coseigneurs ne purent s'entendre, et le territoire d'Urgel fut le théâtre de luttes sanglantes auxquelles l'Andorre semble être demeurée assez indifférente. Finalement, les évêques, se voyant en état d'infériorité, imaginèrent d'inféoder les Vallées aux seigneurs de Caboet (1). Par suite d'unions diverses, les droits des Caboet passèrent aux maisons de Castelbon et de Foix. La Mitre d'Urgel ne put s'entendre ni avec l'une ni avec l'autre ; le chef de la maison de Foix, Roger Bernard III, prit les armes, battit l'évêque, et obtint de lui une renonciation à tous ses droits sur l'Andorre. Comme la ratification papale promise n'intervenait point, les hostilités reprirent et se terminèrent par un accord aux termes duquel six arbitres nommés par le comte et l'évêque devaient rendre une sentence mettant fin à toutes les difficultés antérieures. Le 8 septembre 1278, les arbitres rendirent cette sentence restée fameuse dans l'histoire des Vallées sous le nom de pariage ou paréage.

Le paréage andorran, qui fut approuvé en 1282 par le pape Martin V, n'était point un acte d'une physionomie originale; il constituait l'une de ces conventions très usitées à l'époque féodale, par lesquelles les seigneurs s'assuraient mutuellement et dans des proportions égales la jouissance de cerlains droits. Toutefois, ce qu'il y avait de particulier dans l'accord de 1278, c'est que les coseigneurs de l'Andorre n'y obtenaient point une situation égale au point de vue des droits fiscaux. Ainsi, l'impôt prélevé par l'évêque sous le nom de questia ne pouvait excéder quatre mille sols melgoriens, tandis qu'aucune limite ne fut imposée aux prélèvements des comtes qui usèrent trop largement de leur prérogative au gré des Andor- . rans. Condamnée notamment, au xv° siècle, à verser un impôt extraordinaire, écrasant, de deux mille florins d'Aragon, l'Andorre ne consentit à payer qu'à la suite de l'occupation de son territoire et de l'emprisonnement, comme otages, de soixante de ses habitants. D'où provenait cette inégalité? De plusieurs causes probablement. Tout d'abord, de ce que le comte de Foix, vainqueur, aurait pu garder les Vallées pour lui seul: ensuite, de ce que l'évêque trouvait une large compensation à ce qu'il perdait d'un côté dans la dime qu'il percevait de l'autre; de ce que, enfin, Roger Bernard s'engageait à tenir les droits à lui concédés à titre de fief de la Mitre, tout en stipulant cependant que son hommage purement honorifique ne l'obligerait à aucun service effectif. La même inégalité se rencontre, pour les mêmes motifs, dans l'attribution des émoluments de la justice, le comte

(1) Conf., sur ce point, Baudon de Mony, Bibliothèque de l'École des chartes, année 1895, XLVI, p. 95 et suiv.

en prenant les trois quarts et l'évêque un quart; mais les frais de la tenue des cours étaient naturellement répartis dans la même proportion.

Pour le surplus, le paréage met les deux contractants sur la même ligne, et leur autorité est proclamée égale au début du document. Is ont, dans des conditions égales, le droit de lever des troupes en Andorre; seulement, en cas de guerre entre eux, il leur est enjoint de ne pas les incorporer dans leurs armées respectives, afin que les Andorrans ne soient point exposés à porter les armes les uns contre les autres.

La justice est également rendue au nom des deux coseigneurs. A cet effet, ils nomment chacun un bailli. Dépositaires de l'autorité absolue en matière civile et criminelle, les baillis devront, autant que possible, agir de concert, sans que toutefois l'abstention de l'un puisse entraver l'action de l'autre. Le chef qui, sous le nom de vicarius, représentait, avant la conquête, le comte dans les Vallées, fut maintenu, sans qu'on parlât du lieutenant à nommer par l'évêque. Mais en présence de cette idée que le paréage stipulait l'égalité sauf clause contraire, les deux coprinces se considérèrent respectivement comme investis du droit d'avoir un représentant qui fut appelé viguier.

Les droits de la maison de Foix passèrent à celle d'Albret, puis à la maison de France avec Henri IV et, postérieurement, aux divers gouvernements qui se sont succédé en France jusqu'à nos jours. A partir du moment où la couronne fut investie des droits sur l'Andorre, la situation devint bien meilleure dans les Vallées, car les rois de France, tout en affirmant énergiquement leur droit de souveraineté, se contentèrent d'une somme minime payée à titre d'hommage. A la veille de la Révolution française, le tribut ou albergue était de 1,870 livres payables tous les deux ans. Les rois, d'autre part, traitaient les montagnards avec une grande bienveillance; le privilège de l'exemption douanière leur fut conféré et confirmé par Henri IV, Louis XIII et Louis XIV. Sous Louis XV, un arrêt du conseil de 1767 décréta à nouveau cette exemption. Mais, à côté de cette bienveillance, l'autorité royale s'affirmait, nous venons de le dire, avec une grande énergie: Henri IV s'opposa absolument à l'établissement de l'inquisition dans les Vallées, malgré l'évêque: et Louis XIV, à la suite de troubles, fit procéder à l'occupation temporaire du pays.

En 1793, la Convention refusa le payement de l'albergue comme entachée de féodalité; et, renonçant à tout droit sur les Vallées, rendit aux habitants leur pleine et entière indépendance. Loin de se réjouir à cette nouvelle, les Andorrans manifestèrent au contraire un vif mécontentement et firent tous leurs efforts pour renouer le lien qui les attachait depuis si longtemps à la France. Les motifs de cette conduite, qui peut, au premier abord, paraître extraordinaire, étaient des plus rationnels, si l'on se rend compte des intérêts véritables de l'Andorre. En effet, la souveraineté française contrebalance celle de l'évêque; et, si l'une d'elles venait à s'effacer, l'autre pourrait

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