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Lettre du Contrôleur général Terray à l'Intendant de Caen.

(Versailles, le 17 avril 1771.)

Le Roi a fait établir dans la ville de Tours une manufacture de couverture et étoffes de laine pour y occuper tous les pauvres de la ville et les renfermés dans le dépôt de mendicité. Il devient dès lors indispensable de faire usage de ces ouvrages pour le service du Roi et singulièrement pour les dépôts de mendicité. Il y a en ce moment dans cet établissement une certaine quantité de couvertures que je destine à former l'approvisionnement des dépôts de mendicité des différentes provinces du royaume; je vous prie de me mander quelle quantité vous jugez convenable que je vous en fasse passer pour ceux de votre généralité. Vous voudrez bien me répondre sur cet objet le plus promptement qu'il vous sera possible, afin que je donne mes ordres en conséquence. Lorsque ces couvertures seront parvenues à leur destination, il conviendra que vous les fassiez examiner, parce que si on y reconnaissait quelques défauts, sur l'avis que vous m'en donneriez, on prendrait les précautions nécessaires pour y remédier dans la suite.

Je suis, Monsieur, votre très-humble et très-affectionné serviteur,

La séance est levée à 5 heures et demie.

TERRAY.

SÉANCE DU JEUDI 6 AVRIL 1899.

MATIN.

PRÉSIDENCE DE M. DUMÉRIL, ASSISTÉ DE M. OCTAVE NOËL.

Secrétaire M. Georges Harmand, de la Société de législation comparée.

La séance est ouverte à 9 heures pour une communication de M. Gassaud, à propos de la loi sur les accidents du travail.

M. GASSAUD, de la Société des ingénieurs civils de Paris, donne lecture du mémoire suivant, qu'il a composé avec M. Alfred GIRARD, président du tribunal de commerce de Toulouse sur le caractère juridique de la responsabilité sous l'empire du Code civil.

Le Code civil ne contient aucune disposition relative à la responsabilité du patron envers son ouvrier ou son employé victime d'un accident de travail, et, en fait, le contrat de louage de services intervenu entre eux ne contient pas de clause relative à des précautions déterminées que le patron s'engagerait à prendre pour éviter les accidents pouvant arriver à son ouvrier.

Si un accident vient à se produire, l'ouvrier qui en aura été la victime ne pourra en demander réparation à son patron qu'à charge d'établir que ce dernier, ou l'un de ses préposés, a commis une faute. Et conformément aux principes généraux, il basera sa demande sur les articles 1382 et suivants du Code civil:

ART. 1382. Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

ART. 1383. Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou son imprudence.

ART. 1384. On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre ou des choses que l'on a sous sa garde.

La responsabilité pénale du patron peut même se trouver engagée en vertu des articles 319 et 320 du Code pénal :

ART. 319. Quiconque, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation des règlements, aura commis involontairement un homicide, ou en aura été involontairement la cause, sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de cinquante à six cents francs.

ART. 320. S'il n'est résulté du défaut d'adresse ou de précaution que des blessures ou coups, le coupable sera puni de six jours à deux mois d'emprisonnement et d'une amende de seize à cent francs, ou de l'une de ces peines seulement.

On dit, en ce cas, qu'il y a responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle.

Il y aura, au contraire, responsabilité contractuelle si le patron a manqué à une des obligations de son contrat, obligation explicite ou obligation implicite.

La faute est contractuelle lorsqu'une loi ou l'usage imposant de prendre certaines mesures de précaution qui ont été omises, il en est résulté l'accident dommageable dont se plaint l'ouvrier; cela résulte des termes de l'article 1135 du Code civil :

ART. 1135. Les conventions obligent non seulement à ce qui est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi dongent à l'obligation d'après sa nature.

Des lois spéciales ou des règlements peuvent avoir prescrit de prendre certaines mesures de précaution, notamment les lois du 2 novembre 1892 et du 12 juin 1893. Ces dispositions sont généralement sanctionnées par des peines de simple police.

Le demandeur, en ce cas, peut invoquer non seulement l'article 1389 du Code civil, mais l'article 1147 du même code:

ART. 1147. Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, an payement de dommages-intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui ètre imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

ACTION PUBLIQUE OU PÉNALE.

PARTIE CIVILE.

CITATION DIRECTE.

L'action pénale ne peut être intentée que par le Ministère public. Mais s'il exerce des poursuites soit devant le tribunal de simple police, soit devant le tribunal de police correctionnelle, en vue de faire appliquer une peine, la victime peut intervenir dans l'instance en se portant partie civile et demander à la juridiction répressive de statuer, en même temps que sur la peine à appliquer dans l'intérêt de la vindicte publique, sur l'indemnité à

lui allouer à elle partie lésée pour réparer le préjudice qui lui a été

causé.

Cela résulte des articles 1 et 3 du Code d'instruction criminelle :

ART. 1. L'action pour l'application des peines n'appartient qu'aux fonctionnaires auxquels elle est conférée par la loi.

L'action en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention peut être exercée par tous ceux qui ont souffert de ce dommage.

ART. 3. L'action civile peut être poursuivie en même temps et devant les mêmes juges que l'action publique.

Elle peut aussi l'être séparément : dans ce cas, l'exercice en est suspendu tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique intentée avant ou pendant la poursuite de l'action civile.

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Si le Ministère public ne poursuit pas, la victime de l'accident peut prendre l'initiative de l'instance et citer directement le patron soit devant le tribunal de simple police, en vertu de l'article 145 du Code d'instruction criminelle, soit devant le tribunal de police correctionnelle, en vertu de l'article 182 du même code :

ART. 145. Les citations pour contraventions de police sont faites à la requête du Ministère public ou de la partie qui réclame.

ART. 182. Le tribunal sera saisi, en matière correctionnelle, de la connaissance des délits de sa compétence, soit..., soit sur la citation donnée directement au prévenu, et aux personnes civilement responsables du délit par la partie civile.

Le Ministère public en ce cas est nécessairement partie jointe et requiert seul l'application de la peine, comme précédemment.

Dans l'un et l'autre cas, le tribunal peut infliger au prévenu une condamnation pénale en même temps qu'une condamnation pécuniaire.

La disposition du paragraphe 2 de l'article 3 du Code d'instruction criminelle est très sage: elle est destinée à éviter, autant que possible, les décisions contradictoires de justice.

Si une condamnation est prononcée par la juridiction pénale, elle aura au civil l'autorité de la chose jugée.

En est-il toujours de même lorsque le prévenu est renvoyé des fins de la plainte, le fait allégué ne constituant pas la faute prévue par les articles 319 et 320 du Code pénal?

La question est controversée et la jurisprudence est hésitante.

Choix de l'instance par la victime. S'il n'y a pas eu de poursuites devant la juridiction pénale, ou s'il y en a eu, mais que la victime n'ait pas jugé à propos d'intervenir, elle peut porter son instance en dommages-intérêts devant la juridiction civile.

L'instance pourra être portée soit devant le tribunal civil (suivant le chiffre de la demande, tribunal de paix ou tribunal d'arrondissement ), ou devant le tribunal de commerce si le patron est commerçant (quasi-contrat commercial), ou même devant la juridiction administrative si l'État est poursuivi comme responsable d'après la jurisprudence du tribunal des conflits.

Résumé et conclusion. L'ouvrier, pour obtenir une indemnité sous le régime du Code civil, doit établir une faute à la charge de son patron, et une faute ayant un rapport direct avec l'accident dont il a été victime.

Sans doute, à la suite de l'évolution des idées, les tribunaux se montreront aussi bienveillants que possible pour la victime, mais encore faut-il qu'il soit établi que le patron est en faute : la Cour de cassation a toujours maintenu le respect des principes.

Or si l'on admet qu'il y a environ un quart des accidents qui sont imputables à la faute des patrons ou de leurs préposés, un quart imputables aux ouvriers eux-mêmes et moitié dus à des cas fortuits ou de force majeure, on voit que l'ouvrier ne sera indemnisé par son patron que pour un quart des accidents dont il est victime et que la totalité des cas fortuits, ce que l'on a appelé depuis le risque professionnel, reste à sa charge sous l'empire du Code civil.

Origines de la loi nouvelle. Est-il équitable qu'il en soit ainsi? L'ouvrier ne devrait-il pas être indemnisé des conséquences de l'accident toutes les fois que ce n'est pas par sa faute qu'il s'est produit, le risque professionnel rentrant dans les frais généraux de la production?

Cette question, agitée d'abord au point de vue doctrinal par les jurisconsultes, ne tarda pas à descendre dans le domaine de la pratique.

Dès le 29 mai 1880, M. Martin-Nadaud présenta le premier une proposition de loi destinée à produire le renversement de la preuve telle qu'elle est établie par le Code civil et, de 1880 à 1887, il ne fut pas présenté moins de 15 projets relatifs à cette question des accidents de travail. Plusieurs de ces projets sont dus à M. Félix Faure; dans le dernier il appliquait les principes du risque professionnel à tous les accidents survenus soit par cas fortuit ou force majeure, soit même par la faute de l'ouvrier, et il étendait ce risque à toutes les entreprises commerciales, industrielles ou agricoles. Il prévoyait l'assurance du patron et organisait une juridiction arbitrale.

Après une longue discussion, le 10 juillet 1888, la Chambre des députés adoptait par 351 voix contre 78 un premier projet de loi sur les accidents du travail.

Le projet ne s'appliquait qu'aux ouvriers ou employés dont le salaire

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