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au second, les langues germaniques et italiques au troisième, les langues celtiques au quatrième et dernier.

Prenons-nous parti pour l'une ou l'autre de ces deux hypothèses? En aucune façon. Nous exposons sans juger, tout en exprimant notre opinion très-positive sur l'origine asiatique de la famille linguistique indo-européenne.

L'Anglais Latham fut le premier, semble-t-il, qui opina pour une origine européenne. Quelques auteurs l'ont suivi. Il en est parmi ceux-ci qui se sont efforcés de donner quelque apparence scientifique à leur assertion, il en est d'autres qui ont tranché net cette question spéciale avec autant d'audace que d'incompétence. Certaines personnes, par exemple, voyant les mots celtiques plus courts que les mots sanskrits, en ont inféré qu'ils étaient plus simples, partant plus primitifs, et s'éloignaient moins du type commun. C'est de la linguistique au millimètre. Avec ce procédé, l'anglo-saxon proviendrait de l'anglais, le latin du français, le vieux perse du persan. D'autres auteurs, arguant de ce fait que le type blond aux yeux bleus se présente plus particulièrement dans les pays de langue allemande, en concluent, on ne sait trop pourquoi, que l'indo-européen commun a été parlé en Germanie. Ils confondent ici la langue et la race, ou, pour mieux dire encore, la langue et les races; c'est une méprise sur laquelle nous ne pouvons même pas nous arrêter. Peu nous importe que les populations qui parlèrent l'indo-européen commun aient été blondes ou brunes, ou qu'il y en ait eu parmi elles et de blondes et de brunes; ce point n'est pas en question: la langue seule nous occupe et non point la race. Nous n'appelons même pas à notre aide le secours de l'archéologie, qui, pourtant, enseigne d'une façon claire et nette qu'à l'époque où l'Orient connaissait déjà une certaine civilisation, l'Occident en était encore à l'état sauvage, ou à peu près. Les preuves tirées de la linguistique doivent suffire,

et le fait de cette série de langues s'écartant de plus en plus du type commun au fur et à mesure qu'elles sont situées plus à l'occident, parle assez haut par lui-même. Peu importe d'ailleurs que l'on donne pour patrie à l'indo-européen commun l'Arménie, la Baktriane ou quelque contrée située plus à l'est encore; ce n'est plus là qu'une question secondaire.

CHAPITRE VI.

PLURALITÉ ORIGINELLE DES LANGUES

ET TRANSFORMATION DES SYSTÈMES LINGUISTIQUES.

Arrivés au terme de ce long examen (qu'il nous a fallu, cependant, écourter presque à chaque page), nous avons à jeter en arrière un coup d'œil d'ensemble, et à récapituler, dans un chapitre final, les points les plus importants de notre étude. Nous avons tout d'abord à revenir sur la question de la doctrine et de la méthode. Ce sujet est le premier qu'il nous ait fallu aborder; c'est celui qui doit attirer en dernier lieu notre attention. La doctrine, la méthode dominent les sciences contemporaines ou, pour mieux dire, elles font corps avec elles et l'on ne saurait trop insister sur ce fait capital; cette alliance indissoluble, cette sorte d'identification est la caractéristique mème de ce nouvel état de choses.

§ 1. Comment se reconnaît la parenté des langues.

Il arrive souvent aux personnes dont les connaissances linguistiques ne sont que très-imparfaites, très-superficielles, d'apparenter sans hésitation les familles de langues qu'un auteur vraiment compétent n'osera point rapprocher les unes des autres et que parfois même il déclarera irréductibles. L'étymologie n'est jamais plus dangereuse que sur ce terrain. Pour tout dire, elle n'y connaît pas d'obstacles. Les préoccupations bibliques ont contribué plus que toute autre cause à développer la manie funeste de l'étymologie. Il s'agissait, il importait, de rattacher aux lan

gues sémitiques tous les idiomes de l'univers, ou bien voie de descendance directe, ou bien par voie de parenté collatérale. On renonçait, au besoin, à faire de l'hébreu la mère de toutes les langues, mais il fallait au moins les rat tacher toutes, y compris l'hébreu, à une souche commune, à une seule et même langue mère.

C'est un fait qui ne se laisse plus discuter à l'heure actuelle, et, sous quelques réserves que ce soit, parler encore de cette langue commune soi-disant primitive, c'est faire preuve d'une complète ignorance de la méthode linguis tique.

Avant tout, dans la comparaison des langues, il faut négliger la ressemblance pure et simple des mots. Deux mots dont le sens est presque le même dans deux langues différentes, dont le sens, si l'on veut, est absolument le même, peuvent n'avoir rien de commun. La concordance lexique sans la concordance grammaticale est nulle et non avenue. L'étymologiste s'en empare, s'en contente et ne veut pas voir plus loin; le linguiste ne s'y arrête même pas. Aux yeux de ce dernier, la dissection de deux mots plus ou moins semblables peut seule prouver leur parenté; à aucun titre il ne s'accorde le droit de comparer deux mots tout faits. Les éléments formatifs de deux mots sont-ils bien les mêmes, leur racine est-elle également la même, dans ce cas il est légitime de les regarder comme deux mots correspondants, de leur donner une origine commune; si ces conditions ne se trouvent pas réunies, les deux mots en question ne peuvent être identifiés, quelle que soit leur homophonie.

Serait-ce des centaines et des centaines de mots tout faits appartenant à deux langues quelconques que l'on eût à comparer, cette comparaison ne ferait point avancer d'un pas la question de l'affinité de ces deux langues. Ce qu'il s'agit de démontrer, c'est tout autre chose que l'existence de

ces rapports fortuits: c'est l'identité des racines réduites à leur forme la plus simple; c'est l'identité des éléments formatifs du mot; c'est l'identité de fonctionnement de ces éléments: en un mot c'est l'identité grammaticale.

Il n'y a point à tenir compte des études soi-disant comparatives qui ne seraient pas basées sur ces principes sévères; elles ne sont plus de notre temps.

§ 2. Pluralité originelle des systèmes linguistiques et conséquence de cette pluralité.

Non-seulement il n'y a point d'identité grammaticale entre le système des langues sémitiques et celui des langues indo-européennes, mais ces deux systèmes, ainsi que nous l'avons dit plus haut, comprennent la flexion d'une manière toute différente. Leurs racines sont tout à fait distinctes, leurs éléments formatifs sont essentiellement divers et il n'y a nul rapport entre les deux modes de fonctionnement de ces éléments. L'abîme n'est pas seulement profond entre les deux systèmes; il est infranchissable.

<< Quand deux langues peuvent-elles être scientifiquement tenues, dit M. Chavée, pour deux créations radicalement séparées? Premièrement : quand leurs mots simples ou irréductibles à des formes antérieures n'offrent absolument rien de commun, soit dans leurs étoffes sonores, soit dans leur constitution syllabique. Secondement: quand les lois qui président aux premières combinaisons de ces mots simples, diffèrent absolument dans les deux systèmes comparés (1). »

C'est le cas des langues sémitiques et des langues indoeuropéennes, c'est le cas d'un nombre considérable de systèmes linguistiques. La conséquence de ce fait est grande.

1) Les langues et les races, p. 13. Paris, 1862.

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