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anciennes fables que le vieux haut-allemand avait négligées, mais elle ne les envisage plus qu'à travers les idées et les conceptions chrétiennes. Cette période dure environ quatre cents ans. C'est l'âge des célèbres poëtes <«< minnesænger », de Walther von der Vogelweide, de Wolfram von Eschenbach, de Nîthart, de Heinrich von Morungen, du Tanhûser. La grande caractéristique de la langue de cette période est le changement en e de la voyelle des syllabes terminales le vieux haut-allemand, le tudesque, dit gibu << je donne », le moyen haut-allemand dit gibe. Les différents dialectes de l'ancien haut-allemand s'accommodèrent à cette nouvelle loi et continuèrent à garder chacun leur individualité et leur caractère particulier. Il se forma toutefois une sorte de langue littéraire, une langue des cours, tirée du dialecte souabe (1); pareille chose ne s'était point produite dans la période précédente.

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Deux faits bien frappants, ajoute Schleicher, distinguent le moyen haut-allemand de l'allemand moderne. Dans le premier les syllabes radicales sont tantôt longues, tantôt brèves; dans le second, la syllabe radicale est toujours longue; c'est elle, comme l'on sait, qui porte l'accent: l'accentuation, en allemand moderne, détermine donc la longueur de la syllabe qu'elle affecte, c'est-à-dire de la syllabe radicale. Le second fait est celui-ci : « Dans le vieux haut-allemand nous n'avions jamais sous les yeux que le dialecte de celui qui tenait la plume; il n'existait pas de langue littéraire d'un emploi plus général et dominant les différents dialectes. Durant la période du moyen haut-allemand il se forme une langue plus générale, la langue des cours. L'allemand moderne est encore moins un dialecte particulier que ne l'était la langue des cours du moyen haut-allemand; ce n'était point la langue de telle contrée,

(1) SCHLEICHER, Die deutsche sprache. Deux. édit., p. 103 et suiv. Stuttgard, 1869.

elle n'était parlée par aucune population. Telle est la cause du manque de naturel que présente la langue allemande ; dans sa phonétique, dans ses formes elle est souvent monstrueuse. Mais aussi elle puise dans ce même fait de n'être point un idiome spécial, de n'appartenir en propre à aucune population particulière, la faculté de servir de lien d'union aux différentes branches germaniques...» (Op. cit., ibid.)

En remontant de nos jours jusqu'au temps de Luther, on peut suivre pas à pas la langue allemande; sans doute, durant cette période de plus de trois siècles, elle a subi bien des modifications, mais, en réalité, c'est toujours la même langue, c'est une seule et même langue. Au seizième siècle nous la voyons naître dans les chancelleries, nous voyons les actes diplomatiques emprunter arbitrairement aux différents idiomes populaires : l'allemand, en quelque sorte, naît sur le papier. Grâce à l'influence des actes officiels, grâce surtout à la propagande luthérienne, il se fait jour peu à peu; il pénètre dans l'église, dans l'école, dans les tribunaux; les dialectes populaires cèdent peu à peu devant lui et ne se défendent bientôt plus que dans les campagnes.

Il faut reconnaître d'ailleurs que la bizarre orthographe dont on l'affubla n'était point faite pour hâter sa propagation littéraire. Rien de plus arbitraire que cette orthographe parfois, pour allonger les voyelles, on les fait suivre d'un h qui ne répond absolument à rien dans le passé du mot que l'on défigure ainsi; parfois, également pour indiquer qu'une voyelle est longue, on la redouble; et comme, parfois encore, la voyelle est longue sans que sa quantité de longue soit figurée par un signe graphique quelconque, il arrive qu'un a long peut être rendu de trois façons différentes simplement par a, par ah, par aa. C'est le cas des mots << zwar, wahr, haar». Souvent, là où il faudrait un

i pur et simple, on écrit ie; souvent aussi, lorsque l'étymologie historique demanderait que l'on écrivit ie, l'on n'écrit que i. Souvent enfin, ce qui est tout aussi bizarre, on remplace les t par des th. Bien des tentatives ont été faites dans le but d'arriver à une réforme, au moins partielle, de l'orthographe allemande actuelle; elles se renouvelleront, sans nul doute, mais auront-elles jamais la moindre chance d'aboutir à un succès favorable? Nous ne le pensons guère.

§ 7. Les langues slaves

Les langues slaves ont occupé au moyen âge, durant les septième, huitième et neuvième siècles, de vastes régions de l'Europe centrale où l'allemand seul est connu aujourd'hui la Poméranie, le Mecklembourg, le Brandebourg, la Saxe, la Bohême occidentale, la Basse-Autriche, la plus grande partie de la Haute-Autriche, la Styrie du nord et la Carinthie septentrionale. On parlait des idiomes slaves sur les lieux qu'occupent à présent Kiel, Lubeck, Magdebourg, Halle, Leipzig, Baireuth, Linz, Salzbourg, Gratz et Vienne.

On distingue ordinairement dans les langues slaves deux groupes principaux. Nous verrons tout à l'heure comment ils sont composés et comment on a cherché à classer entre elles les différentes langues slaves, mais il nous faut, auparavant, aborder une autre question générale, la question de la vicille langue ecclésiastique slave.

Dès le septième siècle, les populations slaves avaient atteint leurs limites extrêmes vers l'occident: le christianisme les attaqua de l'est et du sud, de Constantinople et de Rome (1). C'est aux Bulgares, aux Serbes, aux Russes que s'adressa la propagande partie de Constantinople, dont

(1) SCHAFARIK, Geschichte der südslavischen litteratur, t. III. Prague, 1865.

les résultats furent précoces. Avec le christianisme s'introduisit la liturgie en langue slave.

L'apostolat des frères Constantin (Cyrille) et Méthode donna à ce mouvement l'impulsion décisive. Ce fut vers le milieu du neuvième siècle que Cyrille réforma à l'usage des Slaves de Bulgarie l'alphabet grec, traduisit les Évangiles, un certain nombre de pièces liturgiques et se rendit avec son frère chez les Slaves de Moravie. Méthode, évêque de Moravie et de Pannonie, mourut, après son frère, en 885. L'évangile d'Ostromir, qui date de 1056, est le plus ancien manuscrit de la langue dont se servirent Cyrille et Méthode et que l'on appelle, en raison de son emploi dans les offices religieux, slave ecclésiastique, esclavon liturgique. On lui applique également, comme nous le verrons tout à l'heure, un certain nombre d'autres noms.

La modification de l'alphabet grec due à Cyrille prit le nom d'écriture «< cyrillienne » ou «< cyrillique »; elle est encore en usage, sous une forme très-peu différente, chez les Russes, les Bulgares et les Serbes. Les Roumains, peuple de langue latine, avaient, eux aussi, adopté cet alphabet qu'ils ont heureusement rejeté aujourd'hui, pour en revenir aux caractères latins; ils n'ont eu besoin que de lui ajouter un certain nombre de signes plus ou moins conventionnels.

Un jour viendra, il faut l'espérer, où la littérature. russe fera à son tour le sacrifice de son alphabet traditionnel. Sans préjuger des circonstances qui pourront amener ce grand et fécond événement, on peut penser qu'elles ne se feront pas indéfiniment attendre; la civilisation des deux parties de l'Europe trouvera dans cette réforme un accroissement considérable.

On se servit également, chez les Slaves du rite latin, d'un autre alphabet, dit «< glagolitique ». L'origine de ce dernier est encore obscure; quelques auteurs ont même

prétendu qu'il était plus ancien, mais l'opinion vraisemblable et admise aujourd'hui communément est que le glagolitique ne serait qu'une déformation du cyrillien: on prétend qu'il daterait de la fin du onzième siècle, et devrait son origine au désir des Slaves du sud-ouest de sauver, grâce à l'emploi de signes incompréhensibles, leur liturgie qu'un concile avait prohibée. Quoi qu'il en soit de cette explication, il nous semble à peu près démontré que l'alphabet glagolitique n'a point d'autre origine que l'écriture cyrillienne.

Il est impossible de répondre d'une façon précise à la question de savoir quelles étaient, au neuvième siècle, les limites géographiques du slave ecclésiastique. Les auteurs qui ont cherché à éclaircir ce point très-obscur ne sont point arrivés aux mêmes conclusions. Selon les uns le slave ecclésiastique aurait été parlé dans le sud-ouest de la Russie actuelle, selon d'autres en Moravie, selon d'autres encore dans les régions de la Carinthie, de la Croatie, de la Slavonie, de la Serbie actuelles; quelques-uns pensent qu'il s'étendait sur tout le territoire compris entre le Pont-Euxin et la mer Adriatique. D'après Dobrovsky, dont l'opinion sera toujours d'un grand poids dans les questions de philologie slave, le slave ecclésiastique aurait été parlé sur la rive droite du Danube, au nord, de l'Adriatique à la mer Noire en passant par Belgrade, et, au sud, jusqu'à Thessalonique, c'est-à-dire en Serbie, en Bulgarie, en Macédoine.

Le slave ecclésiastique a disparu entièrement en tant que langue parlée, mais il a persisté, avons-nous dit, dans la liturgie. Ce n'est pas toutefois sans s'être quelque peu modifié, sans avoir subi, notamment, l'influence des idiomes vivants au milieu desquels on l'employait comme langue morte. Ces modifications sont relevées et connues; de là deux formes du slave ecclésiastique : l'une ancienne,

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