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La capitulation fut d'ailleurs des plus honorables pour les assiégés. Elle stipulait le maintien des privilèges de la province, c'est-à-dire du Conseil souverain, des états, de l'exemption de la gabelle, ainsi que l'interdiction de tout impôt qui n'eût pas été voté par les états; la ville conservait ses reliques, et la liberté de conscience ne pouvait y être établie. Par suite des troubles de l'époque, ce ne fut que vingt ans après, le 22 janvier 1661, que les assemblées des états furent rétablies.

La prise d'Arras causa une grande joie par toute la France et plus particulièrement dans la généralité d'Amiens, qui espérait être désormais à l'abri des coups de main des Espagnols et dont le territoire se trouvait ainsi agrandi. Le Maistre de Bellejamme vit son autorité augmentée par les fonctions d'intendant de la ville et cité d'Arras. Des fètes brillantes furent célébrées en l'honneur de cette victoire. Louis XIII et le cardinal assistèrent à un Te Deum chanté à la cathédrale et au banquet donné à l'Hôtel-de-Ville d'Amiens.

L'argent faisait toujours défaut et l'intendant renouvelle ses demandes. Il veut prélever une somme de 3,000 fr. provenant de l'octroi pour l'employer aux fortifications. L'échevinage répond que cette somme est depuis 1597 destinée à l'acquit de rentes dues à plusieurs veuves et orphelins; que la ville était d'ailleurs épuisée par sept ans de peste et de guerre. Néanmoins, l'intendant déclare au nom de la raison d'État, qu'il ne peut s'arrêter à de pareilles considérations et qu'il faut en outre pourvoir aux vivres et au logement de plusieurs régiments qui vont traverser la ville en revenant du siége

d'Arras, qu'il rend les échevins responsables de tout, et que, si on ne prend aucune mesure, il laissera les soldats vivre à discrétion. La caisse de la ville était déjà saisie pour le paiement de l'impôt des fortifications; à bout d'expédients, l'échevinage décide que les hôteliers fourniront à crédit le vivre et le fourrage à raison de un écu par homme, sauf à être remboursés plus tard par la ville (1). Au lieu de s'entendre pour tirer le meilleur parti possible de la situation, les différents corps de la ville se livrent des combats d'attributions; l'intendant est obligé d'intervenir pour rétablir la concorde, c'est ainsi qu'il fait rendre un arrêt au profit de l'échevinage contre les trésoriers et les élus au sujet de la perception et de la gestion de la ferme des pieds-fourchés de la buche destinée à l'entretien et aux réparations des fortifications. Les questions les plus puériles passionnent l'échevinage; par ordonnance du comte de Saint-Paul, gouverneur et lieutenant-général de Picardie, du 16 mai 1598, il était permis aux échevins de porter une robe de drap garnie de velours, avec un bonnet en velours ras, le premier échevin était autorisé à porter un bonnet de velours plein, en signe de prééminence, le substitut du procureur-général du roi veut s'arroger le droit de porter un costume analogue à celui de l'échevin, l'échevinage abandonne tout pour s'absorber dans cette misérable question d'étiquette.

Des octrois perçus sur les boissons et céréales, connus

(1) Registres aux délibérations de l'échevinage d'Amiens. Année

1640.

sous le nom d'anciens octrois, avaient été établis pour subvenir aux besoins de la ville d'Abbeville, par lettres patentes du 29 juin 1557 et du mois de décembre 1581, qui en ordonnaient la perception à perpétuité; sur l'initiative de l'intendant, des lettres patentes du 24 juin 1640 confirmèrent la perception de ces octrois et en autorisèrent le doublement pour mettre la ville en position de subvenir au paiement de plusieurs charges municipales telles que les gages du major-capitaine des portes, du clerc du guet, etc.

Au même moment, le roi adressait à l'échevinage d'Amiens, par l'intermédiaire de l'intendant, une lettre relative au traité conclu entre le comte de Soissons et l'Espagne. Après avoir exposé les menées, les intrigues, les tentatives de révolte du comte de Soissons et des ducs de Soubise et de Lavalette, le roi annonçait la découverte du complot organisé par le comte de Soissons et les ducs de Bouillon et de Guise. En conséquence, il recommandait aux échevins de veiller à la sûreté de leur ville, et de réprimer avec vigueur les complots qui pourraient se tramer contre la couronne de France.

Quelques temps avant son départ de la généralité, Le Maistre de Bellejamme reçut l'ordre d'instruire et de juger un procès qui eut un grand retentissement et provoqua de nombreuses sympathies en faveur du coupable.

François de Jussac d'Ambleville, sire de Saint-Preuil, maréchal des camps et armées de Louis XIII, avait été

nommé capitaine en 1627 (1). Brave parmi les braves, affrontant le danger avec une témérité toute française, il s'était signalé par des actions d'éclat à la prise de Casal, de Saint-Morice, lors de la bataille de Castelnaudary; un duel avec le sieur de Flesselles avait failli compromettre toute sa carrière, lorsque de nouveaux exploits, à l'occasion du siége de Corbie, de la prise de Moreuil et de Saint-Omer, le réhabilitèrent et lui firent trouver grâce devant le cardinal. Il avait enfin contribué à la prise d'Arras et, pour l'en récompenser, le roi l'avait nommé gouverneur de sa nouvelle conquête.

Mais le brillant capitaine ne savait pas dominer ses passions; plus fait à la vie des camps qu'à la politique et à l'administration, il se figurait que pour représenter le gouvernement du roi de France il suffisait d'être magnifique et d'avoir un grand train de maison. Le nouveau

(1) M. Janvier, vice-président de la Société des Antiquaires de Picardie, a publié une biographie du chevalier de Saint-Preuil, où nous avons puisé une partie des documents relatifs au procès instruit et jugé par Le Maistre de Bellejamme. Ecrite dans un style élégant et animé, l'étude historique de M. Janvier reproduit avec un grand charme cette physionomie cavalière et provoquante, cet esprit aventureux et indomptable se livrant au bien et au mal avec le même entrain, qui caractérise ce type du capitaine moitié héros moitié brigand des commencements du XVIe siècle. (François de Jussac d'Ambleville, sieur de Saint-Preuil, maréchal des camps et armées du roi Louis XIII, par A. Janvier, 1859.)

M. Lecesne, membre de l'Académie d'Arras, a reproduit l'épisode du procès de St.-Preuil, sous le titre: Un Procès criminel au XVII siècle. (Mém. de l'Acad. d'Arras, t. XXVII, p. 250 à 269.)

gouverneur traita Arras en pays conquis, heurta tous les préjugés de la population, abusa de son autorité, se livrant à tous les déportements d'une nature violente et passionnée, sans tenir aucun compte des instructions du roi qui recommandait d'user des plus grands ménagements avec des populations qu'il fallait attacher à la France par les liens de l'affection et de la reconnaissance. Les concessions accordées lors de la reddition de la place avaient été faites dans ce but. Tout au contraire, la population d'Arras se plaignait du despotisme du nouveau gouverneur et regrettait amèrement l'administration paternelle des Espagnols; ceux-ci avaient compris qu'en raison de leur éloignement, ils devaient se borner à régner sans vouloir gouverner. Il était même à craindre qu'elle n'appelat à son secours le cardinal Infant, don Fernand d'Autriche, qui venait de s'emparer d'Aire, mal défendu par le maréchal de la Meilleraye.

Le cardinal avait voulu tout d'abord soutenir SaintPreuil contre ses ennemis personnels, le maréchal de la Meilleraye, le secrétaire d'État Des Noyers, le maréchal de Brezé. Saint-Preuil continuant à ne tenir aucun comple des avertissements officieux qui lui étaient donnés, il devint urgent de mettre fin à cette situation et de donner satisfaction aux griefs de la population d'Arras; un incident malheureux, une méprise de Saint-Preuil poursuivant et taillant en pièces la garnison espagnole qui sortait de Bapaume après avoir mis bas les armes et munie d'un sauf-conduit, servit de prétexte; le roi donna à la Meilleraye l'ordre d'arrêter Saint-Preuil et de le faire. enfermer dans la citadelle d'Amiens. L'intendant fut

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