9. Année. QUESTIONS GRAMMATICALES COURRIER N° 17. AVIS. C'est dans la 1" quinzaine de novembre que va être terminée la réimpression de la 3° année du Courrier de Vaugelas. Les souscripteurs, à qui le volume sera envoyé par la poste, sont priés de vouloir bien, après réception, en adresser immédiatement le prix (6 francs) au Rédacteur de ce journal. LE DE Journal Semi-Mensuel SOMMAIRE. Origine du mot Opportuniste; - Explication du proverbe Loger diverses. FRANCE CONSACRÉ A LA PROPAGATION UNIVERSELLE DE LA LANGUE FRANÇAISE Paraissant le 1 et le 15 de chaque mois (Publication couronnée à l'Académie française en 1875, et doublement récompensée à l'Exposition de 1878.) PRIX : Rédacteur: EMAN MARTIN ABONNEMENTS: Par an, 6 fr. pour la France, et 7 fr. 50 pour l'étranger (Un. post.) Annonces Ouvrages, un exemplaire; Concours littéraires, gratis. ANCIEN PROFESSEUR SPÉCIAL POUR LES ÉTRANGERS Se prennent pour une année entière et partent tous de la même époque. S'adresser soit au Rédacteur soit à un libraire quelconque. Cette question m'élait déjà posée depuis quelque temps lorsque, à propos d'un remerciement pour une annonce que je lui avais faite, un abonné, attaché à la rédaction d'un journal parisien, a eu l'heureuse idée de m'écrire la lettre suivante, qui me servira de réponse : Paris, 10 octobre 1879. Monsieur et cher confrère, Je profite de l'occasion que vous me fournissez pour ajouter un renseignement à mon remerciement. Il s'agit de la création du mot opportuniste, qui a fait si belle fortune. 1er Novembre 1879. Cet article arrive, en épreuves, entre les mains de M. Stenne et les miennes, à l'heure où lui et moi nous travaillions à réunir les éléments du numéro devant paraître le lendemain matin. Naturellement, nous nous communiquons nos impressions sur les faits et gestes du ministre; et M. Stenne, avec ce bons sens et cet esprit qui lui faisaient toujours trouver le mot propre pour formuler ses jugements, dit : « C'est un opportuniste ». Le mot était de ceux qu'on ne doit pas laisser perdre. S'il ne fut pas imprimé séance tenante, cela tint à ce que mon confrère, chargé, par sa position de secrétaire de la rédaction, de veiller au bon ordre des expressions et des phrases (ne se doutant du reste pas de la fortune réservée à sa création), eut peur qu'opportuniste ne fût pris en mauvaise part, comme une plaisanterie qui eût détonné dans un journal où tout est réglé avec nombre, poids et mesure. M. Stenne se contenta de colporter son mot dans les par Première Question. Pourriez-vous me dire quelle est l'origine du mot OPPORTUNISTE, qui s'emploie si généralement depuis quelque temps par les rédacteurs de nos diverses feuilles lottes littéraires, où on ne le laissa pas traîner; car, le surpolitiques, tant petites que grandes? lendemain, il paraissait dans un écho du Figaro. Vous serez certainement heureux de connaître l'auteur de ce mot et d'en publier le nom. Pour ma part, j'acquitte une dette d'amitié en ne laissant pas les futurs dictionnaires attribuer une paternité illégitime à quelque coucou littéraire. QUESTIONS PHILOLOGIQUES VAUGELAS L'auteur du mot est M. Georges Stenne, secrétaire de la rédaction du Petit Journal, que nous avons eu la douleur de perdre il y a un mois à peine. C'était peu de temps après la rentrée de M. Dufaure au gouvernement. Je ne me souviens plus de l'incident qui avait fourni matière à notre rédacteur en chef, M. H. Escoffier (Thomas Grimm); toujours est-il que M. Dufaure, qu'on avait soupçonné, ce jour-là, d'aller vers le centre droit, s'était bravement, ou si vous aimez mieux, politiquement, tourné du côté du centre gauche. L'article mettait en valeur l'attitude du ministre. De là, il a passé dans la langue. Simple mot d'esprit, au début, pour traduire une situation particulière, un fait personnel, il est devenu le qualificatif d'un grand parti et le titre d'un puissant chef; il est devenu un mot historique. Il serait injuste d'oublier le nom de son inventeur; et l'Académie, qui décernait un éloge à l'auteur de Perle, précisément quelques jours avant sa mort, devra une nouvelle mention à Georges Stenne, le jour où, inévitablement, elle enregistrera le mot opportuniste dans son dictionnaire. Veuillez agréer, Monsieur et cher confrère, la nouvelle assurance de mes meilleurs sentiments. MARIUS ROUX.. Tous mes lecteurs remercieront certainement avec moi l'auteur de la précieuse communication qui précède; car, quelques recherches qu'on eût pu faire plus tard relativement à l'origine du mot opportuniste, il est permis de croire qu'on ne serait jamais arrivé à connaître les choses intéressantes que M. Marius Roux nous révèle sur la naissance de ce nouveau terme. A mon tour, je profite de l'occasion qui m'est offerte pour engager une fois de plus les personnes qui sont en possession de quelques documents inédits sur la langue, à vouloir bien prendre la peine de me les adresser; car je trouverai toujours l'occasion de les utiliser, soit pour traiter des questions posées et non encore résolues, comme dans le cas actuel, soit pour jeter plus de lumière sur des solutions que j'aurai déjà données. Seconde Question. Pourriez-vous me dire, ou plutôt voudriez-vous bien me dire quelle est l'origine de la singulière locution Loger le diable DANS SA BOURSE, employée pour signifier n'y avoir aucun argent ? L'origine de cette locution proverbiale est racontée comme il suit, sous le titre de « Folies », dans une pièce de vers figurant au Recueil des petits poëtes françois depuis Villon jusqu'à Benserade (Paris, 1752, t. I, p. 146): Un charlatant disoit en plein marché, Qu'il monstreroit le diable à tout le monde : M. Bernard Jullien pense que cette explication est réellement la bonne, et qu'une bourse vide étant un mal, on s'est servi du nom du diable pour exprimer ce mal. Mais il me semble que le savant collaborateur de M. Littré est ici dans l'erreur, car cette anecdote, qui ralate un fait arrivé une fois, n'a pu être l'origine du proverbe en question généralement, il faut qu'une chose soit souvent, bien souvent répétée, pour que les mots qui l'expriment passent à l'état de proverbe. Pour Génin (Récréat., t. I, p. 107), cette façon de parler nous serait venue de l'italien. Au-delà des Alpes, parait-il, l'usage était de peindre au fond des plats, soupières, saladiers, une figure hideuse, une figure de diable demeurant cachée tant qu'il restait quelque chose au plat, et qui, lorsque celui-ci était vide, faisait la grimace à ceux qui y jetaient les yeux. De là cette locution populaire Le diable est dans le plat. Un personnage, dans une comédie de Firenzuola (I due Lucidi), pour exprimer la pensée : « A votre arrivée, on avait fini de diner, il ne restait plus rien» dit: Abbiamo trovato il diavolo nel catino (nous avons trouvé le diable dans le plat). Par imitation, le français a dit le diable est dans sa bourse, il loge le diable dans sa bourse. Cette seconde explication est-elle la vraie? Certes, s'il cût été d'usage, en Italie, de représenter représenter un au fond des plats, je comprendrais qu'à l'exemple des Italiens, qui, un moment, ont imposé en quelque sorte leur langue en France, nous eussions pu être amenés à dire Voir loger le diable dans sa bourse, pour signifier n'y rien avoir du tout; mais, attendu qu'il n'en était pas ainsi, je me crois autorisé à rejeter également l'origine que ladite explication propose. A mon avis, la véritable explication du proverbe dont il s'agit a été donnée par Quitard, et la voici telle que je la trouve à la page 310 de son Dictionnaire des Proverbes : Cette expression a précédé l'anecdote qui lui doit une partie de son sel; elle est née à une époque où toutes les monnaies étaient frappées à l'effigie de la croix, signe très redouté du diable, comme chacun sait; c'est cela qui donna lieu d'imaginer que si le diable voulait se glisser dans une bourse, il fallait nécessairement qu'il n'y eût ni sou ni maille. Du reste, cette explication se justifie parfaitement par les autres phrases proverbiales qui suivent : Il est plus facile de chasser le diable avec la croix de quelques pistoles qu'avec de l'eau bénite. Le pire des diables est celui qui danse dans la poche quand il n'y a pas une pièce marquée du signe de la croix pour l'en chasser. Les Languedociens disent (c'est encore Quitard qui parle): Ma bousso ës dë pêou d'aou diablë, la croux li po pas ista, c'est-à-dire ma bourse est de peau du diable, la croix (ce mot s'est employé autrefois pour argent quand les monnaies portaient une croix sur une de leurs faces) n'y peut rester, ou s'y loger. Dans une note placée au bas de la page 294 (Études sur le lang. proverb.), Quitard donne à entendre que c'est seulement à partir du règne de saint Louis que nos monnaies ont été marquées d'une croix, d'où cette conséquence que le proverbe qui nous occupe daterait au plus du XIIIe siècle. Mais les lignes suivantes, empruntées au Dictionnaire des Institutions de la France, par Chéruel (p. 820, col. 1), permettent de croire, sans invraisemblance, que ledit proverbe pourrait bien remonter à une époque antérieure à celle-ci de plusieurs siècles : Le type monétaire sous les deux premières races, fut, d'après l'opinion de juges compétents, une imitation des monnaies romaines..... Les monnaies de cette époque [comprise entre 420 et 987] portent, d'un côté, la tête ou le buste du roi, avec son nom et celui du duc ou du comte, ou seulement celui du monétaire; au revers, une croix et autour le nom de la ville ou de la métairie royale (villa) dans laquelle la monnaie avait été frappée. Troisième Question. Pourquoi avons-nous fait PHYLLOXERA du masculin quand le genre féminin résulte si clairement de la terminaison et de l'épithète VASTATRIX appliquée à la PHYLLOXERA; et, si c'est possible, ce mot constitue-t-il une expression bien appropriée à son objet ? D'après ce qu'en dit M. Henri de Parville (Journal un diable au fond des bourses comme il l'était d'en I officiel du 25 juin 1873, p. 4486, col. 3), c'est en 1865 que le phylloxera fut signalé en France pour la première fois, et ce fut M. Planchon, professeur à Montpellier, qui, après avoir décrit ce nouvel ennemi de la vigne, lui donna d'abord le nom de rhizaphis vastatrix, et, plùs tard, celui de phylloxera vastatrix, qu'il a conservé depuis. On a rapproché ce puceron (car ce n'est pas autre chose) d'un autre insecte découvert en Amérique en 1854, le pemphigus vitifoliæ, que l'on ne rencontrait que sur les feuilles de la vigne. D'où il suit que phylloxera, qui signifie « parasite des feuilles », alors qu'en réalité on ne le trouve guère que sur les racines, sous sa forme souterraine (la seule où il se montre dangereux pour la viticulture), est une désignation complètement impropre. Quant au genre masculin qui a été donné par M. Planchon à cet insecte dont le nom est féminin en latin, il n'y a rien là qui doive beaucoup surprendre; car voici des exemples analogues que j'ai recueillis en parcourant un ouvrage d'histoire naturelle : Les larves du Xanthocroa carniolica ont été étudiées par M. Ed. Perris. (Dr Chenu, Coléoptères, vol. III, p. 186.) Chez nous, les Hannetons, et spécialement le Melolontha vulgaris, le mieux connu de tous, commencent à paraître vers le milieu d'avril. (Idem, p. 73.) Je crois que l'Apate capucina a rencontré sur son passage les plaques métalliques, et qu'il ne les a rongées que pour vaincre l'obstacle qui se présentait devant lui. (Idem, p. 255.) Une autre espèce est le Bitoma contracta, qui a la même patrie et le même habitat que l'espèce précédente. (Idem, p. 283.) Du reste, n'avons-nous pas encore, quoiqu'il s'agisse d'un être ayant de bien autres dimensions, le ténia, dont le genre, quoique féminin dans la langue latine, est devenu masculin en français ? Х Quatrième Question. Voici une phrase que je lisais dernièrement dans un journal « NouS SOMMES CEUX QUI VOULONS rappeler au parti républicain que, etc. » Ne pensez-vous pas qu'il vaudrait mieux mettre QUI VEULENT? Il me semble que cette tournure est plus naturelle que la première. Lorsqu'après le verbe être ayant pour sujet je ou tu, nous ou vous, se trouve le relatif qui précédé, soit d'un substantif, soit d'un pronom démonstratif, soit d'un qualificatif tenant lieu d'un substantif, le verbe qui suit le relatif se met, à volonté, à la 3a personne ou à la personne du verbe être. Voici la preuve de ce que j'avance: (Exemples où ce verbe est à la 3e personne) De tels secrets, dit-il, je ne me pique, Éles-vous encore ce même grand seigneur qui venait souper chez un misérable poète ? (Boileau, Lett. à M. de Vivonne.) Souviens-toi que je suis le seul qui t'a déplu. (Fénelon, Dial, Pith. et Denis.) N'êtes-vous plus cet Ulysse qui a combattu tant d'années pour Héléne contre les Troyens? (Mme Dacier, Odyss. xxII.) Tu étais le seul qui pút me dédommager de l'absence de Rica. (Montesquieu, Lett. pers., dans Girault-Duv.) (Exemples où il est à la même personne que être) Je suis Diomède, roi d'Étolie, qui blessai Vénus au siége de Troie. (Fénelon, Télém., xx1.) Je suis tenté de croire que vous êtes Minerve, qui éles venue, sous une figure d'homme, instruire sa ville. (Idem, Dial. Til. et Soc.) Nous sommes ici plusieurs qui nous souvenons des grands succès que nous eûmes dans la dernière guerre. morceaux..... (Dacier, Vie d'Annibal.) Je fus le premier qui fis connaître aux Français quelques (Voltaire, Ess. sur la poés. ép., IX.) Pour moi, je ne suis qu'un particulier qui ne me mêle do rien. (Retz, III, 373 ) Or, la phrase sur la construction de laquelle vous me demandez mon avis étant analogue à celles auxquelles s'applique la règle que j'ai donnée en commençant, j'en conclus que, dans ladite phrase, on peut mettre aussi bien « Nous sommes ceux qui voulons » que « Nous sommes ceux qui veulent ». Х Cinquième Question. Je vous prierais de vouloir bien préciser dans quels cas les participes passés des verbes accidentellement pronominaux, SE PERSUADER, S'ASSURER, SE CONVAINCRE et SE DOUTER ont pour complément direct ME, TE, SE, NOUS, vous, ou les propositions subordonnées qui suivent, comme dans ces phrases, par exemple, NOUS NOUS SOMMES ASSURÉS QUE NOS CONTRADICTEURS AVAIENT TORT, ILS SE SONT CONVAINCUS QU'ON LES TROMPAIT. J'ai montré (Courrier de Vaugelas, 6e année, p. 155) que les mots de ce que, qui figurent quelquefois entre un verbe et son régime indirect, se changent très souvent en un simple que : J'ai l'honneur de vous informer que (de ce que). Elle peut vous assurer que (de ce que). Or, lorsqu'un tel que vient après un verbe pronominal, il annonce non pas un régime direct, mais un régime indirect; et c'est naturellement le pronom personnel qui est ce régime d'où l'accord obligé du participe avec ce pronom. Ainsi, comme dans les phrases que vous me soumettez le mot que est mis pour de ce que (car on dit s'assurer, se convaincre d'une chose), il faut écrire les participes assuré et convaincu au pluriel. Х Sixième Question. Pensez-vous que ce soit correctement s'exprimer que de dire « Cette personne A LES FIÈVRES au lieu de ▲ LA FIÈVRE »? Comme on peut le voir par les exemples suivants, Il n'y a rime ne raison, Quand on a telles fievres blanches. (L'Am. rendu cordel. p. 54o, dans La Curne.) Mais, vers le milieu du XVIe siècle, les grammairiens ont banni le pluriel de ce mot, preuve ce passage des Observations de Ménage (éd. de 1672, p. 293): Nos anciens disoient fièvres tierces et fièvres quartes, au pluriel; témoin vos fièvres quartaines. Mais ce mot de fièvre n'est plus usité dans ces façons de parler, qu'au singulier. Il faut dire la fièvre tierce, la fièvre quarte, et non pas les fièvres tierces, les fièvres quartes. J'ay la fièvre, et non pas j'ay les fièvres. Aujourd'hui, pour bien parler, il faut donc mettre fièvre au singulier, cela ne fait pas le moindre doute. Toutefois, je suis loin de blâmer ceux qui disent avoir les fièvres, dans le discours familier, pour signifier une fièvre se manifestant par une suite d'accès plus ou moins éloignés; car le Trévoux de 1771 admet encore cette phrase comme une bonne expression. ÉTRANGER Première Question. Racan a dit : « La course de nos jours est PLUS QU'A demi faite »; l'Académie (éd. de 1835) dit : « Cela est PLUS D'A moitié fait ». Auriez-vous l'obligeance de me faire savoir par votre excellent journal s'il faut employer l'une de ces constructions plutôt que l'autre, dans des phrases semblables, ou s'il est permis de s'en servir indifféremment ? : Le latin exprimait de deux manières elliptiques le rapport qu'il y a entre le comparatif et son complément 1° il mettait ce complément à l'ablatif avec ou sans la préposition præ: Pulchrior est sorore (elle est plus belle que sa sœur); 2° il se contentait de mettre quam entre ce comparatif et le complément au nominatif Pulchrior est quam soror. Ces deux tournures ont été adoptées simultanément par l'ancien français, qui a réduit præ (en comparaison de) à un simple de, et qui a traduit quam par que : (Exemples du comparatif avec de) Meillors vassals de vos unkes ne vi. (Ch. de Roland, ch. III, v. 420.) Delivred me... de ces ki me haïrent, kar plus furent fort de mei. (Livre des Rois, p. 207.) Onques teurte qui perd son compaignon Ne fut un jour de moi plus esbahie. (Couci, XXIV.) Droite est voirement, chier frere, nostre sente, et plus seure de la voie des mariez. (Serm. de saint Bernard, p. 567.) (Exemples du comparatif avec que) Nostre Sires dunad à Salomun grant sen...e plus fud saige que huem ki vesquit; plus fud saige que Ethan e que Heman. (Livre des Rois, p. 249.) lert dons manre li pitiez de Crist ke li malices Herodes. (Serm. de saint Bernard, p. 543.) Plus sunt felons que chiens. (Chron. des ducs de Norm., t. I, p. 7.) Et ces deux constructions du comparatif s'appliquaient également au cas où celui-ci était suivi d'un nom de nombre : Son aage n'estoit pas de plus que XVI ans; mais oncques si sage enfan ne vi. (Joinville, p. 269.) Baptizet sunt asez plus de cent milie. (Chans. de Roland, ch. V, v. 408.) Mais avec le temps, on finit par ne plus employer que de avant les noms de nombre, tant entiers que fractionnaires : (Nombres entiers) Il faut un peu plus de deux milles anglais pour faire une de nos lieues de poste. (Académie.) Et, pour un peu que je veux, j'en trouve plus de mille. (Boileau, Sat., VII, p. 39.) (Nombres fractionnaires) Mais un fripon d'enfant (cet âge est sans pitié) Prit sa fronde et du coup tua plus d'à moitié, etc. (La Fontaine, Fab. IX, 2.) Puisqu'elles [les terres] sont si vastes et plus d'aux trois quarts incultes. (Buffon, Min., t. IV, p. 34a.) Je me suis dit seulement votre ami De ceux qui sont amants plus d'à demi. (Chammeley, cité dans la Gramm. nat., p. 764.) Depuis Hipparque... c'est-à-dire depuis deux mille ans, cette température ne s'est pas abaissée de plus de 1/10 de degré. (Richard, Lois de Dieu, p. 33.) En conséquence, quoique l'on trouve encore quelques auteurs qui se servent de que avant un nom de nombre fractionnaire (entre autres l'Académie dans « Cela est plus qu'à demi fait »), il n'en est pas moins certain pour moi que le génie de notre langue moderne se déclare manifestement en faveur de l'emploi exclusif de la préposition de dans les phrases où un adverbe de comparaison est suivi d'un nom de nombre, quelle qu'en soit d'ailleurs l'espèce. Seconde Question. Quelle est l'étymologie du mot CANDELABRE, et aussi quelle en est la véritable prononciation? Faut-il dire CANDELABRE, avec un ▲ aigu et bref, ou CANDELABRE, comme si cet a portait un accent circonflexe? Il y a bien longtemps que ce terme figure dans notre vocabulaire, ainsi que le témoignent les exemples suivants dont le premier est du xn1o siècle : E dunad le peis [poids] de la merveilleuse vaissele que de or, que de argent, e des chandelabres e des luminaries e des tables. (Livre des Rois, p. 244.) Et les deus candelabres qui là sont alumė, En Jhursalem seront au Sepulcre posė. (Chans. d'Antioche, v. 521.) Candelabre signifie littéralement arbre à chandelles, ce dont la preuve résulte de son orthographe dans le vers suivant: Et quant il volt aler coucier, Les candelarbres voit drecier. (Parthonopeus de Blois, v. 1697.) Seulement on l'a écrit sans r dans la première syllabe, parce qu'autrefois cette consonne ne se prononçait pas au commencement de arbre, preuve les vers que voici, où elle est remplacée par un u: Lors s'est assis sous l'aubre qui verdie. (Roncevaux, p. 154.) A la fenestre est venue au jor cler; (Raoul de Cambrai, 242.) Li aubre despoillent lor branches. (Rutebœuf, vol. 1, p. 211.) Maintenant, comment le vocable en question doit-il se prononcer? est-ce candelabre ou candelábre? M. Littré laisse le choix entre les deux manières; moi, je préfère candélábre, parce qu'il me semble que arbre se prononçait autrefois abre si j'en juge, et par l'écriture, qui mettait un u après l'a (signe de gravité qu'on retrouve encore dans quelques mots de l'anglais moderne, aunt, tante, par exemple), et par la prononciation de nos paysans de la Beauce et du Perche, qui disent un abre, de grands ábres. PASSE-TEMPS GRAMMATICAL. Corrections du numéro précédent. 1o affaire à autre chose qu'un petit groupe (Voir Courrier de Vaugelas, 3me année, p. 74); 2° et surtout à Lyon, où la municipalité s'est imposé (invariable parce que le régime direct est après); 3° remarquable étude craniologique (A cause du grec xpavov, je le préfère à cranologique); — 4°... comme une nouvelle Durandal (On ne met pas d'e final à ce nom de l'épée de Roland); 5°... de quinze cents francs chacun; 6o que les officiers anglais leur en eussent donné l'ordre. sans - ... ... ... Phrases à corriger qui ont été trouvées dans la presse périodique. diaient gaiement, sur l'air de « Il pleut bergère », ces langoureuses paysannes en corset de satin. 6° Sauf la taille haute, le profil élégant et fin, rien ne restait du Lamartine de 1848, toujours vaillant, toujours sur la brèche, ne quittant le livre que pour la tribune et passant de l'histoire écrite à l'histoire vécue. 7° Les scribes et les calligraphes, qui piochaient nuit et jour, étaient sur les dents, et pouvaient à peine suffire aux demandes. Ce fut bien pire quelques jours après. 8° Nous avons tous connu cette politique. Il y a trente ans, nous l'avons vu s'appeler Cavaignac. Ah! messieurs, si nous aimons la république, souhaitons qu'elle ne s'appelle pas bientôt d'un autre nom. (Les corrections à quinzaine.) FEUILLETON. BIOGRAPHIE DES GRAMMAIRIENS PREMIÈRE MOITIÉ DU XVIII• SIÈCLE L'abbé D'OLIVET. (Suite.) ESSAIS DE GRAMMAIRE. Dans ce traité, où il n'est question que des mots << indéclinables » l'abbé d'Olivet donne, après Vaugelas, Ménage, le P. Bouhours et l'abbé Régnier, une théorie du participe passé. Je vais reproduire intégralement cette partie remarquable de son travail, pensant par là être agréable à plus d'un de mes lecteurs. 4re Section. Verbes actifs. Règle unique. Quand le Participe des Verbes actifs précède son régime simple, il ne se décline jamais; et au contraire, quand il en est précédé, il se décline toujours. Pour nous familiariser avec des termes qui reviendront souvent, rappelons-nous ce que j'ai déjà dit, qu'un Verbe actif peut avoir deux régimes, dont l'un est simple, et l'autre particulé. Quand je dis, payez le tribut à César, c'est le tribut que j'appelle un régime simple, parce qu'il est uni à son Verbe immédiatement, et sans le secours d'aucun terme intermédiaire. Mais à César, est ce que j'appelle un régime particulé, parce que César n'a de rapport et de liaison avec son Verbe, qu'au moyen d'une particule, qui est à. Remarquons en second lieu, que la particule à n'est jamais exprimée, quoique toujours sousentendue, devant les Pronoms qui servent au régime particulé. Car après avoir parlé de César, nous dirons, payez-lui le tribut et ce lui suppose une particule dont il devroit être précédé, puisque c'est comme si l'Usage permettoit de dire, payez le tribut à lui. Remarquons en troisième lieu, qu'il n'y a que les Pronoms seuls qui puissent régulièrement précéder le Verbe, dont ils sont le régime simple. Or notre Règle dit expressément que le Participe ne se décline jamais, à moins qu'il ne soit précédé de son régime simple. Par conséquent il n'y a que les Pronoms, employez comme régime simple, qui puissent et qui doivent faire décliner le Participe. |